Algérie

«Tu es comme le scorpion, mon frère !»



Coup de blues. Et voilà qu'on va faire son Cioran du dimanche : « Deux ennemis, c'est un même homme divisé » ! Et des bataillons alors, ça fait quoi donc 'Vanité des mots ' Approximation de la poésie ' Oui, «la plus drôle des créatures » s'émerveillait et déplorait, dans le même mouvement, Nazim Hikmet : «Tu es comme le scorpion, mon frère/ dans une nuit d'épouvante .»
Des fois, las, le verbe pâteux, l'esprit embrumé de mercure, mais le rêve toujours vivace même à la fin du gué, tu te retiens de tout envoyer bouler ! Non, tu ne sombreras pas dans le piège du renoncement. Non, tu ne tomberas pas dans le bourbier des clabaudages. Laisse ça aux spécialistes, ils savent y faire !
Heureusement, ton surmoi veille et te bride ! Ce qui t'empêche de proférer ses vérités amères à la face de la confusion ambiante !
À ces flasques voix rances qui ne s'entendent qu'au carbone 14, planquées dans un passé fantasmé et réécrit à la première personne du singulier, tu voudrais dire d'aller se faire recycler à la consigne des idées trouvées.
Toi qui perds ton temps à tirer sur tous ceux qui bougent et qui montrent la fatuité de ta condition, remue-toi !
À celle ou à celui qui se croit plus pur que les autres, plus patriote que les autres, plus progressiste que les autres, plus militant que les autres, plus démocrate que les autres, plus courageux que les autres, plus intelligent que les autres, plus nationaliste que les autres, plus communiste que les autres, plus algérien que les autres, plus kabyle que les autres, plus chaoui que les autres, plus vertueux que les autres, plus cultivé que les autres, plus talentueux que les autres, plus plus que les autres, plus, etc. , que les autres, ne faut-il pas rappeler le cruel anti-platonisme de cette profession de foi de Pierre Reverdy : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour ! » Il ne suffit pas de dire ! Montre ce que tu sais faire d'autre que t'enfoncer davantage en critiquant bassement !
Oui, las, de tout ça ' Avoir envie de jeter au feu des discordes ces muselières infligées à la parole, ces attaques souvent fourbes, ces animosités enracinées dans la bêtise et l'envie qui se prennent pour de la culture, ces postillons qui se croient des ?uvres, cette grande inanité !...
Nous sommes dans un moment où la cause de la démocratie et de la souveraineté du peuple a besoin de toutes les énergies, y compris les énergies fossiles. Je sais, ça ressemble à un « y a qu'à » mais je ne trouve rien d'autre pour conjurer tous ceux-là qui brandissent sans vergogne des médailles d'anciens combattants de batailles fictives mais néanmoins perdues, de cesser de triturer leur nombril.
Avec les donneurs de leçons, on doit redoubler d'efforts pour rester positifs. Faut-il leur faire découvrir, tiens, à l'instar du vieux sage chinois, que le doigt n'est pas la lune '
Semaine de mouise. Ces sombres réflexions, qu'il est vital de surmonter, proviennent en partie de la cascade d'événements vécus ces derniers jours et de la façon dont ils sont commentés sur les réseaux sociaux, refuge contraint par le reflux de la liberté de la presse.
L'un de ces faits : l'emprisonnement d'Amira Bouraoui. Cette militante, clivante comme on dit, du mouvement Barakat, ancêtre du Hirak, qui en 2014 s'est opposé au 4ème mandat de Bouteflika, a été arrêtée, jugée et condamnée presto ! Elle en prend pour 12 mois sur des chefs d'accusation très lourds. Etonnamment, si l'on considère la gravité des faits qui lui sont reprochés, la sanction paraît dérisoire ! La disproportion entre l'accusation et la sentence montre qu'en fait, le vrai motif doit être ailleurs.
Et pendant que les espaces de liberté arrachés depuis Octobre 1988 sont rognés à cause de ce genre d'embastillement, et au lieu de dénoncer le bourreau, toi, tu scrutes d'autres failles imputables à la victime.
Et même cette histoire rocambolesque qui est arrivée à Ahmed Ouyahia ! Il est vrai qu'il n'avait pas, en principe, davantage le droit d'assister à l'enterrement de son frère que ce détenu d'opinion d'enterrer ses trois petites filles décédées dans un accident domestique de monoxyde de carbone.
Pour la préservation de l'image de l'Etat et le respect de l'intimité d'un enterrement, n'eût-il pas fallu le lui interdire plutôt que de l'y conduire menotté et dans un charivari qui pollue la solennité d'un cimetière '
Et pendant ce temps, toi, tu réinventes la notion de dignité pour la rendre à géométrie variable, feignant d'oublier que l'indignité n'est pas au crédit de celui qui la subit mais au débit de celui qui la commet.
Ce n'est pas parce que Ouyahia traîne la calamiteuse et justifiée réputation du préposé consentant aux « basses besognes » qu'il mérite d'être humilié. Si le monde était gouverné par la loi du Talion, on n'aurait jamais eu, par exemple, le procès de Nuremberg ou tous les grands procès de l'Histoire.
Cela dit, bien sûr, il faut débattre.
L'unanimisme, surtout lorsqu'il est imposé, mène au populisme, ferment des dictatures. Oui, le débat est essentiel, et assurément il fait défaut. Est-ce parce que nous n'avons pas appris à le mener que nous lui substituons l'anathème, l'injure, les attaques indignes, et cette profonde conviction de chacun qu'il détient à lui tout seul la vérité '
Comme le scorpion, mon frère !
A. M.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)