L'entretien est
long mais il vaut absolument le détour. Il y est question du choix
technologique à faire par l'Algérie - et par les autres pays maghrébins - dans
le domaine des énergies renouvelables. Kamel Mostefa- Kara, directeur de l'Agence nationale des
changements climatiques, explique pourquoi la voie allemande dite des «tours
solaires à effet cheminée» est la «clef technologique» pour l'avenir. L'investissement
dans le photovoltaïque par Sonelgaz n'est, selon lui,
qu'une exécution des décisions du ministère de l'Energie «où l'on observe une
absence de réflexion sur le modèle énergétique futur et un manque de visibilité
et de transparence sur les coûts et les prix réels du KWh».
L'Algérie vient de
dévoiler son plan de développement des énergies renouvelables, les débats
portent sur le choix technologique qui convient le mieux au pays. Quel est
votre avis ?
Ce plan intervient
à un moment particulièrement crucial. Une période historique de transition
énergétique et de menace climatique, avec un pic pétrolier correspondant au
déclin inéluctable des hydrocarbures, des émissions massives de gaz à effet de
serre produites par la combustion des énergies fossiles ne cessent
d'augmenter rapidement et dangereusement. La catastrophe du Japon vient
rappeler que le nucléaire ne peut constituer une solution de masse pour la
planète. Pour compléter ce tableau, le printemps arabe annonce que les
consciences citoyennes sont en mouvement et en mutations profondes, tout cela
augure d'un monde nouveau favorable à l'espace arabe et africain. Concernant le
choix technologique incontournable à effectuer, il existe une troisième voie de
domestication du rayonnement solaire, assez méconnue et plus récente que les
deux autres voies, plus anciennes, que sont le «photovoltaïque» et les
technologies dites «miroir». Cette troisième nouvelle voie porte en elle un
potentiel plein de promesses pour notre pays et pour l'Afrique en général : les
«tours solaires à courant aérien ascendant», dites «tours solaires à effet
cheminée». C'est une technologie redoutable et révolutionnaire, d'une
simplicité, d'une robustesse et d'une efficacité remarquables, associées à un
coût très abordable, ce qui n'est pas le cas des autres technologies. Le
principe de fonctionnement de cette technologie est celui, simple, de
l'ascendance de l'air chaud par rapport à l'air froid. L'air est chauffé par le
rayonnement solaire dans une serre circulaire à la base d'une tour ; celle-ci, située
au centre de la serre, évacue l'air chaud par le haut, ainsi des turbines
situées à la base de la tour, transforment l'énergie mécanique de l'air en
énergie électrique. Les avantages et les points forts de cette technologie sont
nombreux. Elle est la seule, par ses atouts intrinsèques, en mesure de rendre
possible une industrie énergétique solaire productrice d'électricité verte en
masse. Elle fonctionne de jour comme de nuit, n'a pas besoin d'eau de
refroidissement ; son fonctionnement et sa maintenance sont simples, sa
robustesse et sa longévité remarquables, son intégration aux économies locales
est très forte du fait de la simplicité de ses matériaux de construction (principalement
béton et verre ordinaire). Une comparaison détaillé et précise des trois voies
technologiques citées permet de conclure que la technologie des tours solaires
à courant aérien ascendant domine très largement les deux autres anciennes
voies. Ces dernières n'ont jamais permis l'émergence de la solution énergétique
solaire à cause de leurs nombreux handicaps dont l'intermittence de production
due à l'intermittence du soleil, les besoins énormes en eau de refroidissement
et une très grande fragilité face aux conditions rudes des déserts ; handicaps
associés à une grande complexité qui nous laisserait dépendants en permanence
des industries du Nord. Il faut bien prendre conscience que cette troisième
voie constitue une véritable «clé technologique» qui a
la capacité de nous faire effectuer le saut tant attendu vers une ère post-carbone.
C'est une révolution technologique profonde en perspective. C'est cette notion
de «clé technologique» qu'il est important de retenir de mon message ! Cette
technologie se rapproche de très près de l'idée de «mouvement perpétuel»
associée à un coût très abordable, une simplicité et à une robustesse avérées. Toutes
ces raisons objectives me poussent à intervenir dans ce débat technologique
solaire crucial pour notre pays, d'autant plus qu'en tant que directeur général
de l'Agence nationale des changements climatiques, cela fait de nombreuses
années que je tente de sensibiliser nos autorités à l'importance de la relation
étroite due aux émissions de gaz à effet de serre, entre climat et énergie !
