Algérie

Tunisie : En-Nahdha retrouve ses dogmes



La durée du mouvement de révolte en Tunisie a été courte, puisque depuis l'immolation de Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid, de son vrai prénom Tarek, le 17 décembre 2010, et son décès le 4 janvier 2011, à l'hôpital de Ben Arrous, jusqu'à la fuite vers Djedda en Arabie Saoudite, du despote Ben Ali et de la régente de Carthage, Leila Trabelsi, il ne s'était passé qu'un mois en tout, dont une semaine de vrais bouleversements.

Le tout manigancé par le général Sériati, chef de la sécurité présidentielle qui voulait dit-on, faire fuir Ben Ali pour le remplacer. Mais le forcing de la rue d'un côté, et les pressions occidentales de l'autre, firent que l'armée tunisienne, avec à sa tête, le général Ammar Rachid face irruption sur la scène de la révolte, et que le funeste projet de Seriati échoue. Mais, une révolte dans son acception première, ce sont des changements, qui bouleversent l'ordre établi. En Tunisie, ce dernier, n'a franchement pas connu de véritable révolution, cependant il a donné l'opportunité à des formations politiques d'émerger et d'occuper librement un espace politique, et à d'autres formellement existantes, de refaire surface dans la légalité. L'éventail des philosophies et doctrines politiques à ce sujet, est très large, et les partis à Tunis se créent à foison. Que cela soit pour les unes ou bien pour les autres. Cela va des communistes trotskystes du Parti Communiste Ouvrier de Tunisie, de Hama El-Hamami, au mouvement islamiste, En-Nahda de l'ancien professeur de philosophie au lycée, de retour de son exile à Londres, Rached El-Ghannouchi. Parti sans lequel s'est faite la révolte tunisienne.

En conséquence ce mouvement n'en finira jamais de digérer cette frustration, que ne manqueront pas de lui rappeler tous ses adversaires politiques, à chaque étape de l'avènement de la future république tunisienne, et sa vie durant. D'ailleurs lors de l'insurrection, contre le régime de Ben Ali, pas le soupçon d'un slogan islamiste n'a été prononcé, ni brandi.

 Plus encore le soulèvement, s'était rallié à un ordre, devenu culte depuis : DEGAGE, et cerise sur le gâteau écrit et scandé en français. Est-ce une défaite, une déconvenue et une déconfiture, qui annoncerait la disparition du mouvement islamiste tunisien ?

A travers les évènements historiques similaires récents, qu'ont connus plusieurs pays arabes et musulmans, les mouvements d'obédiences islamistes ne se sont jamais encombrés de telles tares, de telles déficiences et de pareils complexes. Ils ont presque partout pris le train des révolutions et des révoltes en marche et souvent bien en retard. Mais à chaque fois ils ont su avec aisance, se positionner, et rafler le leadership de ces soulèvements. Est-ce de la résilience qui leur est spécifique, alors que d'autres mouvements politiques, acteurs principaux des insurrections ont explosé juste le lendemain d'insurrections. Du fait de dissensions, de conflits voire de ruptures brutales ? Ou bien est-ce le fait d'une matrice sociale, qui leur appartiendrait en propre, sui generis, prête à recevoir et héberger les mouvements islamistes, sans qu'eux mêmes n'y travaillent, et qui ferait défaut aux autres partis ? Au Maghreb, c'est historique. Dans les années 30 en Algérie, le combat notamment de Ben Badis et l'Association des Oulémas Musulmans ensuite, étaient une lutte culturaliste, c'est-à-dire contre l'occidentalisation de la société algérienne particulièrement en milieu urbain et citadin, dont le support était obligatoirement la religion. Une deuxième tendance naîtra au sein de l'émigration algérienne, qui combinera le substrat religieux avec le nationalisme. Qui faut-t-il le rappeler, était nourri aux idées de la révolution française de 1789 et de celles de la révolution russe de 1917 et aussi fruit des alliances intercoloniales. Ces ententes entre, par exemple les algériens et tous les autres colonisés de la France, avaient forgé les nationalismes particuliers, dont pour l'Algérie, l'expression fut, la naissance de l'Etoile Nord Africaine. Avec la prééminence de son fondateur, Messali Hadji et l'empreinte quasi mythique et aussi mystique de son personnage, jusque dans sa façon de s'habiller, en sont les meilleures manifestations. En Tunisie le challenge se déroulait entre les zitouniens, issus de l'enseignement traditionnel de la charia'a, de l'histoire du prophète et de la grammaire arabe, avec un contenu et de méthodes qui n'avaient pas bougé depuis plusieurs siècles, nous dit, le regretté professeur émérite, à la faculté Tunis des sciences juridiques, Mohamed Charfi, dans son livre, Islam et liberté. Et les sadikiens, issus eux, du Collège Sadiki, crée par le premier ministre Khéreddine, sous le règne du Bey de Tunis, Sadok Pacha Bey 1859/1882, d'où le nom de l'institution, qui enseignait les langues étrangères et les sciences exactes. Dès lors, les tunisiens instruits seront divisés entre deux grandes familles, nous dit, le même auteur, les sadikiens armés d'une double culture et ouverts sur la modernité, et les zitouniens enfermés dans l'arabité et l'esprit conservateur. Paradoxalement, le mouvement islamiste tunisien des temps modernes fut crée par un ancien du Collège Sadiki, Abdelfateh Mourou, qui décrit ce haut fait ainsi : ‘'Le Mouvement de tendance islamique (Mti), devenu par la suite Ennahdha, c'est moi qui l'ai fondé. Rached Ghannouchi a rejoint le groupe plus tard. Au début, notre esprit était intimement lié à celui des frères musulmans d'Egypte.          

