Algérie

Un éveil populaire pour une Algérie disruptive (Partie 1)



1. Un vendredi répétitif : du re?veil du peuple a? l'e?veil d'un peupleAprès les événements de Kherrata et Khenchela, deux régions réputées pour leur re?sistance he?roi?que et historique, la surprenante Alge?rie, longtemps juge?e apathique, atone et asservie, sort de sa torpeur pour renouer avec elle-me?me et se rede?couvrir, dans ses anciennes valeurs de fineur et de combat. Dans son entie?rete?, elle s'éveille a? son destin, longtemps malmene? par des calculs politiciens étriques de ses gouvernants, souvent ille?gitimes et de compe?tence douteuse.
Elle renaît pour crier a? tue-tête son ras-le-bol, vieux de plusieurs de?cennies et d'au moins vingt ans pour les plus jeunes de ses enfants. Un ras-le-bol intense, intact, sorti du fin fond de l'a?me d'un peuple lucide qui eut raison, par sa renaissance, des diverses the?rapeutiques anesthe?siantes prescrites par le pouvoir politique depuis l'inde?pendance.
Dans tous les coins et recoins du pays, villes et campagnes, les citoyens des deux sexes, vieux et jeunes, unis par la me?me cause et mobilise?s pour la me?me fin, sortent dans la rue, d'abord pour dire non au cinquie?me mandat d'un pre?sident-candidat invalide et ensuite, vilipender, par ricochet, avec rigueur, le me?canisme politique national en vigueur, dans tout ce qu'il a d'absolu et d'exclusif, en l'occurrence ses vices et ses tares.
Cela s'est passe? en 2019, le 22 fe?vrier. Un vendredi renouvele?, au fil des semaines, avec la me?me intensite? et e?rige? en temps d'un peuple qui lutte, avec peine et civisme et non sans admiration, pour imposer sa volonte? de fac?onner, selon ses attentes, la de?cision politique nationale. C'est la naissance d'un tiers-Etat alge?rien qui revendique, bruyamment, face au politique (et au militaire, malheureusement), sa participation effective a? la vie du pays. Et bien plus.
Vendredi, devenu de?sormais journe?e politique, a accouche?, au grand dam de l'Acade?mie franc?aise, d'un de?rive? se?mantique appele? «vendredire». Un verbe d'action qui ne se conjugue qu'au futur et dont la signification tombe sous le sens. Nous «vendredirons» jusqu'a? pleine satisfaction de nos attentes, disent, avec le sourire, les citoyens pour signifier leur de?termination durable a? re?pe?ter, chaque semaine, le 22 fe?vrier, avec au moins le me?me nombre, la me?me volonte?, la me?me re?sistance et la me?me re?silience.
Et, dans cette e?preuve de force dont l'issue est encore peu lisible, des parties nombreuses acquises a? la tyrannie du statu quo attendent dans la panique l'essoufflement du peuple et, davantage, son moindre de?rapage, pour le?gitimer l'infa?me. C'est dire les risques inhe?rents a? une critique syste?mique, a? la fois collective et bruyante, et les impe?ratifs de civisme et de discipline qui devront y e?tre obligatoirement associe?s.
Face aux exigences de ce de?fi historique, le peuple alge?rien a, jusqu'ici, un comportement exemplaire. Sa cohe?sion reste cependant mine?e par un complexe de dangers, pie?ges, ruses, traquenards, stratage?mes e?manant des de?cideurs et des syste?mes dictatoriaux dont l'aurore est toujours construite sur le cre?puscule politique des peuples. Alors, il faut savoir raison garder devant tout ce qui s'apparente au fanto?me de la discorde, parce que la probabilite? est grande pour que tout soit mis en ?uvre, a? l'e?chelle externe, pour e?viter la contagion de ce sursaut populaire et, a? l'e?chelle interne, pour pre?server l'ordre en faillite en renvoyant, dans et par la violence, les citoyens dans leurs chaumie?res.
Les missionnaires ze?le?s de la de?confiture populaire ne manquent pas, me?me s'ils paraissent de?sarc?onne?s aujourd'hui par une dynamique citoyenne qui se de?ploie avec force et sans guide ni leader, en dehors d'un chef virtuel appele? «re?seaux sociaux». Par cette particularite? historique, ou? sa force (absence de chef) se confond avec sa faiblesse (absence de chef), l'e?veil du peuple est insaisissable, incirconscriptible et quasi-inde?finissable.