Sonelgaz a investi et
continue d'investir dans le photovoltaïque. Un commentaire ?
Le rôle de Sonelgaz est de couvrir et d'anticiper les besoins
énergétiques nationaux à court, moyen et long termes. Cette entité importante
de notre économie pourrait même avoir plus d'ambition en visant un rôle de
grand groupe énergétique international de premier plan et elle en a les moyens.
Sa stratégie devrait tenir compte de la mutation énergétique mondiale en cours
et privilégier les alternatives énergétiques vertes de masse. Hélas, nous
constatons bien que Sonelgaz n'a pas de stratégie
propre et exécute simplement ce que décident les autorités et notamment le
ministère de l'Energie ; département où l'on observe qu'il n'y a pas de ligne
directrice claire, déterminée et étayée, une absence de réflexion sur le modèle
énergétique futur, un manque de visibilité et de transparence sur les coûts et
les prix réels du KWh. Cette opacité permanente est très préjudiciable pour ce
secteur vital et prépondérant de notre économie. Certes, récemment Sonelgaz a commencé à manifester un intérêt pour les
énergies renouvelables, mais les choix et les options d'investissement
continuent de se faire dans l'opacité et la confusion qui caractérisent le
secteur de l'Energie ; certains responsables de ce secteur clé restent enfermés
dans les schémas anciens de «la rente hydrocarbure», d'autres «pérorent» sur
notre capacité à maîtriser l'atome au moment même de la tragédie nucléaire de
Fukushima ; certains admettent tout de même qu'il serait temps d'exploiter le
gisement solaire colossal de notre Sahara, car ils sentent bien l'intérêt
manifeste des Européens pour celui-ci, surtout du côté germanique.
Le centre de
décision de ce secteur stratégique reste mou et hésitant malgré l'accélération
actuelle des événements dans ce domaine et ouvert à diverses influences qui ne
vont pas toujours dans le sens de l'intérêt premier de l'Algérie. Ce choix du
photovoltaïque de Sonelgaz ne correspond à aucun
motif objectif de nécessité nationale, il traduit bien les méthodes de
fonctionnement du système actuel.
Certains experts
trouvent judicieux d'intégrer le plan algérien de développement des énergies
renouvelables dans un projet plus vaste à l'exemple de Desertec.
Que pensez-vous ?
Dès 1961, l'idée
d'un réseau méditerranéen émaillé de centrales d'énergie solaire a vu le jour
avec l'éminent Professeur feu Marcel Perrot qui en fut parmi les pionniers, il
fondait à cette période la
COMPLES (Coopération Méditerranéenne pour L'Énergie Solaire) dont
le siège social fut d'abord à Alger et dont je fus un temps le vice-président
et président de la section d'Alger (1974). Le projet allemand Desertec n'est rien d'autre qu'une continuité du projet de la COMPLES et nous pouvons également citer le projet français Transgreen, Notre plan solaire national doit s'insérer et
trouver sa place dans ces projets transcontinentaux. Notre stratégie doit avoir
de l'ambition et s'assigner un objectif d'essor industriel d'envergure
continentale et même mondiale. Seulement, nous ne devons pas nous laisser
imposer des technologies non adaptées à nos contrées et qui nous laisseraient
dépendants du Nord. Ma conviction demeure que la technologie des tours solaires
à courant aérien ascendant porte en elle les germes d'une industrie solaire
proprement algérienne et africaine, utilisant les moyens humains et matériels
locaux, génératrice de plusieurs centaines de milliers d'emplois, génératrice
d'énergie verte à profusion pour l'ensemble du contient africain et au delà, une
industrie pourvoyeuse de bien-être économique, social et écologique.
Peut-on parler
d'une stratégie maghrébine pour développer les énergies alternatives ?
