Algérie

Transition vers les industries du futur en Algérie: Promouvoir la recherche sur les matériaux



L'Algérie a connu un premier programme d'industrialisation à partir de 1965. Ce programme a duré une quinzaine d'années et a couvert pratiquement tous les secteurs industriels avec la création d'une douzaine de sociétés nationales en plus de SONATRACH (hydrocarbures) et SONELGAZ (électricité et gaz naturel), créées au lendemain de l'indépendance. Je les cite de mémoire et en vrac : SNS (sidérurgie), SONACOME (mécanique), SNMETAL (métallurgie), SONELEC (électronique), SONAREM (mines), SNIC (chimie), SONIPEC (cuir), SEMPAC (semoule, pâtes alimentaires, couscous), SOGEDIA (industries alimentaires), SNMC (matériaux de construction), SONITEX (textiles), SONATIBA (bâtiment).

D'autres organismes ont vu le jour sous forme d'offices nationaux comme l'ONACO (commerce), l'ONAT (tourisme) et l'ONRS (recherche scientifique). Cette période a vécu la naissance de nombreuses usines partout sur le vaste territoire national en parallèle avec des universités, des écoles d'ingénieurs, des instituts de formation professionnelle pour assurer la bonne marche des unités de production, tant le besoin a été immense et dans tous les domaines. L'industrie du tourisme n'a pas été en reste avec des complexes hôteliers sur la côte et dans plusieurs villes d'Algérie, reflétant son patrimoine multiculturel aux dimensions arabe, amazighe et islamique, ainsi que son histoire qui est riche, diversifiée et qui traverse plusieurs civilisations anciennes et récentes, intimement liées à la Méditerranée avec des cachets romain, ottoman et andalous. Un super ministère de l'industrie et de l'énergie a permis la coordination de différentes activités à travers des directions sectorielles et une direction générale de la planification et du développement industriel. Cette coordination intersectorielle s'est imposée en cette période de décollage économique, après une longue nuit coloniale caractérisée par un vide presque total dans tous les domaines, y compris ceux de l'éducation et de la formation professionnelle. L'auteur a eu le privilège de servir dans cette direction générale, entre 1973 et 1975, en qualité d'ingénieur d'Etat chargé de la réalisation des projets industriels, sous la direction éclairée de plusieurs futurs hauts responsables du pays.

Un changement de politique dans les années 80 a mené à une baisse dans le rythme d'industrialisation au profit d'une libéralisation, en particulier dans le commerce extérieur, qui a vite conduit à l'épuisement des ressources financières et de la manne pétrolière. Le relâchement dans le programme d'industrialisation s'est accéléré pendant la décennie 90 à cause de la situation difficile de notre pays et la réduction drastique des relations avec les entreprises étrangères.

Depuis quelques années, l'Algérie semble s'orienter vers une nouvelle dynamique d'industrialisation, centrée sur l'exploitation de toutes les richesses du sous-sol pour sortir de la prééminence des hydrocarbures, en préparation de l'après-pétrole et gaz naturel. Cette relance de l'industrialisation est mise en Å“uvre à travers des projets de grande envergure, notamment en sidérurgie, métallurgie et phosphates. Le leadership a saisi l'importance géostratégique du pays dans la zone méditerranéenne avec un littoral de plus de 2.100 km (dépassant de loin le chiffre auparavant cité de 1.200 km), une superficie qui le place au 1er rang en Afrique, des frontières de plusieurs milliers de km partagées avec 6 pays en plus du Sahara Occidental, et d'un sous-sol qui regorge de ressources minières stratégiques. Il a aussi mesuré, à sa juste valeur, l'importance de la souveraineté du pays en gardant le contrôle sur ses richesses, en valorisant ses ressources pour le développement socioéconomique tout en adoptant une politique d'ouverture sur le monde extérieur, notamment à travers les ensembles régionaux et les organisations internationales (Nations Unies, Unité africaine, non alignés, etc.). Dans un contexte de développement intégré industrie-agriculture, le mégaprojet en partenariat avec le Qatar, d'une ferme d'élevage de vaches et de production de lait devant satisfaire une bonne part de la consommation nationale est en voie d'implantation dans la région d'Adrar.