En tout cas, il est, pour l'instant, aux antipodes du sche?ma classique de mobilisation citoyenne et ne semble pas vouloir se concevoir autrement. Me?me si, admire? et admirable, il ne manque pas de clins d'?il y compris de la part des courtisans organiques. Rien n'indique qu'il se pre?pare, a? court terme a? une autre configuration, mais tout affirme sa teneur patriotique et son refus de se fissurer sur l'autel des inte?re?ts mate?riels, des e?goi?smes, des calculs politiciens, des re?gionalismes, des localismes et des ide?ologies sectaires.
Ne? sous le mot d'ordre de la rupture syste?mique, il appelle, en tant que moyen de lutte pacifique, a? la construction d'une union nationale, dans le respect de la diversite? citoyenne. Aussi, est-il, par bonheur carrément sourd aux vieux de?mons de la division actionne?s par le pouvoir, depuis 1962, pour e?teindre tout e?lan de solidarite? populaire : berbe?re/arabe, musulman/chre?tien, croyant/athe?e, patriote/re?actionnaire, moudjahid/harki, nationalite? alge?rienne/nationalite? franc?aise, homme/femme, blanc/noir, etc.
L'e?lectricite?, note la philosophie politique, a cesse? d'e?tre une fe?e, me?me pour les enfants ; il appartient de?sormais aux de?cideurs qui voudraient convaincre les peuples de plus en plus e?duque?s et de plus en plus mondialise?s d'innover et d'innover vrai, en matie?re de gouvernance.
2. Un e?veil populaire pre?e?minent, proe?minent et transcendant
L'e?veil populaire a de?borde? les limites ge?ographiques du territoire alge?rien. Il se de?ploie partout ou? il y a un bout de nation alge?rienne. Il appelle des questions, suscite des de?bats. Admire? pour son civisme par les peuples asservis, il est craint par sa teneur de rupture syste?mique par les dictateurs qui redoutent sa contagion. Est-il besoin de noter les e?loges internationaux dont le peuple fait l'objet aujourd'hui et qui le laissent, ne?anmoins, de marbre et surtout soupc?onneux, et a? juste titre, d'une inge?rence vicieuse et vicie?e dans ses affaires inte?rieures.
Des voix tanto?t since?res, tanto?t douteuses s'e?le?vent en Occident et le recommandent au prix Nobel de la paix. Tant mieux que le reste du monde ait du peuple alge?rien une nouvelle image qui divorce d'avec les «vieux cliche?s» trompeurs de terroristes re?els et potentiels. Mais dans l'intervalle, cette proposition de re?compense est telle la langue d'Esope, bonne et mauvaise a? la fois.
En effet, on peut placer un peuple sous les projecteurs de l'histoire aussi bien pour en faire un since?re exemple a? suivre que pour le cibler, en tant que danger re?el qu'il faut cantonner et contrer au plus vite, tant il ouvre une bre?che se?rieuse dans le vieil ordre colonial. Et ce danger est indique? de fac?on sournoise, en priorite?, a? toutes les dictatures, notamment arabes, ainsi qu'au pouvoir alge?rien en particulier, avec lequel l'Occident entend bien continuer de commercer selon ses propres re?gles.
Quant aux mots d'ordre scande?s et slogans brandis, ils font de?ja? l'objet d'analyses se?miologiques tant ils se?duisent par leur originalite? et leur diversite?.
Quelle chance et quel bonheur de voir le peuple alge?rien, notamment dans sa composante la plus oblige?e, la jeunesse, parvenir a? ce niveau de maturite? politique dans un monde a? la fois mouvant et menac?ant. Mais tout de?pend finalement d'ou? on parle. Ceux qui visent la longe?vite? politique, dans la tranquillite? courtisane verraient cette gratification du mauvais ?il.
3. versions lacunaires et de?stabilisatrices de l'e?veil populaire
Pourquoi cet e?veil du peuple que personne n'a vu venir ' «Bien fin qui le dirait», aurait avoue? Guy de Maupassant (1850-1893). Pourtant, il faudra bien qu'on de?roge a? cette pre?caution en tentant de mettre des mots, me?me insuffisamment approprie?s, sur les maux qui sont dans l'air du temps. L'e?veil du peuple est diagnostique? de fac?on diffe?rencie?e. Bien qu'elles ne soient expose?es, nulle part, de manie?re formalise?e, il en existe, au moins trois versions porte?es, aussi bien par les «établis» qui ont compris le danger du changement que par les «re?signe?s» ou les «de?sempare?s» qui n'en voient pas l'inte?re?t ; les uns et les autres tentant, pour des raisons diffe?rentes, de vaincre leur peur, en voyant midi a? leurs portes.
