«Ceux qui pensent
en rond ont les idées courbes». Léo Ferré
Au lendemain du
discours prononcé par M.Bouteflika, le logiciel bien rodé, bien algérien s'est
mis en branle, sans aucune surprise. Et c'est là un des drames algériens bien
caractéristique du kéchinisme fondateur de nos constantes. Tout et chacun sont
prévisibles, convenus et relèvent de l'exercice qui pouvait être tenu un jour
ou une semaine avant l'allocution du chef de l'Etat.
Il y a les
exégètes des textes laudateurs qui feraient mourir de jalousie les courtisans
des cours royales du moyen âge européen où le roi était d'essence divine.
Fidèles aux «constantes» qu'ils pensent être les nôtres, dopés aux «valeurs»,
d'un passé révolu avec lequel ils veulent faire l'avenir sans rien demander aux
populations, ils ont psalmodié selon le rituel archi usé tout le bien qu'ils
pensent du programme qui n'est pas le leur mais qu'ils soutiennent voulant
faire partager ce qu'ils croient être pertinent, indépassable. Les pistes
annoncées seraient d'une clarté aveuglante, leur portée si lointaine qu'elles
concernent les années 2243 et les acteurs et institutions chargés de les
défricher sont ce qui se fait de mieux avec bac+17 des plus grandes universités
anglo-saxonnes.
Les
thuriféraires, qu'ils soient clercs, apprentis meddahs ou hérauts des souks
arabes se recrutent dans deux aéropages où la consanguinité fait des ravages.
Le premier est composé de chasseurs aguerris, blanchis sous le harnais qui
coupent les têtes qui dépassent, les langues qui critiquent, arrachent les yeux
qui ne voient pas le bien aveuglant, officiel, validé par les institutions et
dont les ténors, n'osent même pas, pour se légitimer aller à une élection
locale dans une mairie de 29 habitants. Le second collège recrute dans les
médias et journaux étatiques, dans des quotidiens et périodiques privés
descendants directs de la Pravda qui elle, se battait dans un monde à deux
blocs. Il recrute partout où la rente alimente des partis, des associations
épisodiques, où se distribue une quote-part de parlementaires, dans
l'administration. Mais comme dirait l'autre «tout ce qui est excessif est
insignifiant»! Ce beau monde ne sait que trop le mal qu'il fait en accompagnant
un discours et les boulets mis aux pieds de son auteur. Les courtisans ont
aussi des missions! Sur l'autre versant, l'exercice tout naturel et tout aussi
convenu ne s'est pas fait attendre, sans aucune circonstance atténuante pour un
homme qui est apparu fatigué, obligé de sacrifier à un rite classique mais très
attendu par le pays et les grandes puissances, celles qui «estiment»,
«pensent», «suggèrent», «apprécient», «évaluent» dans le silence d'église des
partis de la majorité en Algérie. Ailleurs la classe politique parle librement,
y compris de politique étrangère. L'opposition dans son rôle n'a trouvé aucune
proposition positive, aucun progrès même théorique dans les propos de
M.Bouteflika. Ce dernier ne chercherait qu'à faire gagner du temps au système
et à le reproduire puisqu'il est chargé lui-même de se réformer. S'il en était
capable, il l'aurait fait et il aurait conforté ceux qui excluent l'existence d'une
crise politique, donc la nécessité d'une réforme. M.Bouteflika a donc contredit
dans le fond deux formations de sa majorité tout en lui concédant l'exécution
des réformes. La majorité et l'opposition sont cependant d'accord, selon des
aunes différentes en un seul point: l'intérêt national. Pour la majorité, il
lui revient parce qu'elle est omnisciente, presque divine, ayant les sciences
infuses et vaccinées contre l'erreur, de rester au pouvoir et d'emmener
l'Algérie et les Algériens au paradis sans les consulter. L'opposition estime
que le pouvoir a consommé tous les échecs et que l'heure de l'alternance et de
la démocratie a sonné pour un changement radical et consensuel de cap.
