Sur un continent
voisin, le bourgmestre désabusé d'un bourg cossu et gâté par une nature
profuse, est fortement déçu par l'état d'esprit de ses administrés. La
tristesse qui plombe l'ambiance générale est frappante ; les gens se croisent
dans une quasi-indifférence, les mines tristes, les gestes mécaniques et le
sourire rare.
Pourtant les rues
ne sont pas désertes, au contraire, elles grouillent de monde, l'activité
marchande est aussi intense que dans d'autres cités. Les gens achètent beaucoup
et consomment autant ; les vendeurs de quelque chose sont aussi nombreux que
les acheteurs de n'importe quoi. La rotation de l'argent entre les mains est
même difficile à égaler ailleurs.
La cité est un
éternel chantier entretenu par de petites mains vaillantes, venues d'une
contrée lointaine.
Le budget de la
cité généreusement arrosé par la manne naturelle, autorise les dépenses les
plus imprévisibles.
Cependant la joie
de vivre a déserté les lieux et depuis quelques temps déjà. Plus personne ne
semble la rechercher. L 'élu pense même qu'il est le
seul à s'en inquiéter . Ses administrés, selon son point de vue, ne réagissent
plus qu'aux privations matérielles et ne réclament que le confort physique. Ils
semblent avoir abdiqué leur propre droit au bonheur.
L
'inquiétude de l'édile est d'autant plus insupportable que, dans le voisinage,
des bourgades moins prospères arrivent à donner plus de sens à leur vie.
Et d'après les
émissaires qu'il y a dépêchés, dans le premier village visité, la nature ne
peut être plus ingrate, les terres y sont stériles et le sous-sol aussi vide
que le néant. Mais les gens y sont si besogneux et la gouvernance si vertueuse
que des matières sont confiées, de partout, au village
pour y être transformées et repartir en produits finis pour inonder le reste du
monde. L 'effort y est, certes, soutenu mais les gens
trouvent le temps de jouir, en toute légitimité, des fruits de leur labeur
grâce à une organisation avisée et juste de leur cité.
Dans un second
village, la nature n'y est pas plus généreuse mais sa prospérité vient de la
confiance que lui fait son environnement ; les opérateurs étrangers y trouvent
discrétion et sérénité et acceptent de rétribuer leur satisfaction et leur
tranquillité avec largesse.
Les habitants,
depuis des lustres, veillent scrupuleusement sur les vertus qui les font vivre.
Quant au village
le plus proche, il a fait depuis longtemps de sa culture un
industrie et les gens y vivent de leurs violons d'Ingres.
Comment, dans ses
conditions, éviter le plaisir quand on vit de ce qu'on aime, même chichement,
mais dans la liberté et la dignité ?
Le bourgmestre ne
comprend pas comment la félicité peut être inversement proportionnelle à la
prospérité matérielle ?
Comment faire
pour que les cendres émotionnelles de la cité puissent donner un meilleur
avril?
C'est alors qu'il
croit avoir une bonne idée : son pays, il y'a de cela longtemps, était féru de
théâtre de marionnettes. L 'engouement était si
partagé que, pour satisfaire la demande, les représentations se donnaient
plusieurs fois par semaine ; au point que le village a hérité d'une salle
spécialement conçue pour ce genre de spectacle vivant. L'établissement, élevé
au bout de la place publique et fermé depuis de nombreuses années, est
aujourd'hui en piteux état.
Le bourgmestre
convoqua aussitôt son échevin, qui était aussi président de l'association des
anciens du village et qui a été marionnettiste dans sa jeunesse, animant le
personnage du maquignon et lui prêtant sa voix.
Il lui ordonna
d'Å“uvrer à réhabiliter la salle et à reconstituer la troupe, espérant redonner
la joie aux habitants et peut-être l'enthousiasme d'antan.
Le bourgmestre
débloqua les crédits nécessaires pour la remise en état des lieux et chargea
son adjoint d'ouvrir les concertations avec ses anciens collègues intermittents
du spectacle et de prospecter de nouveaux talents.
L'échevin, honoré
par le choix de son supérieur, se mit aussitôt au travail, promettant à qui
voulait l'entendre qu'il offrait à tout un chacun la chance de rendre le
sourire à ses concitoyens.
Mais l'écho à son
appel fut décevant, la plupart de ses anciens compagnons de scène sont allés
faire fortune ailleurs et les jeunes talents cherchent plutôt des raccourcis
pour les rejoindre.
Cependant,
nullement découragé, le préposé du Chef, confiant en sa bonne étoile, promet de
n'épargner aucun effort pour faire du village un autre «Puy du Fou ». Il se
demande, toutefois, comment le bourg qui a produit tant de bourgeois demeure un
bourg sans joie.
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Posté Le : 26/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com