Premier film documentaire sur les crimes policiers perpétrés après les manifestations en faveur de l’indépendance de l’Algérie du 17 octobre 1961, Octobre à Paris sortira bientôt en salles après une longue période de censure.
C’est « la fin d’une censure insupportable » annonce Mehdi Lallaoui, écrivain, réalisateur et président de l’association Au Nom de la Mémoire, impliqué depuis plus de vingt ans en faveur de l’égalité des droits et de la lutte contre le racisme.
Avec quelques autres militants et la société de distribution Les Films de l’Atalante, il a obtenu la sortie en salles du documentaire de Jacques Panijel, Octobre à Paris. Diffusé dans la confidentialité, le film était censuré depuis cinquante ans, l’auteur poursuivi, ses bobines détruites.
Son crime? Avoir filmé, le premier, les lendemains de la manifestation sanglante du 17 octobre 1961. Organisée à l’appel de la Fédération de France du FLN pour protester contre un couvre feu discriminatoire et réclamer l’indépendance de l’Algérie, cette marche pacifique (près de 30 000 personnes réunies à Paris) fut violemment réprimée sous l’autorité du préfet de Police de l’époque, Maurice Papon.
Les historiens évoquent onze mille arrestations, des dizaines d’assassinats, des manifestants jetés dans la Seine, des centaines d’expulsions et autant de plaintes restées sans suite ; pour une nuit qui allait devenir un point aveugle du Récit national. Pas d’enquête, pas de procès et encore moins de commémoration : « Un oublié de l’Histoire » auquel ce film offrira une nouvelle visibilité à l’occasion des cinquante ans de la répression.
Une « préface filmée » avant les projections
Financé avec les fonds du Comité Audin (collectif d’intellectuels engagés contre l’Algérie française) Octobre à Paris a été tourné à la fin du mois d’octobre 1961. Composé de captations documentaires, d’interviews de manifestants et de reconstitutions, le film a été censuré dès 1962 et Jacques Panijel menacé de poursuite. La fin de la guerre d’Algérie ne signifia pas pour autant la levée de l’interdiction: la Police intervenait dans les cinémas où le film était projeté, et confisquait les bobines.
« C’est seulement en 1973 que la situation s’est débloquée, explique Mehdi Lallaoui aux Inrocks. Après la grève de la faim du cinéaste et ancien résistant René Vautier, le film a obtenu son visa d’exploitation, il pouvait enfin être montré ».
Mais c’est son réalisateur qui s’est opposé à une diffusion : le film avait vieilli, la France avait changé, et il réclamait d’ajouter à Octobre à Paris une longue « préface filmée » qui poserait le contexte de l’époque –et le projet fut abandonné.
C’est après le décès de Jacques Panijel en 2010 que la société de distribution Les Films de l’Atalante a négocié la diffusion d’Octobre à Paris avec les ayants droit. Auteur d’un documentaire consacré aux évènements du 17 octobre 1961 (Le Silence du fleuve) Mehdi Lallaoui a lui-même réalisé l’introduction du film:
« Un avant-propos de 15 minutes pour expliquer le contexte de l’époque, remettre en perspective la guerre d’Algérie et ce déchaînement de haine raciste qui s’est abattu sur les manifestants.»
Un « effet Indigènes » ?
La sortie du film de Jacques Panijel coïncidera donc avec le cinquantenaire des manifestations réprimées dans le sang. Une date évidemment symbolique pour Mehdi Lallaoui et son association Au Nom de la Mémoire (cofondée par la journaliste et éditrice Samia Messaouid et l’historien Benjamin Stora) qui lutte depuis des années pour la reconnaissance de ce « crime d’Etat, perpétré par Maurice Papon avec le consentement du gouvernement de l’époque ». Le cinéaste se félicite de « la mise en partage du film » et espère que sa diffusion permettra de rouvrir un débat enterré par les gouvernements successifs.
« Beaucoup d’archives ont disparu, les plaintes déposées ont été rejetées, explique-t-il. Ce que nous demandons, c’est une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat, comme pour la Rafle du Vel’ d’Hiv sous Chirac en 1995, ou les soldats fusillés pour l’exemple réhabilités par Jospin en 1997. »
Si l’enquête citoyenne a déjà été réalisée, via de nombreuses publications (dont Une nuit d'octobre aux éditions Alternatives) et documentaires, l’effort de mémoire doit être « politique » désormais selon Mehdi Lallaoui, qui s’étonne encore que l’on puisse « tuer des gens impunément dans une démocratie ».
Il espère que la sortie du film (le 19 octobre prochain) permettra d’accélérer une démarche de reconnaissance de l’Etat. Pourquoi pas un « effet Indigènes », mais « sans le déferlement de bêtise des nostalgiques de l’Algérie », précise-t-il.
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Posté Le : 17/06/2011
Posté par : infoalgerie
Ecrit par : Romain Blondeau
Source : www.lesinrocks.com