Ce projet avec d'autres, développés dans le Sud, serviront à alléger la note en devises dans l'importation des produits de grande consommation et ne manqueront pas de promouvoir la complémentarité du Nord et du Sud dans l'Algérie du futur. Des secteurs comme le dessalement de l'eau de mer, les industries automobile, électrique, pharmaceutique, etc., ont connu une relance forte ces dernières années en collaboration étroite avec de nombreux pays de différents continents qui apportent leur savoir-faire et des financements conséquents. Bien sûr, les domaines énergétiques, non seulement du pétrole et du gaz naturel, mais aussi ceux des énergies renouvelables et de l'hydrogène, ont été boostés à travers de gros investissements, plaçant l'Algérie au cÅ“ur des enjeux géopolitiques et de reconfiguration des zones d'influence dans le monde. Les gazoducs déjà en fonction reliant notre pays à l'Europe à travers l'Espagne et l'Italie, le grand projet de gazoduc Nigéria-Niger-Algérie-Europe s'étendant sur des milliers de km donneront à l'Algérie le rôle central qu'elle occupe en Afrique, de par sa position géostratégique de lien entre les continents africain et européen, dans une zone méditerranéenne sensible et très convoitée. Les grands projets de fourniture d'hydrogène et d'électricité à l'Europe, via l'Italie, entrent aussi dans cette vision d'une Algérie au carrefour des échanges entre l'Afrique et l'Europe et d'éventuelle extension de la route de la soie devant relier par voies terrestres, la Chine à l'Italie, pour une prospérité partagée et un vivre ensemble dans la paix.

Selon des recherches préliminaires, l'Algérie recèle de nombreuses ressources minières entrant dans les industries du futur comme le lithium et les terres rares et qui sont très utiles pour amorcer la transition énergétique. La phase prochaine d'industrialisation sera d'un niveau qualitatif plus élevé, orienté vers les technologies de pointe mais elle requiert des ressources humaines en nombre, en qualité et en diversité. Elle ne peut réussir sans une implication massive de la communauté universitaire dans son ensemble, assortie d'une politique adéquate de formation, de soutien à la recherche et à l'innovation, au diapason des avancées scientifiques et technologiques et de l'évolution sociétale dans le monde. C'est dans ce contexte que la promotion de la recherche sur les matériaux est utile pour préparer l'industrie du futur en Algérie. Sans surprise, la SONATRACH est la locomotive de ce programme, étant le pourvoyeur de fonds pour faire émerger les autres secteurs dans cette phase de redémarrage et leur permettre d'intervenir dans le tissu industriel. La devise est d'utiliser les ressources financières provenant actuellement des hydrocarbures pour préparer l'après-pétrole et gaz naturel, en exploitant toutes les ressources du pays, en particulier les minerais à haute valeur ajoutée qui entrent dans les technologies du futur. Les défis sont nombreux mais la forte coordination qui s'opère actuellement entre tous les secteurs concernés, en particulier ceux du ministère de l'Energie, des Mines et des Energies renouvelables et ceux relevant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, est de bon augure et ouvre la voie vers la mise en place d'un tissu industriel moderne et performant. Dans cette contribution, on se limite aux nanomatériaux en notant que l'Algérie a prévu à la technopole de Sidi Abdallah une école supérieure de nanotechnologies pour marquer son intérêt à ce domaine clé dans le développement socioéconomique. La place des nanomatériaux est prépondérante dans les nanotechnologies comme on peut le voir à travers des exemples simples impliquant les nanoparticules en général et celles issues des polymères, en particulier. On observe depuis de nombreuses années déjà, une tendance forte dans le monde à remplacer les métaux par des polymères pour former des matériaux ayant des propriétés diverses, supérieures en termes de disponibilité, de facilité d'élaboration, de performances et de coût. Ces matériaux sont majoritairement issus d'hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) mais peuvent aussi être d'origine naturelle ou même biologique.

