Algérie

Travaux d'embellissement dans une commune de Béjaïa : Quand Semaoun se fait coquette !



Le village Semaoun, chef-lieu communal, dans la daïra d'Amizour, (60 km de Béjaïa), connaît depuis la fin du mois de mai une dynamique foisonnante.Le village est transformé en un vaste chantier ouvert où des travaux d'embellissement ont été engagés grâce à la seule volonté et moyens financiers des villageois. Djebar Houchat, enseignant à l'école primaire du même village, nous accompagne pour une immersion dans cette organisation villageoise et nous ouvre la voie vers les dédales de cette localité où un noyau de jeunes est décidé à prendre en charge son cadre de vie.
Tout a commencé avec l'organisation, par un petit groupe de jeunes, d'une action de solidarité consistant à distribuer des couffins pour les nécessiteux à l'occasion du mois de carême. Le même noyau de jeunes actifs devait prolonger son initiative par la mise en place d'une campagne de circoncision des enfants à l'occasion de l'Aïd El Fitr. «Mais avec l'avènement du nouveau coronavirus, cela n'a pas eu lieu à grande échelle à cause du risque de contamination», dira Djebar, et c'est là «qu'il a été décidé d'investir le peu de fonds récolté auprès des bienfaiteurs et les habitants dans un autre projet», précise-t-il. «Le but, c'est de redonner un nouveau visage au village, améliorer notre cadre de vie et surtout mobiliser l'énergie positive de nos jeunes sans attendre l'autorité locale. Des projets pérennes et d'utilité publique sont également au programme», dit d'emblée notre guide.
En bas du village, un espace est prévu pour la réalisation d'un parking et d'une aire de jeu pour les enfants. Le visiteur observera du premier coup d'?il le manque de lieux de détente et de loisirs dédiés aux jeunes.
Le village surplombe un stade de quartier délabré, avec des équipements et une clôture endommagés. Les structures de la maison des jeunes, le foyer et le hangar implanté en guise de salle de sport ne sont pas animées faute d'équipements et de moyens humains. Ils sont abandonnés à l'usure du temps. Dans un coin de tajmaât, la placette publique, une sorte de musée à ciel ouvert offre à voir des objets traditionnels, de vieux équipements d'une huilerie traditionnelle, qui viennent d'être destinés à un usage décoratif.
L'espace a été cédé par Hocine Mouhoubi, issu de l'ancienne génération. Ce dernier se dit très content de ce qu'ont fait les jeunes de cet espace qui a été transformé, auparavant, en une sorte de «débarras». Chacun des habitants a contribué à sa manière pour améliorer le cadre de vie dans son village.
Les éléments de l'huilerie traditionnelle, par exemple, appartiennent à Aït Abbas Hadj Rabia, dont les fils ont jugé qu'il est de leur «devoir d'honorer» leur village par ce don précieux. Des jeunes ont réussi à rafistoler cette presse taillée dans le bois pour servir d'objet à la fois décoratif et à valeur historique. Ainsi, elle témoignera de cette activité ancestrale de la cueillette et de la trituration de l'huile d'olive. Un des fils du propriétaire nous dira que les éléments anciens de cette huilerie «existaient depuis au moins 300 ans, je les ai trouvés en notre procession depuis que j'ai ouvert les yeux», confie cet octogénaire.
L'identité sculptée
Dans un autre coin, des maçons et des artistes qui se découvrent de nouvelles vertus, le sens artistique, ont réalisé une deuxième cascade, plus imposante, qui ornera cette placette. Les villageois ont pu compter sur le talent de Mouloud Benmammar, un artisan du village voisin pour peindre et décorer l'arrière-plan. Ce dernier a imaginé et concrétisé des sculptures avec des éléments auxquels les villageois sont attachés, se rapportant notamment à leur origine berbère et leur appartenance à la nation algérienne. «Je suis désormais un des leurs. Je passe la plupart de mon temps dans ce village avec mes nouveaux amis, ils m'ont donné l'occasion de m'exprimer et d'exprimer ce qu'ils attendent de moi», dit Mouloud.
A commencer par ces sculptures de figures emblématiques des rois berbères entourés des noms de famille des habitants gravés avec la calligraphie tifinaghe. En face, on trouve des tableaux représentant les gravures rupestres existant dans le Tassili n'Ajjer et un peu partout dans le Sud algérien, ainsi que des bijoux berbères.
