Algérie

Traumatisme d'eau et philosophie de jerricanes


L'histoire s'est passée dans une wilaya du pays, à l'Est, àTarf : un wali a été intercepté, lors de l'une de ses sorties semi-champêtres,par un groupe de femmes qui lui coupa la route pour demander de l'eau, « aubeau milieu de la chaussée » selon le journal. Pourquoi ? Parce que le problèmede l'eau peut être un drame dans certains endroits du pays où ce sont lesfemmes qui sont encore obligées d'aller chercher l'eau à la source. Tout commeautrefois dans les chansons, sauf que là, personne ne chante sauf les dos etles os. Selon notre correspondant, le wali a répondu à la bande de femmesarmées de leurs jerricanes vides, en promettant de l'eau et décapita, en live,le directeur de l'eau qui faisait partie de la délégation et de l'histoire. Cequ'il y a d'intéressant dans ce fait presque divers ? Sa séquence narrativeabsolument typique : on y retrouve presque les mêmes gestes, les mêmes paroleset les mêmes actes, à des siècles d'intervalles, entre le Calife Abdelix IbnY,sorti le soir à Bagdad et tombant par hasard sur des pêcheurs qui se plaignentde la malchance ou de la garde du Calife lui-même, et la séquenced'aujourd'hui, avec un wali sorti voir où commençait et où se terminait sa province,des femmes criant qu'elles ne peuvent remplacer les canalisations de l'AEP auXXIème siècle et le directeur de l'Eau dans le rôle du vizir démasqué. Toutautour, c'est le même Sahara en arrière-plan, une équivalence motrice entre lecheval vivant et celui de la vapeur, un usage magique de la parole souveraine.Le plus terrible et le plus risible cependant, n'est pas dans l'anecdote maisdans sa perpétuation. Des siècles après le démodé supposé des formules degouvernance par le califat et l'usage de l'index pour donner des ordres,décapiter des têtes ou réparer des injustices, on n'en est encore là, àdemander à un wali, un préfet, un vizir ou un gouverneur de la Bassorathéorique, la réparation du « manque initial ». Entre l'époque de Bagdad,capitale de l'Empire et aujourd'hui, il y eut échec puis dissolution del'essentiel des institutions de médiations et des modes de gouvernance par ladémocratie indirecte : A El Tarf, lieu de géographie symbolique où se déroulace schéma actanciel, entre un wali et des jerricanes, il n'y a plus ni APC, nidéputés, ni sénateurs, ni associations, ni courrier postal, ni journaux, nivoies de recours, ni dividende de citoyenneté. Rien que les trois grandsacteurs de ce genre d'histoire dérivés des Mille et une nuits : un wali,quelques femmes malheureuses aux dos cassés et le hasard. C'est-à-dire lePouvoir, l'Attente et la Prière. Du coup, le wali du coin se retrouve àréincarner ce que faisait ses ancêtres face à ses ancêtres : il écouta,comprit, promit, hocha de la tête, regarda la direction du village indiqué, setourna vers son directeur de l'ADE, lança un regard aux femmes et à leurjerricanes puis regarda mentalement sa montre, le soleil, la route et mit fin àla rencontre. Conclusion : il est possible de dire que ce genre d'histoiresprouve que le temps s'est arrêté à cet endroit. Mais cela est faux : la véritéest qu'il n'est jamais passé par là. C'est pourquoi la même scène fondatrice del'échec du politique dans la planète à turbans, recommence toujours. Comme unrêve ou un cauchemar. Une scène « des origines », un lieu suspendu en attentede la bonne réponse. Eternellement, un wali sera bloqué lors d'une de sespromenades par des sujets en larmes, dénonçant quelque chose et illustrantautre chose. Eternellement, cet homme dira quelque chose puis passera sonchemin face à des plaintifs qui vont se disperser un moment et se regrouperdans quelque temps.


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