Au vu de l'impasse
climatique qui se pose parallèlement à l'amenuisement des ressources
énergétiques fossiles, au vu des besoins énergétiques mondiaux sans cesse
croissants et de l'impasse que constitue l'énergie nucléaire, il faut non
seulement une stratégie maghrébine mais également africaine. Les Algériens ne
doivent pas se laisser aveugler par leur confort énergétique actuel, ce serait
une grave erreur ! Le futur énergétique du monde s'élabore aujourd'hui. Il se
dessine avec les «smart grid» et les technologies de
transport énergétique du futur (comme les supraconducteurs), avec les réseaux
électriques intelligents, les nanotechnologies et les technologies liées à
l'hydrogène, avec les énergies propres et renouvelables et les biocarburants…
La «clé technologique» que constituent les tours solaires à
courant aérien ascendant, n'est aujourd'hui pas prise en compte par les
Africains et semble en apparence négligée par les Européens. Mais ne nous y
trompons pas, il y a une véritable compétition sourde et mondiale à son sujet !
C'est une
technologie allemande, pays de la rigueur et premier au monde dans le domaine
du solaire. Son concepteur et inventeur le professeur Jorg
Schlaich avec son bureau d'étude de Stuttgart SBP (Schlaich Bergermann und Partner) sont reconnus
mondialement. Les équations fondamentales et les données du prototype espagnol
de Manzanares sont maîtrisées depuis un certain nombre d'années, la maturité et
la sûreté de cette technologie ne font aucun doute.
Par contre, il
n'est pas certain que ce soit dans l'intérêt de certains puissants conglomérats
européens qu'une telle technologie émerge. C'est aux Africains en général et
aux Algériens en particulier à s'approprier et à défendre cette technologie
solaire révolutionnaire, les pays industrialisés ne le feront pas, ils ont déjà
trop lourdement investi dans les deux premières voies solaires citées plus haut,
filières qu'ils veulent aujourd'hui rentabiliser coûte que coûte.
A l'inverse, les
Chinois sont dans la course et prennent les devants. Ils ont terminé en
décembre 2010 la construction d'un prototype quatre fois plus puissant que
celui de Manzanares du professeur Jorg Schlaich, dans le Jinshawan en
Chine du Nord, dans la région autonome de la Mongolie intérieure. Ils
ont également entamé la construction d'un modèle de 40MW qui s'achèvera en 2013.
Si nous comprenons cet enjeu de «clé technologique» lié aux tours solaires à
courant aérien ascendant, notre pays, par sa position centrale, peut devenir le
point de départ de l'émergence énergétique solaire en Afrique du Nord, qui
s'étendra à l'ensemble du contient africain et à l'espace euro-méditerranéen.
Les événements et
les initiatives extérieures nous poussent et convergent vers cette destinée. Cette
technologie demeure la seule en mesure de nous faire relever ce défi
énergétique par une impulsion industrielle algérienne et africaine, la balle
est dans notre camp !
Quel est l‘avenir
du nucléaire comme choix énergétique, à la lumière de ce qui s'est passé à la
centrale nucléaire de Fukushima ?
Une nouvelle
vision et une nouvelle réflexion s'imposent au monde. Pour l'Algérie, rappelons
brièvement les handicaps importants et contraignants concernant le nucléaire : sismicité
au Nord, ressources en eau rares, faiblesses institutionnelles, technologiques
et scientifiques et combustible nucléaire enrichi à importer, ce qui augmente
le coût déjà élevé de la technologie. Je comprends qu'un pays comme la France discute de la question
de l‘avenir du nucléaire comme choix énergétique, c'est un pays lourdement
impliqué dans la filière nucléaire. Les Français ont du mal à accepter cette
remise en cause fracassante induite par le drame de Fukushima. Par contre, je
trouve cocasse et en même temps tragique que certains de nos responsables
s'obstinent à imaginer cette option nucléaire pour notre pays, ignorant
superbement un gisement énergétique solaire considérable que beaucoup de pays
nous envient et à l'heure où l'Allemagne, pays technologiquement très avancé, fait
le choix de sortir complètement du nucléaire. Bien évidemment, notre recherche
scientifique dans le domaine nucléaire doit naturellement s‘approfondir, mais
il s'agit aujourd'hui de trouver une solution énergétique de masse et dans ce
contexte, cette option nucléaire est absolument inenvisageable et pure folie.
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Posté Le : 03/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Djouadi
Source : www.lequotidien-oran.com