C’est toujours avec un plaisir renouvelé que nous reprenons la lecture de " TUGHAlIN ", un recueil de nouvelles de l’écrivain amazigh Amar Mezdad, édité à compte d’auteur en 2003.
Le bonheur de replonger dans le monde de " TUGHALIN " se conjugue chaque fois, comme par enchantement, avec cette quête d’une nouvelle lecture, d’une nouvelle sensation, d’un nouveau regard autrement plus lucide et plus profond. "TUGHALIN ", le retour, chez l’auteur de " ID D WASS ", s’édifie à chaque instant, s’accomplit avec tous les gens, dans tous les lieux proches comme ceux lointains, à l’instar de cette Allemagne qui sort péniblement de l’emprise du monstre Nazi. C’est un retour au pluriel, un retour vers un endroit, vers une empreinte, vers soi.
Retour au pays de Amjah, Dda-Arezki, au crépuscule de sa vie, retour au village du jeune Achour, mort asphyxié dans une ville du Sud, retour du maquisard embourgeoisé vers le " refuge " qui lui fait rappeler les temps de bravoure, retour d’âge de Mouloud-Awadhi,…
Dans ce recueil de nouvelles, Amar Mezdad, avec son écriture qui se beigne comme par magie dans les profondeurs d’une société kabyle qu’il peint avec inspiration, nous offre une belle balade avec des gens simples et compliqués à la fois, et dans des situations aussi différentes que complexes et insolites.
Avant d’aller plus loin, il faut souligner que la lecture de " TUGHALIN ", comme d’ailleurs toutes les œuvres de cet auteur qui vient de publier un nouveau roman intitulé " ass-ni " est en soi un retour vers sa langue, vers sa société, vers cette amazighité/kabylité qui se manifeste dans des tournures de langages, dans des attitudes, dans des proverbes, dans ces regards propres aux gens de la montagne que Mezdad maîtrise parfaitement.
C’est sûrement là où réside la force de cet écrivain pionnier, dans cette emprise sur la langue et la société qui la véhicule avec toutes ses nuances et incantations.
C’est aussi, à ne pas douter, l’un des objectifs essentiels de l’auteur de " TAGREST URGHU ", celui de fixer pour la prospérité une société qui change, qui évolue, qui se transforme de plus en plus et rapidement.
Cet objectif, Mezdad le réussit parfaitement, en restituant des séquences de vies avec beaucoup d’art et de fidélité.
TUGHALIN, quatrième œuvre de Mezdad après ID D WASS, roman, TAFUNAST N IGUJILEN, poésie, TAGREST URGHU, roman, contient six nouvelles en tamazight et la dernière, "D TAGERFA I_-TT-IGAN" a été traduite en langue française sous le titre : "Eux, le corbeau et nous".
Pour permettre aux lecteurs de se constituer une petite idée de ce recueil avant de plonger à leur tour dans sa lecture, nous essaierons d’exposer un petit résumé de chaque nouvelle.
TUGHALIN :
C’est l’histoire de Dda Arezki, un jeune Algérien mobilisé durant la seconde guerre mondiale pour combattre dans l’armée française. A la fin de la guerre, marié à une Allemande qui l’a sauvé de la mort en le soignant, il s’installe à Paris et ne revient pas dans son village.
S’il abandonne toute idée de retourner au pays, il n’oublie pas d’envoyer de l’argent à ses parents jusqu'à leur mort.
Devenu veuf suite à la mort de sa femme aimée, il refuse de partir habiter avec ses enfants, préférant envoyer une demande pour rentrer dans une maison pour vieux. Seulement, un rêve répétitif où sa femme et sa mère lui rendaient visite chaque nuit le place sur une autre perspective : celle du retour au pays natal. Au village, il ne tarde pas à tomber malade.
C’est à l’hôpital qu’il raconte son histoire à son médecin que Mezdad utilise pour la dire et l’écrire.
TIMLILIT :
Dans une ville du Sud, trois frères, partis de Bejaia pour travailler, se retrouvent maçons dans une société de construction. Un jour de froid, le plus jeune, Achour, allume un feu dans sa chambre bien fermée.
C’est faute d’oxygène qu’il rend l’âme. Attendu pour son mariage, Achour reviendra dans un cercueil. C’est autour de ce drame que Mezdad construit sa nouvelle, racontée par un voyageur qui rencontre les frères du défunt dans un hôtel, bar, restaurant qui contraste avec l’image extérieure d’une ville habitée par des croyants sans reproche.
