Algérie

Tu marches un peu '



La question suit le salut, avant d'introduire les discussions. Dans les villages de Kabylie, c'est déjà une? tradition : les gens se disent bonjour, oublient les sujets ordinaires et passent à l'« actualité », c'est-à-dire la préoccupation de l'heure? l'essentiel, quoi. Même le temps qu'il fait, autrefois inévitable dans les premiers échanges de propos, passe maintenant au deuxième plan, quand il ne disparaît pas carrément. En la matière, il y avait pourtant de quoi meubler ce week-end dans les cafés et places de villages. Il a d'abord fait anormalement chaud sur ces hauteurs où le printemps s'est fait attendre, avant que le soleil ne se manifeste dans des proportions qu'on n'attendait pas. Puis ce petit vent froid et déroutant pour la saison. C'est pourtant l'actualité politique qui tient le haut du pavé. Dans ces contrées où tout le monde connaît tout le monde mieux que sa poche, le ton est décontracté et la familiarité une seconde nature. Alors on se chambre allégrement et on rivalise à la bonne franquette. Sur le « niveau d'information » des uns et des autres, sur les déclarations les plus pertinentes, sur les hommes politiques les plus indiqués pour l'alternative, sur les vidéos les plus cocasses et sur les dernières évolutions de la situation. Il y a ce sexagénaire qui raconte comment son fils, un révolté patenté, lui reprochait de ne pas trop s'impliquer : même les handicapés marchent tous les vendredis et toi, tu restes scotché à El Magharibiya alors que cette chaîne ne raconte que des mensonges. Il y a cet autre qui crie sa frustration de ne pas pouvoir rejoindre les marches en raison de son diabète. Il y a celui qui regrette que le village ne soit pas organisé pour assurer le transport vers Tizi : il n'y a que les gens véhiculés qui ont la chance de rejoindre les marches quand ils veulent. Il y a ceux qui ironisent sur les militants du FLN du coin devenus miraculeusement des opposants pour se fondre enfin dans la foule. Il y a quelques sceptiques de tempérament qui jouent aux perspicaces rabat-joie. Il y a ceux qui voient l'avenir en rose et soutiennent mordicus que cette fois est vraiment la bonne. Il y a ceux qui ont leurs « favoris » dans la issaba et sont aux anges de les voir enfin coffrés pour l'ensemble de leur ?uvre, qu'ils relatent dans le détail en rajoutant librement. Il y a ceux qui évoquent les « élections » en rigolant de bon c?ur : déjà qu'on ne votait pas ici en tant « normal », on imagine ce que ce sera cette fois-ci. Sur un ton défi, le sourire malin, deux vieillards physiquement bien entamés, se donnent rendez-vous pour vendredi prochain. Difficile de les voir battre le pavé mais on finit toujours par se dire qu'ils en sont capables. En attendant, ils en parlent avec passion et ça leur fait déjà cette lueur dans le regard qui rassure. Il y a du soleil et un vent anormalement frais mais on n'en parle pas vraiment. On se salue, puis on passe à l'essentiel.S. L.


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