L'hiver
démocratique arabe fait valoir autant l'exigence démocratique populaire que la
nécessité d'améliorer les conditions de vie quotidienne dans une conjoncture
économique internationale difficile.
Surprenante,
stupéfiante, irrésistible, exaltante, la trainée de poudre démocratique se
répand dans le monde arabe, en Tunisie, en Egypte, avec des premiers
soubresauts en Jordanie, au Yémen et ailleurs… Gageons que ces évènements sont
regardés avec étonnement, attention et sympathie par de nombreuses populations
du Maghreb et du Machreck. Mais pas seulement... Cette application en apparence
simple de la démocratie directe pourrait bien donner des idées à beaucoup
d'autres peuples en Afrique, en Asie et même… en Europe, pour ne pas citer tous
les continents.
Car la portée universelle des évènements à
Tunis ou au Caire tient d'abord à la force extraordinaire longtemps niée,
minimisée ou contestée de la volonté populaire quand elle est portée par une
profonde aspiration démocratique longuement réprimée. Il y a moins de deux
mois, Zinedine Ben Ali et Hocine Moubarak apparaissait comme des dirigeants
solidement assis, bénéficiant du soutien, certes très désenchanté et craintif,
d'une majorité de leur population, contrôlant strictement partis et médias,
dotés de forces de répression qui obéissaient au doigt et à l'Å“il, jouissant de
l'estime et de la considération diplomatique des grandes puissances de la
planète. L'ex-président tunisien est aujourd'hui en fuite, les justices
européennes se mettent même à s'intéresser à sa fortune off-shore, une manière
de rattraper le silence assourdissant durant des décennies, des gouvernants
européens pourtant parfaitement au fait du niveau incroyable de corruption
atteint par le système Ben Ali.
Quant à Hosni Moubarak, il a, sous une vive
pression américaine, a concédé du bout des lèvres qu'il ne se représenterait
pas aux élections de septembre prochain. Il est loin d'être certain que cette
annonce calmera les millions d'Egyptiens qui manifestaient mardi dans les rues
égyptiennes…
Le grand désarroi
des «élites»
Pour sa 41e
édition, le Forum économique mondial, qui s'est tenu du 26 au 30 Janvier dans
la luxueuse célèbre station suisse de Davos, ambitionnait de fédérer ses 2500
participants représentant le gotha mondial des affaires, du monde académique,
de la société civile et de la politique autour des «valeurs partagées pour une
nouvelle réalité». Hélas, celle-ci parait bien opaque et l'avenir très
incertain. Quant aux valeurs recherchées, les élites mondiales inquiètes et
ramenées à beaucoup de prudence, ont eu le plus grand mal à les définir.
Pointait seulement ici et là l'idée que la
«globalisation souriante» était un discours de plus en difficile à vendre à la
population de la planète.
L'époque où une petite partie de la
population gagnait suffisamment pour ensuite redistribuer leurs avoirs à leur
entourage est révolue, a soutenu Chanda Kochhar, l'administratrice générale de
la plus importante banque privée de l'Inde, la ICICI Bank. Elle a affirmé qu'il
fallait revoir le modèle économique de sorte que les moins nantis puissent
participer à la croissance économique.
Les débats à Davos ont finalement fait
apparaître une division des participants en deux camps bien distincts : d'un
côté des pays émergents forts de leur réussite économique souvent à des
croissances à plus de 6% (Brésil, Inde, Russie et Chine créeront bientôt la
moitié de la production mondiale), et n'hésitant pas à se montrer en exemple de
saine gestion budgétaire, de l'autre les économies occidentales désignées comme
facteurs d'instabilité à cause de leurs déficits budgétaires.