INEBGI N YI-NNI Elle était toujours là cette famille accueillante qui offrait refuge et manger aux voyageurs dans le besoin. Un soir, elle reçoit un voyageur pas comme les autres : bien vêtu et bien silencieux.
Après une nuit de sommeil, le voyageur raconte son histoire au jeune homme qui l’avait accueilli. Il connaissait bien la maison durant la guerre d’indépendance, elle était ce qu’on appelait " refuge ". Son chef n’était autre que le fils de la vieille qui lui a apporté le café ce matin. Il est venu se recueillir, ne sachant pas que son compagnon a été tué durant la guerre civile qui a suivi le cessé le feu. Quelques jours après la visite, le jeune retrouve la photo de l’homme, dans la presse qui annonçait sa mort…
AM I IWEC DEG WADDAD.
Et voilà Mouloud amoureux ! s’exclama son ami. Mouloud, d’âge mur, médecin spécialiste, change de femme comme il change de chemise, aimait-il répéter. Un jour, il tombe follement amoureux ! De qui ? D’une femme mariée et mère d’enfants ! Celui qui raconte avec fierté qu’il a mangé la patte du chacal est pris dans un piége.
Mais non ! Pour lui, c’est tout normal qu’une femme malheureuse avec son mari doive le quitter, et celle-là n’est venue au monde que pour lui, pour le rencontrer et vivre avec. Un mois après son entrevue avec le narrateur, son ami, il épouse la femme !
YERRA-TT I IMAN-IS.
Voilà un drôle de mariage, la fille est dans sa chambre de mariée en train d’attendre son homme, et le mari ne donne pas signe de vie, étant donné qu’il est toujours en France.
En s’entêtant à célébrer le mariage de son fils contre la volonté de ce dernier qui s’avéra aussi entêté que son père, Ba-Mekhlouf, se mit dans une mauvaise position. Face à cette situation insoutenable et afin de sauver l’honneur, il décida de consommer lui-même le mariage et d’épouser la fille !
D TAGERFA I IGHTT-IGAN.
Dans cette nouvelle traduite en langue française, corrigée par Salem Chaker et Dahbia Abrous et parue en juin 1996 dans le n° 521 de la Nouvelle revue française, Dda Muh, nous propose un retour pas comme les autres, un retour annonciateur du salut et de la fin de la malédiction qui frappe les Kabyles ! Selon lui, tous nos problèmes viennent de ce corbeau qui nous a lâché sur la tête des poux et de l’ignorance.
Notre salut est conditionné par notre retour sur la bonne voie pour pratiquer l’innocence et la sincérité de nos ancêtres. Ce jour-là, nos souffrances prendront fin, et Dieu rappellerait le corbeau, mais cette fois pour qu’il lâche sur nos têtes richesse et savoir. L’autre sac qui contient les poux et l’ignorance, il le jetterait sur les autres, les Roumis. Telle est l’explication de l’oncle Moh de ce qui nous arrive et des voies de notre salut, lui qui croit toujours que la terre se repose sur les cornes du bœuf. Travailler ? Non, ça ne servira à rein, il faut attendre le retour du corbeau.
Avec cette dernière nouvelle, nous fermons TUGHALIN, après avoir lu les 143 pages qu’il renferme. Et nous retournons à nous-mêmes, avec plein d’émotions, pour méditer et penser les interrogations, les idées que la lecture a provoqué en nous.
Ainsi sont les retours, multiples, pluriels, pleins de sagesses, de satisfactions, mais aussi de douleurs et de malaises. Le lecteur en tamazight lira avec beaucoup de plaisir ces textes écrits dans un amazigh accessible et à la portée de tous. Pour les néologismes intégrés, un dictionnaire est disponible dans les pages 141 et 142.
TUGHALIN est disponible dans les librairies, il vous attend. Il faut faire le premier pas, il faut commencer à lire une ligne, une page, pour se retrouver en train de clôturer la lecture de votre premier livre en langue tamazight, il faut simplement oser et avoir un petit peu de volonté. La volonté, c’est la solution à tous nos problèmes, le corbeau, lui, restera toujours noir.
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Posté Le : 08/06/2006
Posté par : nassima-v
Source : www.dzlit.free.fr