La révolution a
libéré la banque centrale tunisienne de l'intrusion du pouvoir exécutif dans
ses décisions, avant que la loi portant organisation provisoire des pouvoirs
publics, adoptée par l'assemblée constituante le 16 décembre dernier, consacre
son indépendance.
Une avancée pour
laquelle s'était battu le gouverneur de la BCT, Mustapha Kamel Nabli. Il la
défend aujourd'hui.
C'est un acquis de
la révolution, sur lequel Mustapha Kamel Nabli veille jalousement. La 5 avril,
suite à la présentation du programme du gouvernement pour l'année 2012, le
gouverneur de la banque centrale de Tunisie (BCT) s'est fendu d'un communiqué
pour revendiquer son indépendance. En cause, une mesure dans le chapitre «
système monétaire et financier », considérée comme une ingérence dans les
prérogatives de l'institut d'émission tunisien.
« Inclure une
mesure portant sur l'adoption d'une politique monétaire expansionniste et de
taux d'intérêt bas dans le programme du Gouvernement est en contradiction avec
la loi qui confère à la Banque Centrale la mission de la conduite de la
politique monétaire », est-il écrit dans le communiqué, en référence à la loi
du 19 septembre 1958 portant création et organisation de la BCT.
Sous le régime de
Ben Ali, l'indépendance de la BCT était rendue partielle par la nomination du
gouverneur par le président de la République sur proposition du Premier
ministre, prévue par la constitution de 1959. Ce n'est qu'au lendemain de la
révolution de janvier 2011 que la BCT a acquis une indépendance effective dans
ses prises de décision.
Après un long
débat, ponctué de plusieurs mises au point de Mustapha Kamel Nabli, la loi du
16 décembre 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics a
consacré l'indépendance de la BCT, en stipulant que le gouverneur serait
désigné par l'assemblée constituante après accord entre le président et le
Premier ministre. « L'indépendance des banques centrales et des autorités de
contrôle et de régulation, demeure l'une des principales orientations et
évolutions à même d'assurer la stabilité financière et de consacrer les
principes de la bonne gouvernance », avait à l'époque souligné la BCT.
LES ARGUMENTS DE
KAMEL NABLI
Pour Mustapha
Kamel Nabli, le communiqué du 5 avril a « pour unique objectif de rappeler les
prérogatives de chaque institution de l'Etat ». Selon lui, « la problématique
posée par le communiqué est à saisir à deux niveaux. Le premier, d'ordre
institutionnel, consiste à rappeler que la politique monétaire est du ressort
unique de la BCT, tandis que le second insiste sur le fait que toute politique
monétaire ne peut pas être un choix vague ou ouvert mais une stratégie qu'il
importe d'adapter et d'actualiser en fonction de l'évolution de la conjoncture
économique et financière au double plan national et international ». Les
partisans de l'indépendance des banques centrales relèvent la tendance des
gouvernements à utiliser la politique monétaire pour atteindre des objectifs de
court terme, notamment à l'approche d'échéances électorales. Il est ainsi
possible de booster artificiellement l'activité économique, ou de créer de la
monnaie pour financer le déficit budgétaire. Des actions qui peuvent engendrer
des pressions inflationnistes et des taux d'intérêt élevés ayant des
répercussions négatives sur la croissance économique à moyen et long terme. Les
experts ajoutent que l'interférence de l'exécutif dans les décisions d'une
Banque centrale, rend la politique monétaire volatile, réduisant la crédibilité
des objectifs annoncés et affectant, par conséquent, la réponse des opérateurs
économiques aux signaux émis par les autorités monétaires. « L'indépendance de
la Banque centrale n'est pas synonyme de liberté totale et sans contrôle,
indiquait néanmoins le Gouverneur de la BCT début décembre, lors du 35ème
Congrès du Forum de la Pensée Contemporaine organisé par la Fondation Temimi
pour la recherche scientifique et l'information. C'est tout le contraire
puisque l'indépendance d'une banque centrale est systématiquement accompagnée
de mise en place de mécanismes de responsabilisation, de contrôle et de
transparence, ainsi que des règles de surveillance ». Et d'ajouter que « les
missions d'une banque centrale sont arrêtées par la loi et l'institution est
soumise à l'autorité législative et peut, même, rendre compte aux citoyens ».
LE GOUVERNEMENT SE
DEFEND
C'est bien la mise
en place de ces mécanismes de gouvernance externe et interne que réclament les
pourfendeurs de l'indépendance des banques centrales. « Les responsables de la
Banque centrale doivent répondre de leurs actions notamment par rapport au
respect des objectifs qui ont été fixés par le gouvernement ou par l'organe
législatif », écrit ainsi l'universitaire et expert bancaire Abdelkader
Boudriga sur le site webmanagercenter. En même temps, la Banque centrale doit
être transparente sur ses activités internes ainsi que sur ses stratégies.
Cette indépendance ne doit pas s'étendre de manière systématique aux activités
non monétaires ».
Dans un communiqué
publié le 6 avril, le Premier ministère a affirmé qu'il « est indiscutable que
la Banque Centrale de Tunisie est indépendante depuis sa création » et a
souligné que la mesure incriminée est « conforme à la politique que mène
actuellement la banque centrale ». Il s'agit d'« une mesure à caractère
variable que la BCT peut réviser selon l'évolution de la conjoncture
économique, conformément aux textes de loi réglementant les prérogatives de
l'institut d'émission ». Dans le journal « Assabah » du 8 avril 2012, Ridha
Saidi, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des dossiers économiques,
a aussi nié une quelconque volonté du gouvernement de s'ingérer dans la
politique monétaire instaurée par la BCT. « Il n'existe pas au sommet de
l'Etat, plusieurs autorités monétaires », avait-il déclaré, ajoutant qu' « il
n'y a pas de conflit de rôles entre le gouvernement et la Banque Centrale, en
charge de la détermination de la politique monétaire du pays ».
Sur la radio
Express FM, le 6 avril, l'expert financier Ezzeddine Saïdane a qualifié
d'«historique» la revendication de la banque centrale. Depuis sa création,
a-t-il rappelé, la BCT n'avait jamais défendu aussi fort son indépendance,
pourtant prévue par les textes.
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Posté Le : 10/04/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Anouk Ledran A Tunis
Source : www.lequotidien-oran.com