Algérie

Un contre-pouvoir à l'intérieur de l'Etat




Mohamed Salah Mentouri, qui avait dirigé cette institution consultative de 1996 jusqu'à mai 2005, date de sa démission, est devenu, en raison des recommandations très critiques à  l'égard des politiques gouvernementales, l'homme qui dérange et donc qu'il faut abattre. Les rapports de conjecture sur la situation économique et sociale du pays qu'il présente font trembler l'Exécutif. Ils balayent d'un revers de la main les discours pompeux et trompeurs du gouvernement.
Dès sa nomination à  la tête du CNES, l'homme, fort de son expérience et de sa maîtrise des questions économiques et sociales, a voulu imprimer à  l'institution une démarche critique vis-à-vis de l'Exécutif. Pour ce faire, il a dû se battre pour que son institution ne soit pas soumise au gouvernement. En son temps, le CNES avait gagné en crédibilité. Il était devenu une voix discordante rompant avec la culture du discours triomphaliste. Chacune de ses sessions est devenue un évènement politique majeur dans le pays. Lors de sa 20e session au Palais des nations, M. Mentouri avait déclaré que le CNES se défend de «se complaire dans un rôle peu reluisant de chambre d'enregistrement relayant obséquieusement le discours officiel et prodiguant des satisfecit onctueux auxquels la réalité   apporterait des démentis cinglants quotidiens». Ali Benflis, alors chef de gouvernement, avait quitté la salle sans prendre la parole. Les divergences commencent alors à  apparaître sur la liberté de ton que s'est accordé Mohamed Salah Mentouri. L'Exécutif supporte mal les critiques et les contradictions que lui apporte le CNES. Son attitude critique lui a valu toutes sortes d'attaques et de pression venant de l'intérieur du sérail.  Abdelmadjid Azzi, ex-secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs retraités et membre du CNES à  l'époque, s'en souvient. «Il subissait des pressions et à  chaque fois, il en avait marre. Il a tout le temps refusé à  ce qu'on lui dicte la conduite à  tenir. Il était d'un tempérament qui ne se laissait pas faire», témoigne M. Azzi.
En parfait connaisseur des rouages de l'Etat et du fonctionnement du pouvoir, M. Mentouri savait pertinemment que sa conduite allait déplaire aux décideurs. Il avait déclaré, en mai dernier, lors d'une rencontre avec El Watan : «J'ai accepté de rejoindre le CNES, sur insistance de A. Benhamouda. Ce choix a décontenancé plus d'un, après mon refus de charges mieux cotées, si l'on se réfère du moins à  une certaine critérologie. Mais chercher à  avoir ceinture et bretelles n'est pas un exercice sans inconvénient. Dès mon installation à  la tête du CNES, j'ai publiquement affiché mon opposition à  un rôle d'organisme alibi, d'institution d'attente destinée à  combler un déficit de représentativité, que pourrait lui assigner le contexte de crise généralisée et que dicteraient les exigences de restauration de la paix civile».
L'homme ne se gênait pas à  engager des bras de fer avec les gouvernements successifs. Les divergences avec l'Exécutif ont atteint un point de non-retour quand Ahmed Ouyahia est revenu aux commandes. Redoutable chef de gouvernement, Ouyahia voyait mal qu'on vienne démentir ses «exploits» et ses interminables chiffres sur la croissance.
L'on se rappelle le face-à-face entre les deux hommes lors de la 25e session du CNES en décembre 2005. Alors que le chef de gouvernement faisait les louanges de «la bonne santé économique du pays», le président du CNES le désapprouve. «Aujourd'hui, comme en panne de solutions, le pays peine à  former un projet économique et social consensuel et mobilisateur. Il encourt ainsi le risque de renouer avec l'indécision et la prédominance du court terme, dans lesquelles il s'est longtemps complu», avertissait M. Mentouri. Ce jour-là, le pouvoir avait décidé de se débarrasser de ce trouble-fête. Il ne devait pas revenir pour la prochaine session. Les manœuvres ont pris la forme d'un projet «visant à  rendre les rapports de CNES non publiables, donc d'un impact nul», s'était confié le défunt l'an dernier à  El Watan. La 26e session du CNES «devait» donc se tenir sans lui. A la surprise générale, Mohamed Salah Mentouri annonce sa démission le 4 mai 2005.  Depuis, l'institution est vassalisée. Du coup, le gouvernement perd volontairement un instrument d'une nécessité impérieuse. Cinq ans après, le pays perd une grande compétence nationale.  


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)