Ces versions, nous leur donnons forme, ici, sur la base d'une lecture des e?ve?nements politiques qui ont scande? la vie politique nationale, depuis le 22 fe?vrier et ou? l'arrogance et l'invincibilite? de?clare?es des gouvernants des premie?res heures furent gagne?es, tre?s vite, par le doute et puis le de?liement des langues, la scission, les retournements de veste, la critique de l'homme «providentiel» et, enfin, toute honte bue, le ralliement a? la cause du peuple.
Dans sa premie?re version, le 22 fe?vrier serait un simple cri de cole?re d'un peuple ga?te? qui, dans une crise capricieuse, aurait exprime? son ingratitude a? l'e?gard de son nourricier. Ce serait me?me un rot d'un peuple qui aurait bien mange? ou me?me trop mange?, d'effet neutre sur l'ordre e?tabli, lequel aurait surve?cu a? des e?ve?nements infiniment plus graves et plus douloureux. La routine, les convulsions de l'inquie?tude, le Ramadhan, la chaleur de l'e?te?, les vacances, les conge?s et les vicissitudes de la vie pourraient biento?t raison de cette vague. C'est du moins ce que nous croyons avoir compris des discours des re?ductionnistes de tous bords, qui tentent de dompter leur peur en en de?formant les causes.
Autistes, ils n'ont d'yeux que pour eux-me?mes et leurs inte?re?ts qu'ils placent au dessus de tout et de tous. Arme?s de la force de l'Etat qu'ils usurpent pour leur compte, ils se croient invincibles, inamovibles et lecteurs infaillibles des lendemains qui chantent et (surtout) qui de?chantent pour ceux qui croisent leur chemin. On leur pre?sente «un lion», ils y voient, au plus, un «gros chat». On leur de?signe «la lune», ils regardent le «doigt».
Dans la deuxie?me version de l'e?veil, le peuple du 22 fe?vrier ne serait pas conscient de son propre sursaut. N'ayant jamais eu d'autonomie, ni de libre arbitre, il se serait retrouve? dans la rue sur ordre. Un ordre donne?, par un homme sans visage, qui aurait le pouvoir illimite?, voire divin, de lui dicter gestes et paroles. Tel un envoye? spe?cial qui ne maitriserait pas sa mission, il serait au plus un corps physique massif qui te?moignerait de la capacite? de nuisance exhibe?e pour le compte d'un tiers.
Cet e?cho e?corche même l'oui?e des malentendants. Dans sa substance, il est le paroxysme de l'humiliation, e?difie? pour rabaisser un peuple digne dont le seul tort est d'exprimer son droit: celui de voir la Re?publique de?mocratique et populaire de jure de 1962, devenir une Re?publique de?mocratique et populaire de facto, en 2019.
Il semble que, apre?s l'antique «main e?trange?re» par laquelle on a fait et de?fait bien des jeux, mais dont le fonds de commerce serait apparemment amorti, on assiste a? la confection d'un discours de me?me teneur, avec cette fois-ci, une main domestique manipulatrice. Peut-e?tre qu'avec ce progre?s qu'il fait de se soustraire d'une «main exte?rieure» au profit d'une «main inte?rieure», le peuple alge?rien sera-t-il un jour libre comme le stipule, sans e?quivoque, la premie?re phrase du pre?ambule de sa Constitution !
La troisie?me version de l'e?veil du peuple, bien qu'elle soit discutable, n'est pas guide?e, me semble-t-il, par de la mauvaise foi ou un quelconque calcul politicien : elle consiste a? de?signer le vendredi 22 fe?vrier et sa «re?pe?tition hebdomadaire» par le terme «hirak» signifiant mouvement. Cette qualification, outre le fait qu'elle se caracte?rise, a? mon sens, par un de?ficit d'e?le?gance se?mantique, privile?gie dans sa substance l'aspect me?canique de l'e?ve?nement, voire la marche du peuple au sens physique. O?te-t-elle alors au phe?nome?ne, ou moins injustement au processus ainsi de?signe? sa substance politique '
De plus, ayant de?ja? fait l'objet d'un usage intense au Ye?men, dans une configuration sensiblement diffe?rente de ce qu'e?tale, aux yeux de l'observateur, le re?el politique alge?rien, elle aide a? croire a? tort a? «du de?ja? vu en d'autres temps, sous d'autres cieux». Mais o temporo, omores (autres temps, autres m?urs) dit l'adage latin.