La croissance mondiale prévue cette année est
de 5%, mais elle sera très inégalement répartie et restera très faible dans un
très grand nombre de pays et…, dans les pays occidentaux. La crise financière
et bancaire ouverte à l'automne 2008 et qui est loin d'avoir épuiser ses
effets, a en effet obligé les gouvernements occidentaux de parer au plus pressé
pour sauver le système, avec une aggravation très nette des déficits
budgétaires. D'où l'obligation d'une cure de désendettement longue et
douloureuse, la baisse du pouvoir d'achat, l'érosion des systèmes de retraites,
le chômage et les emplois précaires qui touchent surtout les jeunes. Bref !
Pour que les entreprises économies occidentales puissent profiter de la
croissance des pays émergents, les populations occidentales devront se serrer
la ceinture, au risque de voir apparaître un «nouveau mai 1968», vieux spectre
rémanent que le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab,n'a pas
hésité à évoquer. Brrr !
Dans le reste de la planète, les très
inégales espérances de croissance sont menacées par la forte remontée de
l'inflation constatée dans de nombreux marchés, dont celui des matières
premières. C'est la hausse des denrées alimentaires qui sont directement à
l'origine de la crise égyptienne et cette montée brutale des prix de denrées
essentielles pour les populations est et sera la cause de nombreuses tensions
sociales dans toute la planète.
Les sommets qui se succèdent n'apportent
guère de solutions pérennes au grand désordre systémique qui se prolonge sur
les plans financier, bancaire, économique et monétaire : le prochain G20
avalisera sans nul doute la sous-évaluation volontaire du dollar et du Yuan et
une fois de plus, la régulation toujours promise du système financier butera
encore sur un secteur bancaire qui défend âprement ses prérogatives prédatrices
et une surliquidité monétaire mondiale qui encourage toutes les formes de
spéculation.
Incapables de réponses sur le plan
économique, les principales puissances semblent tout aussi désarmées sur le
plan politique. Les mouvements démocratiques actuels ont largement pris de
court les gouvernements occidentaux et autres Grands de la planète. Certes,
leurs inquiétudes portent d'abord sur les équilibres géopolitiques dans une
grande région méditerranéenne et moyen-orientale toujours vécue comme à haut
risque. Mais il y a également des craintes plus intérieures : l'exemple d'un
surgissement populaire démocratique réussi pourrait-il faire «boule-de-neige»
s'inquiètent les puissants, dans d'autres régions dominées par eux, dans leurs
zones frontalières, voire carrément chez eux ? Des pays autoritaires comme la
Chine ou la Russie détestent les mouvements démocratiques intempestifs, les
Etats-Unis et l'Europe s'inquiètent de la stabilité à terme de «régimes amis».
Et le spectacle exubérant de peuples qui en quelques jours, passent de la
résignation à la colère, décidant soudainement que trop, c'est trop et «game
over» pour des pouvoirs soudainement à la dérive, inquiètent tout dirigeant en
place : et si nos peuples faisaient de même ?...
Les craintes occidentales
: contagion et islamisme
Les puissants
peuvent se néanmoins se rassurer : rien n'est vraiment joué en Tunisie comme en
Egypte et si le 1er acteur de la transformation démocratique est bien dans les
deux cas, le peuple, il faut noter que les deux armées y jouent un rôle
essentiel. C'est l'armée tunisienne qui a imposé la fuite de Ben Ali et l'armée
égyptienne a, en début de semaine, soutenu comme «légitimes» les aspirations et
revendications populaires à une plus grande démocratie. Mais après les grandes
manifestations de mardi, l'état major appelait les Egyptiens a dorénavant
rester chez eux…
La consolidation du processus démocratique
peux buter sur deux écueils : une radicalisation sociale peut entraîner une
logique du «toujours plus» pour des catégories qui ont subi depuis de
nombreuses années une logique du «toujours moins». La déstabilisation voire la
désagrégation des structures administratives, l'inexistence ou la fragilité de
partis d'opposition réprimés ou contraints à la clandestinité, peuvent
contribuer à la désorganisation générale. C'est le cas notamment en Tunisie.
