Algérie

Un état de siège masqué



D’abord, et en violation des articles 91 et 92 de la Constitution, l’état d’urgence est limité dans le temps et n’est reconduit que sur vote du Parlement ; ensuite, il doit s’accompagner d’une loi organique faute de laquelle c’est le droit international – pactes onusiens signés par l’Algérie – qui précise les conditions et les garanties des citoyens dans une situation anormale. Pour rappel, depuis son instauration le 9 février à 20h par décret présidentiel, l’état d’urgence a été automatiquement renouvelé durant 19 ans, sans recourir au vote parlementaire. L’absence de loi organique, pourtant ressentie comme un handicap même par l’état-major militaire en 1988 lors de l’application de l’état de siège, a ouvert la voie à de graves dérapages juridiques : la promulgation d’arrêtés interministériels non publiables le 10 février 1992 et le 25 juillet 1993. Le corpus «légal», né de l’enchevêtrement des trois textes a, selon le rapport de la commission Issad sur les émeutes en Kabylie en 2001, fait glisser de façon «subtile» l’Algérie de «l’état d’urgence à l’état de siège». Le décret présidentiel du 9 février 1992 a habilité l’autorité civile (le ministre de l’Intérieur et les walis) à prendre des mesures de «préservation et de rétablissement de l’ordre». L’autorité civile «peut seulement confier par délégation à l’autorité militaire la direction des opérations de rétablissement de l’ordre». Mais l’arrêté interministériel du 10 février a paradoxalement restreint ces prérogatives en limitant la responsabilité du ministre de l’Intérieur à celle du «maintien de l’ordre» et fait des six commandants des Régions militaires (et du commandant des forces terrestres pour Alger) «les autorités militaires délégataires chargées de la direction des opérations de rétablissement de l’ordre». La commission Issad note dans son rapport, présenté fin 2001 au président Bouteflika, que cet arrêté «est contraire au décret du 9 février, ce qui est une violation de la règle de la hiérarchie des normes». Ensuite, l’arrêté non publié du 25 juillet 1993 a ajouté à cette confusion : la «délégation est donnée aux commandants des Régions militaires (…) à l’effet de diriger les opérations de rétablissement de l’ordre liées à la lutte contre le terrorisme». Selon la lecture de la commission Issad, le troisième texte autorise deux interprétations : la première, s’inspirant de l’esprit du décret portant instauration de l’état d’urgence, fait du «pouvoir civil» l’ordonnateur des opérations de rétablissement de l’ordre liées à la lutte antiterroriste, la deuxième étendrait les compétences de l’autorité militaire à l’appréciation de l’opportunité de pareilles opérations. La conséquence la plus frappante de cette confusion est la difficulté de préciser les responsabilités dans les cas d’opérations de «maintien» ou de «rétablissement de l’ordre». L’enchevêtrement des compétences rend impossible la détermination des responsabilités, du moins dans les textes. L’impunité des commanditaires des tirs fatals en Kabylie en 2001 en est le plus significatif des exemples.
 


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