C'est l'été. Pas
un été indien, encore moins scandinave, mais un été algérien. Avec ses rituels,
ses repères et ses pénuries. Comment le reconnait-on
? A des signes qui ne trompent pas, sans lien avec la chaleur ni avec le
calendrier.
Le signe le plus spectaculaire est visible à
l'aéroport d'Alger. Il n'est pas lié à l'afflux des émigrés, ni à celui
d'hypothétiques touristes, mais à la pagaille qui y règne. Cette fois-ci, la
pagaille a pour origine une grève des personnels navigants, qui a complètement
bouleversé le ciel algérien. Vols annulés par dizaines, absence d'information,
personnel au bord de l'hystérie et voyageurs au bord de la crise de nerfs, tout
y est.
C'est aussi une excellente manière
d'accueillir le nouveau PDG d'Air Algérie, et de lui apprendre les bonnes
manières. Celui-ci, d'une seule formule, avait flingué son prédécesseur, en
disant qu'il voulait « reconstruire » l'entreprise. Implicitement, il accusait Wahid Bouabdellah d'avoir
déconstruit, ou détruit, Air Algérie. Eh bien, le nouveau PDG sait désormais à
qui il a affaire.
Pour ceux qui ne fréquentent pas les
aéroports, l'été algérien est perceptible dans les administrations. On y découvre
que le pays n'est pas en vacances, mais en vacance. Vacance d'autorité, de
décision, de responsabilité. Autrement dit, c'est le vide qui s'installe, et
qui menace de se prolonger avec le Ramadhan. Tout fonctionne au ralenti, quand
ce n'est pas la panne sèche.
A l'intérieur du pays, l'été, c'est aussi les
coupures de courant électrique. De plus en plus fréquentes,
de plus en plus longues, malgré les assurances répétées de Sonelgaz
et son très médiatique PDG. Officiellement, il n'y a pas de délestage.
Officiellement toujours, la production est suffisante, malgré l'augmentation de
la consommation. Officiellement encore, on se prépare pour exporter de
l'électricité. Mais ce qui se passe ressemble fort à du délestage, avec des
coupures alternées et régulières entre zones, les moins protestataires étant
les plus sacrifiées.
Mais ce n'est pas forcément du délestage.
L'incompétence y est, parfois, pour beaucoup. Et les conséquences peuvent être
dramatiques. A Ouled Djellal,
dans la wilaya de Biskra, ce fut l'émeute, avec un incendie au siège de Sonelgaz. Un acte inutile, commis pour des raisons
absurdes, mais on a vu des émeutes pour des motifs moins graves, comme ce
village détruit naguère à cause d'une coupure d'électricité pendant un match de
football.
L'été, c'est,
enfin, la saison du discours sur le tourisme. On parle de tourisme, on élabore
de belles stratégies, on publie de brillantes études sur la question ; des
bureaucrates du ministère et d'organismes publics expliquent, sur un ton docte,
comment tout a été mis en place pour assurer le succès de la saison touristique
; d'autres font de superbes analyses comparatives entre différents
destinations, de la Tunisie
à la Turquie,
en passant par la Grèce
et le Maroc ; et on interroge même les ministres sur leurs destinations
respectives, pendant que des statistiques sont publiées sur le nombre de
touristes fréquentant les plages. Des millions, dit-on. Des dizaines de
millions d'Algériens ont profité de l'été pour jouer aux touristes. Ce sont eux
qui annoncent vraiment l'été.
Mais qui sont ces
touristes ? En épluchant les chiffres fournis par les bureaucrates, on découvre
qu'ont été recensés comme touristes ces milliers de jeunes qui se rendent à
bord de bus surchargés de Sétif à Béjaïa, le matin,
pour revenir l'après-midi, écrasés par la chaleur et la fatigue. Figurent aussi
dans les statistiques ces milliers de jeunes qui font le trajet Chlef – Ténès à bord de mobylettes, et ceux qui font un
détour par la plage après avoir vendu une camionnette de pastèques au marché de
gros de Boufarik. Enfin, sont considérés comme touristes chanceux ceux qui, par
milliers, errent sur le parking de Sidi Fredj avant
de diner d'un sandwich omelettes-frites
chez El-Oustadh, le plus célèbre restaurateur de la
place, pour assister à un concert au fameux Casif.
Tous ces gens qui tentent d'atténuer la laideur de journées pénibles, en
cherchant un peu d'évasion dans des endroits supposés en offrir, qui courent
après un coin d'ombre ou un peu de joie, font l'été algérien. Un été qui, pour
une fois, n'est pas dominé par des rumeurs sur un remaniement de gouvernement,
ni sur des changements au sommet de l'état, ni sur la révélation d'un nouveau
scandale.
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Posté Le : 14/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com