La femme rurale et son rôle social sont représentés dans une autre sculpture, la montrant dans l'une de ses tâches quotidiennes, dans sa robe kabyle, une cruche sur le dos et rentrant de talla (la fontaine). Une partie de son monde d'antan est également résumée par la maison traditionnelle qu'elle entretient et où elle passe l'essentiel de son temps en plus de l'éducation de ses enfants et les champs qu'elle cultive.
Fixant son ?uvre, Mouloud se rappelle que «cet aspect traditionnel qui représente la femme dérange parfois». «La société doit se libérer de ses complexes parce que, une fois, alors que je sculptais le portrait d'une femme kabyle dans ses habits traditionnels, à la demande de villageois, un homme surgit de chez lui pour m'arrêter en me disant :??Ne me dessine pas une femme devant ma porte !''», raconte-t-il, souriant. L'artiste le vit alors comme une déception.
C'est un fait qui renseigne sur l'étendue des dégâts provoqués par les adeptes de l'obscurantisme et de l'intolérance. En fait, Mouloud a lancé plusieurs sculptures ornementales sur les murs, les poutres, les façades des maisons et le long des allées du village et qui attendent d'être achevées. Son ami nous dira laconiquement : «La volonté y est. Les jeunes ont beaucoup d'énergie, mais on a besoin d'argent pour aller jusqu'au bout de notre programme». Jusqu'ici, dira-t-il, «on a compté principalement sur les dons des villageois, de nos commerçants et les bienfaiteurs qui nous fournissent des matériaux comme le sable, le bois et la peinture. Aucune subvention publique.»
Relookage
Younes Terki est fraîchement sorti de son service militaire. Cet universitaire voit qu'on peut faire beaucoup de choses avec seulement les compétences des enfants du village, chacun dans son domaine, notamment ceux qui exercent des métiers artisanaux, avec ceux qui ont de l'argent et des idées. Le but pour lui c'est d'effacer cette image lugubre et vieillissante du village, alors, il s'implique dans le relookage du périmètre de la mosquée, entre autres, avec ses amis en transformant une partie des lieux en une petite bibliothèque, un espace de lecture et de rencontres en installant, entre autres, des structures en bois pour délimiter et donner vie à cet endroit.
Au milieu du village se dresse une imposante mosquée. Des versets coraniques sont sculptés et traduits en tamazight. Sur l'un des murs d'El Djamaâ, un dessin représente une école coranique, montrant des élèves coiffés de chéchia aux motifs berbères entourant leur cheikh, des tablettes en bois dans les mains. Pour les villageois, cette représentation est une façon de rappeler que dans ce village il existait une école coranique où des savants de renon ont séjourné. Le métier de berger est une autre activité paysanne ancestrale, toujours de mise dans les montagnes de la Kabylie.
L'attachement de l'homme à la nature et son moyen de subsistance sont immortalisés à travers une fresque qui met en valeur un berger guidant et prenant soins de ses moutons. La résistance des Algériens contre le colonialisme est rappelée par ce résistant non identifié, mais dont les habits et l'allure renvoient aux années 1830-1900, époque de luttes dans la région. «Ce personnage peut évoquer au visiteur l'époque où la Kabylie a organisé la résistance contre le colonialisme. Les résistants son nombreux, nous avons préféré leur rendre hommage à travers ce personnage inconnu et identifiable comme étant un chef de la résistance algérienne grâce à ses habits», dira un vieux du village.
Tous les dessins ont été débattus et bien étudiés afin qu'ils finissent en sculptures ornementales et qu'ils puissent être représentatifs, retraçant au mieux l'histoire du village, les aspects de la vie quotidienne des villageois d'antan et la symbolique identitaire qui a imprégné la vie sociale dans la région à travers les ans. La sculpture ornementale en sable et ciment colle permet la longévité des tableaux et résiste mieux aux aléas du temps.


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