Algérie

Un demi-siècle après, l’assassinat de Khemisti n’est pas encore élucidé.



Un demi-siècle après, l’assassinat de Khemisti n’est pas encore élucidé.
Il y a cinquante ans, le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Khemisti, est assassiné sur le perron de l’Assemblée nationale. Bien que les versions divergent sur les motifs de cet assassinat ignoble, il n’en reste pas moins que la façon dont le pouvoir de l’époque a cherché à dissimuler la vérité laisse planer un doute sur la version officielle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que quand on cherche à étouffer une affaire, il y a immanquablement des zones d’ombres qui entourent l’affaire. De toute évidence, malgré l’arrestation du meurtrier, la version officielle –ou du moins celle que le grand public connait –ne satisfait que l’équipe dirigeante. Et la gestion opaque de cette affaire va laisser la voie libre aux diverses supputations.

Toutefois, après près de quatre décennies, deux femmes, Mme Memiche Fatima et Hassiba Benyellès, tentent de reconstituer le puzzle. Qui sont-elles ? La première est la veuve de Mohamed Khemisti et la seconde est la cousine par alliance du meurtrier, Mohamed Zenadi. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, un rappel laconique du parcours de Mohamed Khemisti est requis. En fait, dès son jeune âge, comme l’ont fait les jeunes de sa génération, Khemisti s’engage dans le mouvement national. Incontestablement, les injustices coloniales sont telles que ces jeunes épris de justice pensent à en découdre avec le système colonial. Du coup, le natif de Maghnia adhère naturellement au parti indépendantiste, le PPA-MTLD. En France, où il poursuit ses études, Khemisti devient un véritable meneur du syndicat estudiantin, l’UGEMA. Après le déclenchement de la lutte armée, celui-ci devient une pépinière de cadres. Lors du congrès de l’UGEMA en mars 1956, où Khemisti joue un rôle capital, plusieurs décisions sont prises. La plus importante est relative à l’engagement des étudiants dans la bataille.

Par ailleurs, après un séjour dans les geôles françaises, entre 1957 et 1960, le futur ministre des Affaires étrangères reprend aussitôt le service. Il est désormais chargé de la collecte des fonds, en Europe, au profit de la révolution. En mars 1962, il intègre l’exécutif provisoire. Incorporant, dans le premier temps, la commission des affaires économiques, dirigée par Belaid Abdeslam, il est ensuite désigné directeur de cabinet de Abderrahmane Farès, le président de l’exécutif provisoire. Néanmoins, sans s’attarder sur la crise de l’été 1962, Khemisti, originaire du même patelin que Ben Bella, rejoint la coalition Ben Bella-Boumediene. Doté d’un niveau politique assez élevé, il est nommé, le 29 septembre 1962, ministre des affaires étrangères du premier gouvernement de l’Algérie indépendante. Malgré un président omniprésent voulant s’occuper de tout, Khemisti travaille énormément sur les dossiers relevant de sa compétence. D’ailleurs, une semaine avant son assassinat, il a effectué une longue tournée au moyen orient.

Malheureusement, à son arrivée en Algérie, le destin lui réserve une fâcheuse surprise. Ce 11 avril 1963, alors qu’il s’apprête à rejoindre sa femme l’attendant dans sa voiture, un énergumène le blesse grièvement. Deux semaines plus tard, Khemisti succombera à ses blessures. Son meurtrier a-t-il été chargé de mission ou a-t-il voulu régler ses comptes ? D’après les deux femmes déjà évoquées, la deuxième alternative est à écarter. Selon la moudjahida Benyellès, à qui le meurtrier a volé l’arme, rien n’indiquait que ce journaliste, travaillant au quotidien le peuple, puisse commettre un tel crime.

Quoi qu’il en soit, au lieu de consoler la famille de la victime, le pouvoir politique en place amplifie la douleur. En effet, ce qui blesse la famille Khemisti, au-delà de la perte de l’un des leurs, est indubitablement la manière dont l’affaire est traitée. Bien que le criminel soit entre les mains de la justice, les déclarations de Ben Bella entravent le travail des enquêteurs. Pire encore, la justice aux ordres va classer le dossier en mettant en exergue la thèse « de l’assassinat du ministre des Affaires étrangères pour un mobile de droit commun », s’indigne la veuve Khemisti. Plusieurs décennies plus tard, Ben Bella récidivera, lors d’une interview à El Djazeera, en affirmant que « Mohamed Khemisti avait été tué par l’ancien fiancé de sa femme ». Or, d’après la veuve Khemisti, la mort de son mari relève d’un crime politique. « Mon défunt mari m’avait confié, furieux, quelques jours seulement avant sa mort qu’il avait l’intention de démissionner du gouvernement à cause d’un désaccord avec le régime d’Ahmed Ben Bella », déclare-t-il à un quotidien national en mars 2011.

Pour conclure, il va de soi que la justice a failli à son devoir, et ce, d’autant plus que l’assassin a été arrêté. Cela dit, il est un secret de polichinelle que le pouvoir judiciaire est soumis à un chantage du pouvoir exécutif. En tout cas, cette affaire n’a pas grandi ni la justice ni les hommes qui ont empêché celle-ci de travailler librement. D’ailleurs, l’assassinat déguisé en suicide de Mohamed Zenadi, juste après le coup d’État de juin 1965, étaye, si besoin est, l’hypothèse selon laquelle la mort Khemisti comporte des zones d’ombre. En tout cas, s’il ne s’agit pas d’un crime politique, on ne pourra la qualifier de crime passionnel. « Cette histoire de crime passionnel, c’est scandaleux, il [Ben Bella] a trainé la famille Khemisti dans la boue », conclut Hassiba Benyellès. Enfin, ce premier assassinat d’un dirigeant de la révolution, sans que justice ne soit faite ni que la vérité soit rendue, va inaugurer une période où les différends politiques sont réglés sans le recours à la voie légale.

Ait Benali Boubekeur


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