Photo : M. Hacène
Par Samir Azzoug
«On a perdu toute notion de la valeur de l'argent. On fixe comme ça des tarifs au gré des humeurs. Et cela se fait toujours au détriment des plus démunis», se lamente un quinquagénaire attendant nerveusement, à l'arrêt de bus de Sidi Moussa, le départ du minibus surchargé pour embarquer dans le suivant vers Baraki. Questionné sur la décision prise dernièrement par le ministère des Transports de «réajuster» les tarifs des transports collectifs urbains et des taxis, il répond : «Des augmentations de tarifs de trajet de 5 à 10 dinars pour les décideurs ce n'est pas grand-chose, mais pour des gens comme moi, qui prennent le transport quotidiennement et finissent leurs mois sur les rotules, c'est un budget.» Plus sévère, un jeune étudiant, dans un bus reliant Baraki à la station du 2-Mai, sur le
littoral Algérois, s'étonne de cette majoration. «Au fait, pourquoi ont-ils (les responsables de ministère des Transports) augmenté les tarifs ' Celui du carburant n'a pas bougé.
Les autres charges non plus. Et le service offert est calamiteux», dénonce-t-il. Il est vrai que les conditions de transport collectif urbain de voyageurs, particulièrement celui assuré par les opérateurs privés, sont calamiteuses. Aucun respect de normes (si tant est que de normes existent), pas de délai imposé pour le stationnement à quai, surcharge des «vans», insalubrité des stations et des «engins» de transport, souvent pas de délivrance de ticket de transport, comportement incivique des conducteurs et «receveurs»'les griefs sont nombreux. «Ils ont tous bénéficié de crédits Ansej pour acheter leurs bus. Ils ont travaillé pendant plus d'une dizaine d'année sur le dos
des banques. Et aujourd'hui, ils conditionnent l'amélioration de leurs prestations à l'augmentation des tarifs, donc sur le dos des voyageurs !», fulmine un autre passager sans ôter son regard du journal du jour.
Dans une intervention médiatique, le porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa), Tahar Boulenouar, affirmait, la semaine passée, que 20 000 véhicules (taxis et bus) ne répondaient pas aux normes de confort.
«Il ne manquait que l'augmentation des tarifs des transports. Depuis deux ans tous les produits et les charges ont connu des augmentations vertigineuses. On ne sait plus comment cela va finir pour nous», murmure une vielle femme assise dans le bus.
Depuis la mise à exécution des augmentations des salaires impulsées par l'Etat, une mécanique d'inflation pernicieuse et sévère s'est mise en branle. Au lieu d'améliorer le pouvoir d'achat des citoyens, cette majoration (non généralisée) a permis aux bénéficiaires de garder «simplement» le niveau de vie d'avant et, pire, mis les autres dans des situations intenables. Car, ces augmentations ont surtout touché les travailleurs du secteur public et quelques rares dans le secteur privé -ces derniers ont surtout bénéficié du réajustement de leurs mensualités en fonction de l'augmentation du snmg. Or, selon les statistiques de l'Office national des statistiques (ONS), sur les quelque 11 millions de travailleurs qui constituent la population algérienne active, un tiers seulement sont des salariés du secteur public (statistiques du 4e trimestre 2010). Il reste donc plus de 6 millions de personnes qui n'ont pas 'tous- bénéficié de ces augmentations.
A cela il faudra encore ajouter les deux millions de retraités, plus d'un million d'étudiants et l'autre million de chômeurs.
Ce sont autant de personnes - voire de familles- qui, non seulement ont été privées de l'évolution de 7,4% des salaires (hors activité dans les hydrocarbures et l'administration. Chiffres de l'ONS, comparaison 2009-2010), mais ils ont subit de plein fouet la furie inflationniste.
L'augmentation des salaires a coûté près de 3 000 milliards de dinars à l'Etat en 2012. Cette injection de liquidités supplémentaires a été décisive en grevant durablement et fortement les bourses fragiles. L'inflation, cette perte de valeur pérenne de la monnaie, est due pour plus de 60% à l'expansion monétaire, selon des experts en économie.
Plus de deux années après le début des augmentations de salaires, et en supposant que 40% des travailleurs salariés aient bénéficié d'une majoration moyenne de 10% de leurs revenus, les 60% restantes en pâtissent doublement. D'abord, par la stagnation de leurs rémunérations. Ensuite par l'effet d'une inflation qui épuise plus tôt que d'habitude le fruit de leur labeur. Selon les chiffres officiels, l'inflation était de 3,9% en 2010, 4,5% en 2011 et estimée à près de 9% en 2012. Comme cette perte de valeur de la monnaie, et donc du pouvoir d'achat, est irréversible, les salaires non révisés ont perdu plus de 17% de leur valeur d'échange. Encore que ces taux d'inflation annoncée en Algérie sont faussés par le soutien accordé par l'Etat aux prix des produits de première nécessité, comme le sucre, l'huile ou la farine. Une facture de près de 3 milliards de dollars leur est réservée chaque année. Et le calvaire des pères et mères de famille, subissant de plein fouet cette augmentation quasi générale des prix, ne risque pas de s'estomper cette année encore. Puisqu'un taux d'inflation de 4% est prévu, mais c'est surtout l'augmentation de 15 à 20% des produits alimentaires annoncée par l'Ugcaa qui fait peur.
Au lendemain du déclenchement des évènements politiques dans les pays arabes voisins, et après ce qu'on a appelé les «émeutes de l'huile et du sucre» en Algérie, en janvier 2011, un conseil des ministre s'est tenu en mai de la même année avec pour leitmotiv la préservation du pouvoir d'achat des citoyens.
Une majoration de 25% des dépenses publiques est annoncée (1 657 milliards de dinars) pour la loi de finances complémentaire de 2011, afin de répondre aux attentes des citoyens. Depuis, la préservation du pouvoir d'achat est mise sur la table à chaque réunion du conseil des ministres, avec des mécanismes et des décisions différentes.
Aujourd'hui, les citoyens à faibles revenus (et à plus forte raison les sans revenu) vivent un calvaire au quotidien. «Je n'ose pas appliquer cette nouvelle tarification. J'ai peur des réactions des voyageurs. Les citoyens pâtissent de la cherté de la vie, si en plus on leur annonce cette nouvelle, on risque la confrontation avec eux. Depuis quelques temps, ils sont devenus tellement regardant sur leurs dépenses», témoigne un transporteur au niveau de la petite station du Champ de Man'uvres à Alger.
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Posté Le : 08/01/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : S A
Source : www.latribune-online.com