Nous nous sommes détachés peu à peu et nous avons fini par tracer notre propre voie. Nous avions une autre vision en politique''. Pour l'histoire Ghannouchi, de son vrai nom, Rached Kheriji, est un ancien de la Zitouna, et diplômé en théologie à Tunis, qui a étudié la philosophie à Damas. En réalité et selon les propres aveux des théoriciens du mouvement islamiste tunisien, ce parti, comme tous ses frères à travers tous les pays musulmans, n'a aucun programme politique. Écoutons sur ce point, deux de ses ténors. Abelwahab Kéfi dit :'' notre mouvement n'a pas de politique de rechange''. Le deuxième Hachemi Hamdi, propriétaire de la chaîne satellitaire, Al Moustaqila, dont le siège est à Londres, disait également dans le même sens en 1983 : «nous, en Tunisie, nous ne prétendons pas avoir un programme islamique. Ce programme, je le dis sans gène, est à élaborer». Façon de dire, qu'il s'agit d'occuper la scène politique en premier, et de réfléchir au programme et à la méthode de gouverner, après, plus tard. Sinon tous ces organisations islamistes, s'entendent sur un minimum politique, qui est : la confiscation de toutes les libertés, individuelles et collectives, l'emasculation de tous les élans créateurs littéraires et artistiques. Le musellement et la censure de tous les débats, et l'oppression ces femmes sous divers fallacieux prétextes.

 Le plus consistant de leur programme politique, se résume et se réduit, selon Monsieur Charfi qui avait était ministre de l'éducation et des sciences de Tunisie, de 1989 à 1994, avant de se détacher par probité intellectuelle de Ben Ali, a : «régenter non seulement les relations politiques et sociales, mais aussi les attitudes individuelles. Non seulement les comportements, mais aussi les consciences». Et pour ce faire, ils sont prompts à critiquer et dénigrer, tous les autres.

 D'où en Tunisie leur retrait à partir du 27 juin 2011, de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, présidée par Monsieur Yadh Ben Achour, et de l'Instance supérieure indépendante des élections, présidée par Monsieur Kamel Jendoubi, auxquelles, Ghanouchi reprochait le 6 juin 2011 à l'occasion de la célébration du 30 ème anniversaire du mouvement à Tunis, ceci : Le peuple a fait sortir par la grande porte la dictature qui veut entrer par la fenêtre.         Aujourd'hui, il y a lieu de montrer du doigt les instances de Ben Achour et de Jendoubi qui s'expriment au nom du peuple alors que celui-ci ne les a pas élues. Les deux instances ont été créées par consensus. Mais maintenant elles veulent garder à elles seules les prises de décision. Cela résume toute leur stratégie tactique, pour ne pas se découvrir et apparaître à la transparence. Car en réalité, d'une part ce désaccord qui sert de prétexte au mouvement En-Nahdha pour quitter les deux instances, porte sur la question du financement des partis politiques, et pas seulement, que la Haute autorité discute actuellement, pour édicter de nouvelles règles qui imposeront certainement, comme partout ailleurs dans le monde, un plafonds de dépenses et de leur contrôle, lors de chaque campagne électorale. En-Nahdha comme toutes ses sÅ“urs en pays musulmans, qui dispose de ressources financières importantes, verrait comme une atteinte à son intégrité physique et une ingérence dans ses affaires, tout impératif de limitation et de vérification de fonds, notamment ceux reçus de l'étranger, car il y en a. Et c'est là où réside et se voile, le sujet qui dérange. Et de l'autre, à travers cette manÅ“uvre avant élections, ceux d'En-Nahdha, cherchent à fragiliser les deux institutions de la transition démocratique, à les affaiblir et à les stigmatiser aux yeux des tunisiens. En les montrant comme n'étant que des succédanés de l'ancien régime policier de Ben Ali, qui avait emprisonné et torturé, les militants du Mouvement de la Tendance Islamique redevenu, En-Nahdha. Et cela semble avoir produit son effet et engendré des dividendes, puisque selon certains sondages, ce mouvement est crédité de 40 % des voix en cas d'élections législatives. Ainsi libéré, de ses frustrations le mouvement fera de la résistance à tout ce qui viendra déranger son projet de société. Il s'attellera à phagocyter et à gangrener, toutes les forces vives tunisiennes. Il créera son propre syndicat du travaille pour piéger l'historique Union Général des Travailleurs Tunisiens, les syndicats étudiants où il est déjà fortement implanté, et toute la jeunesse, dont le seul cadre référentiel est seulement religieux.

