Algérie

Tunisie/niqab: le bras de fer dure depuis trois mois à la fac de la Manouba


Plus de trois mois après l'irruption de revendications religieuses à l'université, l'impasse est totale à la Faculté des lettres de la Manouba, un établissement près de Tunis qui cristallise toutes les tensions entre islamistes et «progressistes ».Depuis le 28 novembre, début d'un sit-in d'étudiants et de salafistes réclamant l'accès en cours des filles en niqab (voile islamique intégral), la situation ne s'est jamais stabilisée dans cette faculté où sont inscrits près de 13.000 étudiants.
Fermeture de la fac pendant près d'un mois, enseignants insultés, salles de classe saccagées... La tenue vendredi dernier d'un conseil de discipline qui a sanctionné six étudiants d'avertissement ou d'exclusion (un an pour le principal meneur du mouvement pro-niqab) a remis le feu aux poudres.
Une vive altercation a opposé mardi soir deux filles en niqab au doyen de la faculté, Habib Kazdaghli, dans son bureau. Mercredi, des affrontements parfois violents ont opposé des salafistes à des syndicalistes étudiants dans l'enceinte du campus.
Un étudiant français en journalisme a été molesté et sa caméra cassée, selon un de ses formateurs.
«Depuis novembre, il y a eu des incidents tous les jours. Mais ça empire. En tout et pour tout il y a peut être 7 ou 8 filles en niqab et quelques barbus dans la fac, mais on voit bien qu'ils ont du renfort extérieur », déclare à Saïda Alaya, une professeur de français.
Pour elle, le port du niqab et la salle de prières, les deux principales revendications des manifestants, ne sont que des prétextes: «il ont un projet de société salafiste à mettre en place. Ils ciblent la Manouba parce que c'est une fac progressiste », analyse-t-elle.
«Les Sciences humaines, où l'on apprend la philosophie, la contestation, le rationalisme, sont évidemment une cible pour les salafistes », renchérit Alaya Allani, professeur d'histoire à la Manouba et spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb.
Il rappelle que le meneur du mouvement, Mohamed Bakhti, a fait partie de la mouvance « djihadiste » des salafistes.
«La Manouba est une fac de gauchistes », tranche Mohamed Amine, un des responsables du mouvement des pro-niqab. Barbe fournie et longue tunique blanche, le jeune homme, étudiant en 3e année d'informatique, accuse le doyen de «faire de la provocation », d' «être contre l'islam », et de vouloir « faire tomber le gouvernement tunisien ».
A ses côtés, une des filles en niqab, Imen Berrouha, étudiante en première année d'arabe, accuse le doyen de l'avoir « frappée » lors de l'altercation mardi soir, certificat médical à l'appui.
« Dans toutes les autres facs, les filles en niqab ont le droit d'assister au cours. Ici, lorsque j'entre en classe, le prof sort », s'énerve-t-elle, rejointe par une étudiante d'anglais non voilée qui accuse le doyen «d'intransigeance ».
Habib Kazdaghli, élu doyen en juin dernier, se défend de tout extrémisme: «nous laissons les filles en niqab entrer dans l'enceinte de l'université, aller à la bibliothèque. Mais pour des raisons de sécurité et de pédagogie, il est hors de question de faire cours à des élèves au visage masqué », répète-t-il.
Sa décision a été validée par le conseil scientifique de la faculté, mais le corps enseignant se sent abandonné par son autorité de tutelle. Le ministre de l'Enseignement supérieur, l'islamiste Moncef Ben Salem, n'a jamais clairement pris position.
« Il faut que le ministère sorte de l'ambiguïté et fasse respecter les décisions du Conseil scientifique, sinon cela ne se règlera jamais », estime Alaya Allani.
En attendant, les étudiants assistent impuissants à ce bras de fer et craignent « une année blanche ». « C'est devenu impossible d'étudier ici », résume Hanène Hachouri, venue de Kasserine (centre) pour suivre son cursus de français à La Manouba.
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