Algérie

Tribunaux : une année pas comme les autres



Une année après le déroulement des premiers procès liés à la corruption, la justice algérienne demeure toujours mobilisée par des dossiers lourds qui ont entraîné la chute des plus importants symboles du régime Bouteflika.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le 4 décembre 2019 devient, de ce fait, une date symbole, celle où les Algériens voient pour la première fois défiler à la barre des hommes d'Etat, des hommes forts qui présidaient aux destinés du pays. Le fameux procès du montage automobile s'est ouvert ce jour-là, au tribunal de Sidi-M'hamed, dans une ambiance surchauffée, dans une tension induite par la présence de dizaine de citoyens désireux d'assister à l'arrivée de ceux à qui ils imputent la faillite du pays.
Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Mahdjoub Bedda, Youcef Yousfi et Abdelghani Zaâlane arrivent menottés, suivis des hommes d'affaires soupçonnés d'avoir bâti leur empire grâce à leur proximité avec les hauts responsables. Trop nombreux, les citoyens ne sont finalement pas habilités à entrer dans la salle d'audience. Ils assistent à l'arrivée des prévenus à travers deux écrans géants disposés dans le hall du tribunal.
Dehors, près d'une centaine de personnes est amassée face au tribunal. Jets de pots de yaourt, slogans critiques, appels à la justice... Choqués, les nombreux avocats formant le collectif de défense des prévenus appelle la cour à sauvegarder la dignité et les droits de leurs clients. Le procès s'étale sur près de dix jours.
Le système SDK CDK est décortiqué, les avantages octroyés aux oligarques mis à nu, le montant des préjudices dévoilé... Des condamnations très lourdes tombent. Le procès du montage automobile est suivi d'autres jugements aux allures aussi spectaculaires.
Les affaires Mourad Eulmi, représentant de Sovac en Algérie, Mahieddine Tahkout, Ali Haddad font éclater au grand jour le jeu qui s'est opéré pour l'octroi d'importants marchés, le déni du système de fonctionnement de ces dossiers, les abus de fonction, les passe-droits...
Des chiffres ahurissants sont dévoilés, ceux des crédits bancaires accordés, des sommes octroyées pour des projets inachevés, des transferts de devises...
Le nombre de ministres incarcérés augmente à mesure que les semaines passent. En fin de mois de décembre 2019, quatorze anciens membres des gouvernements ayant servi sous Abdelaziz Bouteflika sont sous mandat de dépôt. Trois autres suivront dans les mois à venir.
L'aile qui leur est réservée à la prison d'El-Harrach en devient étroite, plusieurs d'entre eux sont transférés au pénitencier de Koléa, puis, progressivement, d'autres transferts s'opèrent vers des prisons plus éloignées. Ces ministres comparaissent les uns après les autres.
Les noms de Ouyahia, Sellal, Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda, Abdelghani Zaâlane, Amar Tou et Amar Ghoul sont ceux qui reviennent le plus souvent. Leur chute est liée à celle des hommes d'affaires auxquels ils ont octroyé des marchés avantageux durant leurs fonctions. Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat comparaissent, quant à eux, pour mauvaise utilisation de leurs fonctions. Les condamnations dont ils ont fait l'objet, huit ans et quatre ans, sont jugées moins lourdes comparées à celles des sept noms précités. Beaucoup des ministres incarcérés comparaissent avec leurs enfants.
C'est le cas de l'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal, de Djamel Ould Abbès et de l'ex-ministre du Travail Mohamed Ghazi. À leurs côtés comparaissent également de nombreux anciens walis. Ils sont une quinzaine à avoir été incarcérés pour octroi d'avantages. Comme la plupart des anciens ministres, ils se disent victimes de « forces plus grandes », de directives émanant directement de la présidence de la République où les principales décisions étaient prises. Abdelaziz Bouteflika, son frère conseiller sont cités à de nombreuses reprises par Ouyahia, Sellal et des ministres.
Dans le pays, la question du jugement de l'ancien Président fait débat. Abdelmadjid Tebboune tranche et écarte définitivement l'éventualité d'un procès à l'encontre de Abdelaziz Bouteflika.
Toutes ces affaires en cours avancent. À l'exception de Djamel Ould Abbès et de Saïd Barkat, jugés en appel depuis hier, tous les dossiers ont tous été transférés à la Cour suprême après cassation. Il y a une semaine, cette instance a, cependant, rendu publique une décision qui va relancer de nouveau l'affaire du montage automobile.
Décision a, en effet, été prise d'organiser un nouveau procès qui se déroulera une fois de plus devant la cour d'Alger mais avec une cour composée différemment.
Doit-on s'attendre à une réduction de peine des ministres mis en cause dans ce dossier ' « Rien n'est impossible », estiment les avocats des concernés qui en veulent pour preuve les peines revues à la baisse en appel dans certaines affaires.
Ahmed Ouyahia a déjà vu sa condamnation, douze ans, réduite à huit ans dans l'affaire Haddad, « un nouveau procès pourrait lui permettre de mieux se défendre, c'est un nouvel espoir pour tous les prévenus impliqués dans ce dossier », espèrent encore les avocats.
La Cour suprême aura également à trancher dans l'affaire Eulmi, Tahkout et Haddad, mais elle doit aussi auparavant rendre sa décision dans la cassation introduite par Tayeb Louh qui récuse les chefs d'inculpation retenus à son encontre. La chambre d'accusation qui avait été auparavant saisie avait, quant à elle, maintenu la qualification des griefs (mauvaise utilisation de la fonction, abus de fonction, interférence dans le fonctionnement de la justice).
La pression est également très forte au niveau du nouveau pôle spécialisé mis en place au tribunal de Sidi-M'hamed pour pallier le vide généré par la suppression de la juridiction de privilège dont jouissaient les anciens hauts responsables. Au cours des deux semaines écoulées, pas moins de dix anciens ministres et six ex-walis ont été entendus dans le cadre de différentes affaires.
Trois principaux dossiers sont au centre des auditions qui se
déroulent : Sonatrach II SNC Lavalin, l'ANB (Agence nationale des barrages) et les frères Kouninef. Quelques jours auparavant, un juge d'instruction a une nouvelle fois auditionné l'ancien P-dg de la zone touristique Sahel (Club-des-Pins et Moretti). La programmation de la date du procès de Abdelhamid Melzi sera connue prochainement.
A. C.


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