 Sans préjuger de l'avenir, le mouvement islamiste tunisien appellera à la rentrée sociale juste avant l'élection des membres de la constituante, prévue en octobre 2011, à une grève des travailleurs et des étudiants, qui fera date et où il se repositionnera, en unique et exclusif interlocuteur, des civils et surtout des militaires tunisiens .C'est d'ailleurs son cardinal objectif,pour le moment inavoué.

 Ghannouchi, son leader n'a-t-il pas affirmé que le modèle turc, convenait à son projet. Cependant, il n'a jusqu'à présent pas précisé pourquoi. Mais en privé à Tunis, il accuse le général Rachid Ammar, d'être le véritable maître de la Tunisie post Ben Ali. Et il le rend par la même, responsable du report de l'élection des membres de l'assemblée constituante, qu'il aurait imposé au président par intérim, Foued M'basaâ, et au premier ministre Béji Caïd Essebsi. C'est une opération de provocation. Le frère idéologique de ce mouvement, le parti non autorisé, Hizb Ettahrir, salafiste, n'a-t-il pas envoyé ses militants en expédition punitive contre la projection du film ; Ni Allah, Ni Maître, qui avaient le 26 juin 2011, saccagé la salle de cinéma CinemAficArt.

La réalisatrice du film, Nadia El Fani, avait depuis, changé le titre de son film, qui s'intitule désormais, Laïcité Inch'Allah. Dans le même registre, le réalisateur, Nouri Bouzid, plusieurs fois Tanit d'or, aux journées cinématographiques de Carthage, avait été attaqué en avril 2001, par ces mêmes islamistes pour avoir appelé à inscrire la laïcité dans la future constitution tunisienne. Cette ambiance, rappellera étrangement des souvenirs, et du déjà vécu en 1991 à mes compatriotes algériens, quand toutes les manifestations culturelles étaient la yadjouz. Le parti En-Nahda, traîne aussi l'affaire, de Bab Souika, quand ses militants avaient incendié le local de la cellule du parti au pouvoir, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique, et où il y avait eu un mort, en mars 1991. Et porte également l'entière responsabilité dans l'affaire du vitriolage de l'imam, d'El-Kram dans la banlieue Nord de Tunis, qui selon ses détracteurs vitrioleurs, insultait régulièrement, dans ses prêches les islamistes d'En-Nahdha. Ces faits de guerre s'il en est, préludent, de ce qu'est, et de ce que seront les méthodes d'une organisation de cette mouvance, dans n'importe quelle zone géographique du monde. D'ailleurs dans une interview qu'il avait le 29 Avril 1993 accordé, à l'hebdomadaire français, l'Express, le leader islamiste tunisien, Rached Ghanouchi, déclarait :

« - Ali Belhadj est plus démocrate que le général Nezzar, qui est appuyé par l'Occident. Ali Belhadj n'a-t-il pas gagné les élections? Ali Belhadj a-t-il prétendu gouverner l'Algérie par la force? Non. Il a respecté un processus démocratique. Le qualificatif est donc sans importance. Il ne s'agit que de mots. Lorsqu'il dit: «Je suis contre la démocratie», il veut dire «si elle n'est pas légitimée par la majorité». Comme dans toutes les révoltes, la gestion de la période transitoire d'après insurrection en Tunisie, connaît et connaîtra des fluctuations, des flottements, des désagréments et de la grogne. Le fleuron de l'économie tunisienne, le secteur du tourisme tourne au ralenti, et ses 400 000 travailleurs, se trouvent au chômage technique. Dans les bassins miniers de Gafsa, Rdeyef, d'EL-Jarissa, les travailleurs n'en décolèrent pas et poursuivent les grèves. Les régions du Nord Ouest, du Kef, de Jendouba et de Siliana, les plus marginalisées, sous l'autocratie Ben Ali, s'impatientent pour goûter aux acquis de la révolution. Toute cette atmosphère, pernicieuse, profite directement, sinon indirectement à En-Nahdha, car c'est le milieu d'évolution le plus recherché par tous les mouvements islamistes, pour s'attirer des sympathisants, en récupérant les mécontentements, les colères, les contrariétés et les exaspérations des populations. Ils suppléent dès lors, par la violence s'il le faut, les autorités en place, pour les discréditer et les mettre hors jeu. Ils s'exposent alors ouvertement, et commencent par afficher ouvertement leurs forces réelles ou supposées.

 Et du coup, ils poussent tous les autres sans exception, hors de l'espace politique, qu'ils géreront selon les principes de l'Etat théocratique, s'ils ne sont pas politiquement disqualifiés à temps. Dans ces conditions, le peuple tunisien possède-t-ils les capacités et les moyens pour du moins diminuer de leurs nuisances? Sans nul doute.










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