Alors que s’amorce le retour au travail, de nombreuses entreprises ont d’ores et déjà prévu de mettre les bouchées doubles pour limiter les effets de la crise économique annoncée. Est-ce trop en demander, alors que nous en sommes encore à surmonter les effets psychologiques du confinement seul ? Audrey Akoun, experte en psychologie positive et neurosciences, appelle à la prudence.
Sommaire
Rajouter de la pression à la pression
Un burn-out généralisé assuré ?
Bienveillance et écoute, la clef de la reprise
Travailler plus après le confinement : quel impact psychologique ?
Travailler davantage pour remettre la machine économique en marche, rattraper le temps perdu et ne pas sombrer après la crise sanitaire du coronavirus. Voilà l’objectif de nombreuses entreprises qui vont tenter de se relever dans les mois à venir. Une perspective compréhensible mais qui fait cependant frémir la plupart d’entre-nous. Force est de le constater : salariés et patrons ne sont pas au même diapason. A l’heure actuelle, beaucoup d’entre-nous se débattent encore avec les effets du confinement. Sur le plan professionnel tout d’abord : "Passé le marathon des premières semaines, une certaine organisation a peu à peu été trouvée, décrit Audrey Akoun, experte en psychologie positive et neurosciences. Mais pour de nombreux Français en télétravail, conjuguer les impératifs familiaux et professionnels pendant cette période est encore un véritable défi. Bien souvent, c’est une double journée qui se déroule : la vie de famille, avec son lot de devoirs, de tâches ménagères et de crises. Et la vie professionnelle, menée tôt le matin, tard le soir, en journée quand les enfants laissent un peu de répit. On essaie d’avancer comme on le peut, de sauver les meubles. C’est une période extrêmement tendue où l’on ne sait plus où donner de la tête. Il faut être Super(wo)man pour réussir à mener tout de front !" Sur le plan individuel et psychologique, les conséquences sont forcément dévastatrices. "Beaucoup d’entre-nous travaillent deux fois plus qu’avant le confinement, pour réussir à faire face, souligne la thérapeute. Le stress, la fatigue, l’épuisement psychique se sont accumulés. Et on sait qu’il faudra encore tenir plusieurs semaines, puisque les écoles ne rouvriront pas toutes ou dans des conditions d’accueil limitées. Dès lors, comment reprendre le travail de manière normale, sachant qu’il faudra encore s’adapter à toutes ces injonctions contradictoires ? On n’aura pas d’autre choix que d’aller puiser individuellement dans ses ressources et c’est beaucoup demander, même à des personnes très équilibrées."
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Rajouter de la pression à la pression
Comment entendre qu’il faudra travailler plus alors que le déconfinement est tout juste en marche ? Inconcevable, pour de nombreux salariés. "C’est rajouter de la pression à la pression, estime Audrey Akoun. Pour le moment, on est dans le flou, personne ne sait de quoi la reprise va être faite. Encore une fois, on parle d’enjeux, de contraintes, de performances, au lieu de rassurer et d’accompagner."La réduction, voire la suppression des congés, figure ainsi parmi les éventuelles mesures annoncées pour surmonter la crise économique. Une solution inenvisageable pour la thérapeute. "Je suis horrifiée d’entendre ce type de proposition, c’est comme si on n’avait retenu aucune leçon de ces mois écoulés ! Cette annonce est anxiogène au possible : faut-il rappeler que la majorité des salariés déclarait un stress au travail et un surmenage avant le confinement et que celui-ci a été tout sauf des vacances ?, martèle Audrey Akoun. Pour beaucoup, cette situation subie - et non choisie - a été un traumatisme. Stress, angoisse, solitude, privation de liberté, difficultés familiales, violences… tout le monde a souffert, sous des formes différentes. On ne peut pas faire l’économie de l’impact du confinement sur le plan psychologique. Personne ne pourra reprendre le travail de manière normale après cela. Demander aux Français de travailler deux fois plus n’a pas de sens quand on sait que leur mental est déjà fragilisé. La priorité est déjà que chacun puisse psychiquement se relever."
Un burn-out généralisé assuré ?
Si la majorité des grands groupes ont continué à fonctionner d’une manière ou d’une autre, la situation est évidemment autrement plus délicate pour les petites et moyennes entreprises. Pour ces dernières, intensifier le rythme est la seule option possible pour assurer leur survie. Mais tirer sur la corde, on le sait, est dangereux. "Quand on met le corps à rude épreuve, que l’on n’écoute pas la fatigue et que l’on s’épuise, les conséquences peuvent être graves, poursuit la psychothérapeute. A la sortie du confinement, il faut craindre un effet "cocotte minute". Pour beaucoup de gens, la limite sera atteinte : le risque de décompensation psychique [rupture de l’équilibre psychique : la personne perd alors pied] est grand." Un burn-out généralisé est-il alors à craindre ? "Malheureusement oui si l’on persiste à mettre la performance économique en avant, au détriment de la santé des individus", reprend Audrey Akoun. Loin de sonner comme une libération, la période de "l’après" sera - de son avis - probablement encore plus difficile à traverser que le confinement. Apprendre à vivre avec le virus, se plonger dans des problématiques professionnelles alors que l’on est absorbé par d’autres préoccupations, demande un effort et suppose un temps d’intégration. "Notre cerveau va s’adapter, de la même façon qu’il s’est adapté au confinement et à la privation de liberté, mais il faut lui laisser du temps. Après avoir été enfermé pendant deux ou trois mois, on aura tous besoin de prendre l’air et de penser à autre chose, complète la thérapeute. La majorité des gens aspirent à retrouver leur vie, leurs repères. On a besoin d’évasion, de légèreté et d’insouciance. On a besoin de revoir sa famille, ses amis, de se réunir et de partir en vacances, même si ce n’est pas très loin… Les employeurs devront forcément tenir compte de ces données."
Bienveillance et écoute, la clef de la reprise
Mais alors comment retrouver des conditions de travail optimales ? "En privilégiant l’accompagnement, l’écoute et le dialogue, insiste Audrey Akoun. Parler et reconnaître ce qui a été vécu, échanger sur son expérience des dernières semaines, est primordial. Cela permettra à chacun de revenir plus sereinement à son poste." Selon la thérapeute, les employeurs auraient ainsi tout intérêt à faire preuve de bienveillance dans les semaines à venir, en instaurant des entretiens individuels et collectifs, en libérant des espaces de parole, nécessaires pour déverser ses craintes. "On n’est pas obligé de faire venir un psychologue en entreprise, cela se peut se faire entre collègues !", assure-t-elle. Mais aussi des routines et des "challenges de reprise". "A la place des mails et des injonctions qui amènent de la pression, on peut proposer par exemple de s’écrire des petits mots gentils, de se rendre service entre collègues. On peut aussi instaurer une activité sportive pour décompresser ou mettre en place un quart d’heure de méditation collective le matin avant d’entamer la journée. Ce sont de petites choses, mais elles font beaucoup de bien. Les salariés se sentiront ainsi encouragés à reprendre progressivement, dans une ambiance moins lourde." Prioriser les objectifs, ne pas vouloir tout amorcer à la fois, avancer pas à pas mais surtout trouver des leviers pour faire renaître motivation et coopération.
Sources :
Entretien avec Audrey Akoun, experte en psychologie positive et neurosciences
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Posté Le : 07/06/2020
Posté par : psychodz
Ecrit par : Ariane Langlois Journaliste spécialisée en santé et psychologie
Source : doctissimo.fr