D'autre part, si une alternance se confirme, le nouveau pouvoir en place devra
redresser d'urgence une situation économique dans une conjoncture
internationale très dégradée : «C'est donc à un besoin massif de pain et
d'emploi que les gouvernements devront avoir à faire face. Là réside la
véritable menace : une pression insoutenable sur la stabilité de tous les
modèles de gestion», note Jean-François Daguzan, rédacteur en chef de la revue
Maghreb-Machreck. D'autant que les investissements étrangers ne se
précipiteront pas dans des pays déstabilisés que les inévitables agences de
notations condamneront inévitablement à de mauvaises notes.
Au scénario
démocratique chaotique propre à chaque «révolution», les grandes puissances
préféreraient de beaucoup un scénario militaire qui révélerait une fois de plus
un «homme providentiel» qui garantirait la paix civile et rassurerait les
investisseurs étrangers comme les bourgeoisies locales. Mais, ce schéma
optimiste bute sur la radicalité de mouvements populaires qui jusqu'à présent
refusent le «modèle chinois» – la croissance sans la démocratie- et réclament
avec force et l'une et l'autre. Enfin, en Tunisie comme en Egypte, où l'armée
est bien plus puissante, la radicalisation politique pourrait bien gagner les
rangs des militaires, à l'exemple de la Révolution des Œillets» au Portugal, en
1974. Si les Etats-Unis jouissent d'une influence certaine sur les deux armées,
il est faux de penser que ce pays pilote à distance les processus en cours.
Principal bailleur de fonds de l'Egypte, Washington semble avoir été désarçonné
par l'ampleur et l'accélération de la remise en cause de Moubarak.
L'autre grande
menace brandie en toute occasion part les chancelleries occidentales est
l'inévitable «menace islamiste». La lutte contre Al Qaida est devenue l'éternelle
justification au soutien à des régimes autoritaires dont les excès
«kleptocratiques» et répressifs font le lit même de l'islamisme radical.
Ce qui ne
signifie pas que les partis islamiques «modérés» ne joueront pas un rôle de 1er
plan dans les transformations en cours. Ils devront néanmoins s'adapter aux
revendications démocratiques qui s'expriment aujourd' hui en Tunisie comme en
Egypte. D'où un changement de discours perceptible pour des formations comme
Ennahda, le «Parti de la renaissance» tunisienne ou les Frères musulmans,
principale force d'opposition en Egypte.
Plus généralement, on peut avec prudence
penser que le puissant mouvement islamique qui a largement développé son
influence dans le monde arabo-musulman depuis la révolution iranienne de 1979,
a en partie épuisé ses effets novateurs. Quelque soit ses capacités
destructives, la frange djihadiste radicale et minoritaire n'a réussi à percer
que dans des territoires sous occupation étrangère (Irak, Afghanistan), dans de
contexte de guerre civile (Algérie, Tchétchénie) ou dans des zones reculées ou
désertique (Sahel).
Les autres mouvements politiques de la
mouvance islamique modérée ou réaliste présentent un trop grand nombre de
discours, de pratiques et de spécificités nationales pour que l'on puisse tirer
un bilan général. Il est cependant frappant de constater que la très modérée
AKP turque qui souhaite faire rentrer son pays dans l'Union européenne, fait
figure aujourd'hui de référence autant pour des partis politiques au pouvoir que
pour des formations d'opposition dans de nombreux pays musulmans.
Michèle Alliot-Marie
: de gaffes verbales en bévues aériennes
Le Canard
Enchainé révélait hier le fait que notre ministre des Affaires étrangères
accompagnée de son compagnon, Ollier, ministre des Relations avec le Parlement,
présents en Tunisie entre Noel et jour de l'an, pour un repos justement gagné,
avaient profité du jet privé d'un riche homme d'affaires tunisien associé au
clan Trabelsi. Elle a néanmoins déclaré malgré la bourde aérienne, qu'elle
n'entendait aucunement «démissionner». Ouf !
Nicolas Sarkozy devrait pourtant songer au
sacrifice de MAM pour redonner un peu de lustre à une diplomatie française
actuellement très déconsidérée.
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Posté Le : 03/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com