En e?luder le sens, c'est sous-appre?cier la singularite? historique du processus politique national mis en ?uvre et faire du pre?sent du peuple alge?rien, une re?pe?tition routinie?re du passe? d'autres peuples. En effet, me?me s'il est normal, voire obligatoire de construire des «cle?s» terminologiques, se?mantiques ou conceptuelles en vue d'ordonner l'infiniment disperse?, simplifier l'infiniment complexe et fixer dans et par le mot, la mouvance des Etats et des peuples, il faut veiller a? ce que ces cle?s que nous produisons, pour ouvrir intelligiblement des forteresses ferme?es au de?part, a? l'esprit analytique, soient le plus possible adapte?es aux serrures que nous voulons ouvrir ou de?verrouiller. On n'est pas loin, par ce propos, d'un travail e?piste?mologique.
4. L'e?veil populaire, un court essai de de?cryptage
L'e?veil populaire est, a? notre sens, un produit d'un processus qui a mis du temps pour nai?tre et mettre, «face a? face», deux complexes de facteurs mutuellement exclusifs lie?s, l'un, a? un peuple de?cide? a? ba?tir des lendemains qui chantent et l'autre, a? un pouvoir politique de?cale?, qui regarde l'Alge?rie dans son re?troviseur historique, faisant un «de?ni d'obligation» d'un mode de gouvernance compatible avec les exigences du XXIe sie?cle. Autrement dit, il y a :
D'un côte?, la volonte? politique d'e?tre d'un peuple fe?cond, brave, combattant, jeune, patriote, fier, digne, e?duque?, instruit, stoi?que, malmene? courageusement par les vicissitudes de la vie politique, e?conomique et sociale, au fait des re?alite?s mondiales, des «us et coutumes» de la de?mocratie, des re?gles et normes de vie des peuples civilise?s, initie? aux technologies de l'information et de la communication, mondialement reconnu aujourd'hui en matie?re de me?thodes de lutte politique pacifique? et j'en passe, me?me s'il est a? la fois tentant et plaisant d'e?tendre a? l'envi ces qualite?s et me?rites.
De l'autre, la propension a? maintenir le statu quo d'un pouvoir politique sorti de ce me?me peuple et de?sormais vieillissant, faiblement re?ceptif et adepte, depuis des de?cennies ? quels que soient les femmes et hommes qui le repre?sentent ? d'une audace anachronique dans ses re?ponses aux de?fis de l'heure et de demain. Il est reproche? a? ce pouvoir d'avoir ope?re? une allocation de ressources a? la fois inapproprie?e et inefficace et d'avoir globalement e?choue? sur l'ensemble des aspects du de?veloppement socie?tal.
Dans leur de?clinaison, on observe :
? Sur le plan e?conomique et social, des recettes d'exportation toujours de?pendantes des hydrocarbures, une e?conomie atone et faiblement diversifie?e, un de?sarmement industriel du pays, des de?ficits budge?taires et exte?rieurs re?pe?titifs, un cho?mage, une inflation, une e?rosion du pouvoir d'achat, etc., que les gouvernements, dans leur succession, ont tente? de contenir inefficacement par des mesures purement «financiaristes» (emprunts obligataires, bancarisation de l'argent informel et planche a? billets) en lieu et place des re?formes structurelles rele?gue?es a? l'arrie?re-plan du de?veloppement, au nom d'objectifs «court-termistes» et e?phe?me?res ;
? Sur le plan politique, un pouvoir personnel excessif d'un homme qui n'accepte ni de partager le pouvoir ni d'e?tre en compe?titionavec aucune de ses formes. Encense? a? ses premie?res heures par le peuple, en particulier la jeunesse qui de?couvre son art oratoire jubilatoire et fort de son parcours politique, il soumet personnes et institutions a? sa volonte? exclusive.