La question posée
et simple, décisive: le pouvoir peut-il seul réformer, satisfaire les
diversités nationales et se conformer, c'est le mot, aux normes universelles
des libertés, de participation active, d'élections sincères, d'égalité des
sexes, de justice sociale, ou bien le faire avec toutes les compétences, sans
exclusives, du pays?
Quitte à répéter
des évidences, à redire des vérités que certains, au pouvoir, occultent
volontairement ou feignent d'en ignorer la patience, l'Algérie se trouve à un
moment décisif pour elle, dans un paysage arabo-africain en rapide mutation, qui
vit de vraies révolutions au sens que rien ne sera plus comme en 2010, avec les
mêmes gouvernances, les mêmes appareils partisans, les mêmes configurations
militaires et les orientations qui ont fait faire une pleine collection
d'échecs, de drames, de guerres civiles, de destructions, de régressions
colossales. Depuis les indépendances politiques, piégées pour certaines dès le
début, de nombreux pays ou plutôt des directions issues du mouvement national
ont systématiquement pris le mauvais chemin. Pour le pouvoir et l'argent, les
privilèges et la fakhfakha, par l'arrogance et le mépris. L'Algérie n'a pas
échappé au scénario arabe et africain dans lequel on choisit pour les citoyens,
avec des résultats catastrophiques.
Au nom de la
légitimité historique, on a nié les urnes et les droits de l'homme. On a
décrété comme une sourate les «constantes», «les valeurs spécifiques à notre
histoire», nos «traditions culturelles» etc. Or, et c'est un des fondements
majeurs des crises vécues par l'Algérie, ces «constantes», «ces valeurs», ces
traditions ne sont pas les nôtres, mais les leurs. Celles des décideurs
omniscients qui veulent, à ce jour, faire le bonheur des gens sans se soucier
de leur avis, une république sans véritables élections, une démocratie managée
par des appareils que le seul mot révulse, le pluralisme avec une pensée
unique, une culture à base de recettes de douars, avec des sectes archaïques
qui savent mieux que tous les Algériens le film, le théâtre, le livre, la
chanson, la T.V. qu'il leur faut. Heureusement que l'histoire s'accélère, que
le monde arabe est en ébullition, que l'Algérie est au cÅ“ur de la Méditerranée,
du Sahel, du Maghreb, de l'Afrique. Elle est concernée, directement touchée. Ou
elle est l'architecte de son avenir ou bien elle subira vaille que vaille les
structurations qui seront imposées par ceux qui nous vendent la nourriture, les
armes, les médicaments, les avions, les voitures, les trains, les matériels
médicaux, les films, les vêtements et les soins qu'ils prodiguent à nos
gouvernants et à nos riches. Ces pays travaillent pour se libérer des énergies
fossiles alors que nous devons manger, nous soigner, nous transporter, et faire
joujou avec des armements qu'ils fabriquent pour nous.
Les «valeurs» des
populations ne sont pas forcément celles des dirigeants politiques qui n'osent
même pas aller à une élection communale, de wilaya, législative ou au niveau
d'un ordre ou d'une corporation. Dans ce tableau, indiscutable, depuis 1962,
contrairement à celui que nous peignent hâbleurs, commerçants de l'informel
politique et faiseurs de notre bonheur contre nous, M. Bouteflika a fait un
discours qui est un verre à moitié vide pour les uns et à moitié plein pour
d'autres. L'entreprise, la jeunesse, l'Etat de droit, les droits de l'homme,
les compétences (dont l'exode, celui de milliers de cadres, coûterait 40
milliards de dollars), la représentation politique et associative et toutes les
pistes évoquées méritent autre chose qu'un discours. Un exemple : les pouvoirs
publics se mêlent en matière de presse d'éthique, ce qui est de la seule
responsabilité de la profession. La réforme vitale implique la vraie séparation
des pouvoirs, des médias privés et publics autonomes, la fin des monopoles et
de la pensée unique qui tombe de l'Olympe etc. Une affaire à suivre ou le statu
quo mortel?
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Posté Le : 21/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com