Algérie

Un bras de fer sur fonds d'intérêts géostratégiques



La crise diplomatique entre la France et la Turquie, du fait de leurs ambitions respectives, semble prendre une tournure qui n'est pas sans susciter de sérieuses inquiétudes chez les pays voisins. Les risques d'une confrontation armée sont là et pourraient avoir pour théâtre la Méditerranée orientale. Mais déjà, la guerre des mots est portée à son paroxysme, chaque partie ne lésinant pas sur les qualificatifs et ne ratant aucune situation de brocarder l'autre.Jeudi dernier, le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, a tiré à boulets rouges sur Emmanuel Macron, le Président français qui effectuait une visite au Liban, meurtri par la double explosion du port de Beyrouth et qui a fait des centaines de morts et de blessés en sus de pertes matérielles incalculables. «Ce que Macron et compagnie veulent, c'est rétablir l'ordre colonial», dira-t-il à la télévision.
Cette nouvelle charge ne surprend pas pour autant, Emmanuel Macron n'a de cesse de son côté de dénoncer les ambitions régionales de la Turquie, l'accusant de «violer» la souveraineté de la Grèce et Chypre et d'avoir «une responsabilité criminelle» dans le conflit libyen. Cette animosité qu'ils nourrissent l'un envers l'autre a pour soubassement d'énormes intérêts d'ordre géostratégique eux-mêmes motivés par la volonté de puissance et donc de s'aménager des sphères d'influence et l'accès coûte que coûte aux ressources énergétiques.
Longtemps préoccupée par des difficultés d'ordre politique interne ? notamment la tentative du coup d'Etat militaire manqué de juillet 2016, le refus net signifié à la Turquie d'entrer dans le marché européen, Ankara va s'orienter dans un redéploiement majeur de sa politique extérieure et notamment la recherche de marchés. Le conflit libyen lui offre l'occasion de prendre pied dans la rive sud de la Méditerranée grâce à des accords conclus avec le Gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale mais en guerre contre le maréchal Haftar, soutenu notamment par les Emirats arabes unis, l'Egypte et la France.
Les richesses gazières et en pétrole de la Libye aiguisent les appétits et poussent à une forte compétition où tous les coups sont permis. Erdogan voit loin, avec l'accord de Tripoli il s'estime en droit de lancer des prospections d'hydrocarbures (gaz et pétrole) en Méditerranée. Début août, l'annonce de la découverte d'un gisement de gaz de 3 000 milliards de m3 met le feu aux poudres.
La Grèce réagit violemment à ce que ce pays considère comme une violation de ses droits sur son plateau continental. Trop faible pour affronter un voisin en pleine montée en puissance, Athènes se tourne vers l'Europe qui pourrait calmer les ardeurs de son rival. Il faut savoir que la Turquie et la Grèce font partie de l'Alliance atlantique (Otan). Il s'avère que cette organisation est incapable de résoudre leur différend, ce qui fera dire au Président français que cette organisation est atteinte de «mort cérébrale». Première réaction de la France, l'Elysée annonce publiquement un «renforcement de la présence militaire française en Méditerranée orientale».
Erdogan se montre inflexible et déclare : «Nous ne cèderons jamais au banditisme sur notre plateau continental. Nous ne reculerons pas face au langage des sanctions et menaces.» Tout un programme qui va s'opposer à l'agenda français dans cette région du monde. La France prend fait et cause pour la Grèce qui s'était déclarée prête à la guerre «pour protéger sa souveraineté», selon les dires de son ministre de la Défense.
Le point de départ d'une escalade, qui va s'aggravant, est l'entrée, le 10 août, du navire turc de prospection d'hydrocarbures entre la Crête et Chypre. Paris s'active et jeudi dernier, les dirigeants des sept pays méditerranéens de l'Union européenne sont conviés à Porticcio, dans la baie d'Ajaccio (Corse), à l'invitation d'Emmanuel Macron, pour se pencher sur cette question, et il espère que la réunion débouchera sur une position commune du «Med 7» en prévision du sommet européen du 24 septembre. Au menu, bien sûr, ce problème posé par la Turquie. Toutefois, les divergences entre les membres de l'Union européenne peuvent ne pas répondre aux v?ux de Paris qui veut s'allier d'autres pays dans son conflit avec la Turquie.
Erdogan ne se laisse pas intimider pour autant, il envoie donc un navire de prospection escorté de plusieurs bâtiments de guerre. De son côté, la France n'a pas hésité à déployer deux navires de guerre et des avions de combat Raffale. «Ne cherchez pas querelle au peuple turc, ne cherchez pas querelle à la Turquie.»
Erdogan n'a pas mâché ses mots dans un discours télévisé à Istanbul, samedi dernier, en référence aux sévères critiques émises par Macron envers Ankara. Si chacun accuse l'autre de faire monter la tension, une confrontation armée directe franco-turque n'est pas à l'ordre du jour, malgré une «escarmouche en mer» survenue récemment. Emmanuel Macron voudrait liguer contre son adversaire les autres pays riverains de la Grèce, dont l'Egypte signataire d'un accord avec Athènes et qui a dénoncé auparavant un droit accordé par Tripoli à Ankara qui élargit son aire de prospection de 30% en Méditerranée.
La France, qui perd son rôle prépondérant dans la crise libyenne, se retrouve entraînée dans un terrain glissant face à la Turquie où la presse est mise à contribution dans une rare surenchère verbale allant jusqu'à traiter le Président français de «Napoléon de pacotille» ! C'est qu'Erdogan a mis le doigt là où ça fait mal, sa mainmise sur les réserves en hydrocarbures dans cette région de la Méditerranée sonnera le glas du grand projet gazoduc EASTMED porté par la Grèce, Chypre et Israël, notent les experts. Par ailleurs, Paris n'est pas au bout de ses peines avec l'intérêt tout nouveau de la Turquie pour le marché africain. Son ministre des Affaires étrangères vient d'effectuer une visite de trois jours au Mali, aux mains d'une nouvelle équipe dirigeante issue du coup d'Etat du 18 août dernier. Marcher sur les platebandes d'autrui est toujours très mal vu.
Ankara semble déterminée à mettre en cause l'ordre établi de l'ancienne puissance coloniale.
Brahim Taouchichet


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