Pre?tendant e?tre ou incarner l'Alge?rie, savoir et pouvoir plus que tout autre, il organise «son re?gne» loin de toute ide?ologie, sur le registre du «psychologisme» ou? le narcissisme et l'amour de soi n'admettent comme conditions de survie politique que la courtisanerie et la rhe?torique de l'alle?geance. Des cas logorrhe?iques de ve?ne?ration construits a? son endroit par ses proches pulluleront dans le dictionnaire politique alge?rien a? e?crire.
Ils feront rire, un jour, nos petits et arrie?res-petits-enfants. Un tel me?canisme de congratulation a? tout-va, parce que ne reposant sur rien de fondamental ou de foncier en rapport avec la grandeur nationale, ne peut e?tre rien d'autre qu'un terreau de l'esprit courtisan qui chasse naturellement l'esprit partisan, comme dans la «loi de Gresham» ou? «la mauvaise monnaie chasse la bonne». Lorsqu'elle se produit dans ce type circonstances, la chute de l'homme providentiel sera sa chute personnelle et individuelle.
Il est abandonne? par tous ceux qui l'acclamaient, de?sormais affaire?s a? rechercher e?perdument un clin d'?il du nouveau prince. C'est pathe?tique ! Mais c'est aussi cela la politique?
? Sur les plans moral et comportemental, l'incitation, a? travers la construction de re?seaux cliente?listes, a? la corruption et au non-travail qui cultivent l'anomie au sens «durkheimien», en tant que situation de de?re?glement social, d'absence, de confusion ou de contradiction des re?gles sociales. Une situation que l'esprit philosophique, transcendant le temps et l'espace, de?clinait ainsi au milieu du XVIIIe sie?cle (1748) : «L'ambition entre dans les c?urs qui peuvent la recevoir et l'avarice dans tous. Les de?sirs changent d'objet : ce qu'on aimait, on ne l'aime plus.
On e?tait libre avec les lois, on veut e?tre libre contre elles? Ce qui e?tait maxime, on l'appelle rigueur ; ce qui e?tait re?gle, on l'appelle ge?ne ; ce qui y e?tait attention, on l'appelle crainte? Autrefois, le bien des particuliers faisait le Tre?sor public mais pour lors, le Tre?sor public devient le patrimoine des particuliers. La Re?publique est une de?pouille et sa force n'est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous». Ce condense? d'ingre?dients psychosociaux qui a fait dans le «corps entier de l'histoire», la de?cadence des gouvernements et des peuples date du milieu du XVIIIe sie?cle.
A croire que c'est l'Alge?rie qui y est de?peinte ou tout autre pays, avec lequel, elle a ses vices, en commun. Ce n'est e?videmment pas le cas. Mais il y a la? des analogies qui annoncent tristement que l'Alge?rie d'aujourd'hui n'est pas a? une grande distance comportementale de la tombe de la vertu. «Plus d'Etats ont pe?ri parce qu'on a viole? les m?urs que parce qu'on a viole? les lois», avertissait Montesquieu.
C'est a? ce syste?me, vu sous toutes ses tares (premier complexe de facteurs), qu'on a voulu donner un visa explicite de reconduction a? travers le fameux 5e mandat. Et c'est a? l'interruption de ce syste?me que le peuple ?uvre, en opposant d'abord un «non» cate?gorique a? son illustre «symbole» et en demandant, ensuite, a? tous ses soutiens et courtisans de «de?gager». Il en re?sulte deux interpre?tations qu'il ne faut pas perdre de vue si l'on veut que la crise actuelle ne transforme les polarisations actuelles en futures oppositions :
? D'une part, le peuple a empe?che? Bouteflika de rempiler non pas a? cause de sa maladie ni parce que sa personne faisait l'objet d'un inde?sir populaire (me?me s'il peut y avoir des raisons pour qu'elle le soit), mais en raison de la nature du syste?me qu'il a repre?sente?, sans discontinuer, pendant vingt ans. Il y a de fortes raisons de penser que les Alge?riens auraient, de la me?me fac?on, barre? la route a? Bouteflika me?me s'il e?tait bien debout, sur ses deux pieds. Mais les conse?quences auraient e?te? vraisemblablement incalculables, de la part d'un homme qui se croyait nettement au-dessus du commun des mortels.
? D'autre part, le de?part de Bouteflika au nom de l'article 102 de la Constitution n'est pas une fin en soi, encore moins une de?charge de?finitive du mal pre?sent, parce qu'il n'est malheureusement pas synonyme de la fin du syste?me.
Le vaillant peuple alge?rien a bien compris cette lec?on. C'est ce qui explique le fait qu'il continue de lutter pour changer «l'ordre» qu'il juge anachronique, par rapport a? ses attentes me?me si Bouteflika ne fait de?sormais partie que de son passe? politique. Son e?veil est-il alors sa volonte? de correction profonde d'un «vieux syste?me» dont il semble posse?der les voies et moyens.
Une finalite? que les dirigeants inte?resse?s n'ont ni su, ni pu, ni voulu accomplir, de leur propre chef. Il n'est pas difficile de comprendre ce que veut le peuple, me?me si, a? l'instar de toute force naissante, il n'a pas encore de programme ni de vision formalise?e autre que celle de la ne?gation de son pre?sent politique. Il suffit d'e?couter ce qu'il revendique. Il s'agit, a minima :
? De l'installation d'une personnalite? consensuelle a? la te?te du Conseil constitutionnel.
? Du remplacement par cette me?me personnalite? du chef de l'Etat inte?rimaire actuel, qui est somme? de partir.
? De la de?mission du gouvernement Bedoui et la de?signation conse?quente d'un gouvernement consensuel compose? de nouveaux membres.
? De l'installation d'une commission inde?pendante charge?e d'organiser et de superviser l'e?lection pre?sidentielle, voire le report des e?lections pre?vues pour le 4 juillet.
Exprime?e en ces termes, la revendication populaire ne souffre aucune e?quivoque : le de?part de Bouteflika signerait le de?marrage du processus d'extinction d'un syste?me, compris comme la contestation de ses me?thodes et la chute de ses hommes. Mais certaines pre?sences actuelles, au plus haut niveau de l'Etat, tendent a? discre?diter la dynamique citoyenne de rupture ou a? la retarder le plus possible. A croire que la rue ne fut bruyante que pour bousculer certains hommes, en faveur d'autres a? l'inte?rieur de la me?me physiologie politique.
Ce changement morphologique dans la continuite? syste?mique pose un proble?me de taille. La raison en est que les dirigeants qui semblent se de?solidariser du sort de Bouteflika et campent sur leurs positions, en tournant le dos aux attentes du peuple, le font au nom de leurs devoirs et droits constitutionnels. A son tour, le peuple qui les somme de quitter leurs fonctions le fait e?galement au nom de ses devoirs et droits constitutionnels.
Cette partie de bras de fer produira vraisemblablement a? terme, un Comite? inde?pendant de sages (CIS) capable d'arbitrer et de faire accepter sa de?cision.
En ve?rite?, les personnes cible?es par l'e?veil populaire ne le sont qu'en tant que symboles d'un syste?me honni qui n'aurait re?ussi que l'e?chec e?conomique et social national. Par sa critique acerbe, le peuple en appelle indirectement a? un «ordre» ou? le politique, l'économique et le social seront des po?les autonomes, devant avoir, entre eux, des rapports d'interde?pendance et en aucune fac?on, comme on l'observe aujourd'hui, de fusion, d'absorption ou de vassalisation.
Le peuple aspire a? un progre?s e?conomique, social et e?cologique, sous la fe?rule d'un Etat authentique, qui serait a? son service exclusif et mu? non pas par le partage de la rente pe?trolie?re, mais par la compe?tence, l'inte?grite?, la loyaute?, la rigueur, le sacrifice, l'abne?gation, le de?vouement de ses enfants, autant de valeurs que la logique du pouvoir a e?touffe? des anne?es durant, au profit du vol, de la corruption, de la gabegie, de l'arbitraire, de l'insulte, de l'humiliation, de l'aventurisme politique, de l'absence de «redevabilite?» et, enfin, de l'ave?nement d'un e?tre politique national, dans toute la laideur qui lui sied a? ravir.
Les peuples n'ont que le gouvernement qu'ils me?ritent, aiment a? dire les philosophes. On espe?re qu'au peuple alge?rien en e?veil correspondra, a? court terme, un gouvernement nouveau et approprie? aux nouveaux de?fis, dans ses vision et me?thode. Aussi, ce qui se passe en Alge?rie n'est-il point a? de?plorer ; bien au contraire, il faut l'accueillir comme un signe de bonne sante? du peuple. «Si dans l'inte?rieur d'un Etat, vous n'entendez le bruit d'aucun conflit, disait Montesquieu, vous pouvez e?tre su?r que la liberte? n'y est pas.» ? A suivre


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