C'est l'un des avantages des polymères puisqu'ils facilitent la transition écologique. Une discussion sur la façon dont les polymères sont en train d'inonder notre vie quotidienne a déjà fait l'objet d'une contribution dans le Quotidien d'Oran (N° du 26 avril 2022). Les polymères interviennent massivement dans les nanomatériaux et dans les technologies du futur. Ils offrent à notre pays une opportunité d'émerger en valorisant ses ressources d'hydrocarbures dans le secteur de hautes technologies à grande valeur ajoutée. D'une façon plus générale, les nanoparticules ont des applications directes et immédiates dans la vie de tous les jours. Elles sont incorporées dans de nombreux produits de grande consommation comme les peintures, les revêtements, les lubrifiants, les adhésifs, les produits pharmaceutiques, les cosmétiques, etc. L'envahissement de notre vie quotidienne par des produits contenant des nanoparticules ne va pas sans poser de problèmes divers notamment sur la santé et l'environnement. Leur toxicité est avérée sur les poumons, les reins, le système immunitaire et leurs mécanismes de déplacement dans le corps humain ne sont pas totalement élucidés. Ce manque de connaissance doit être comblé par des efforts soutenus en matière de recherche scientifique et technologique, ainsi qu'une étroite collaboration entre chercheurs et acteurs socioéconomiques. Un partage équitable des avancées scientifiques doit exister à l'échelle internationale, tant le problème touche le citoyen du monde et pas celui de tel ou tel pays. L'environnement n'a pas de frontières et la contamination de l'air ou de l'eau qui coule, peut se transmettre facilement d'une région à l'autre.

L'association de la formation universitaire et du secteur socioéconomique, notamment par l'introduction du concept de start-up dans la diplomation, est une bonne approche pour assurer la réussite de l'économie du futur. La promotion de la recherche scientifique et technologique de haut niveau, à travers les écoles supérieures spécialisées comme celles de la technopole de Sidi Abdallah, est aussi une bonne chose. Mais est-ce suffisant ? Les universités algériennes avec presque 2 millions d'étudiants, environ 20 mille enseignants-chercheurs représentent un vivier de compétences à renforcer pour atteindre une masse critique, nécessaire et souhaitée dans la politique de développement du pays. Il y a un besoin pressant en ingénieurs et en techniciens supérieurs en nombre et dans tous les domaines. Beaucoup de laboratoires dédiés à la formation et à la recherche, de start-up et d'entreprises, ne peuvent fonctionner correctement que s'ils sont pourvus de personnels techniques qualifiés. Il faut aussi être attentif au fait que les grandes écoles spécialisées forment des compétences de haut niveau qu'il faudra insérer rapidement dans le circuit économique, pour éviter qu'elles soient tentées d'émigrer et répéter les erreurs du passé. En aucun cas, le secteur public ne peut absorber le flux annuel des diplômés de haut niveau. Le secteur privé, national et étranger, doit contribuer fortement à cette insertion, dans le cadre d'une politique avisée et une stratégie à plus ou moins long terme, permettant de rendre le pays plus attractif aux hautes compétences qu'il ne l'est actuellement.

Une approche pour rehausser la recherche au niveau international doit couvrir à la fois les aspects théoriques, expérimentaux et par voie de simulation sur ordinateur. Beaucoup de théoriciens dans les universités algériennes publient déjà, ou sont en mesure de publier, dans des revues prestigieuses, moyennant des appuis financiers largement à la portée des universités et des laboratoires de recherche. Sur le plan expérimental, les moyens nécessaires sont d'un autre niveau et doivent entrer dans une politique qui permet un saut qualitatif dans ce domaine où les performances de l'université algérienne restent modestes. Une possibilité serait de rassembler les équipements lourds dans des centres offrant toutes les commodités d'un séjour de courte durée, pour exécuter des programmes de recherche intensifs et sans interruption. Dans le cas des matériaux en général et des nanomatériaux en particulier, la maîtrise de la relation structure-propriété est importante pour améliorer les performances dans des applications concrètes.

Ainsi, les différentes techniques microscopiques (laser, RX, neutrons, microcopies électronique et à force atomique, etc.), les méthodes spectroscopiques et bien d'autres techniques offrent un ensemble d'informations complémentaires. Elles sont nécessaires pour bien connaître les structures des matériaux à différentes échelles et aider à établir le lien avec les propriétés et les performances. Il ne s'agit pas d'installer des équipements trop onéreux pour le Trésor public mais des équipements qui sont devenus classiques dans beaucoup d'universités dans le monde et qui permettent des analyses préliminaires, utiles même si elles ne se situent pas dans les plus hautes précisions atteintes actuellement. Dans certains pays avancés, des installations dédiées à la recherche, notamment sur les matériaux sont érigées dans le cadre de partenariats internationaux comme l'Institut Laue-Langevin à Grenoble, le synchrotron Soleil à Paris, le réacteur thermonucléaire expérimental international à Cadarache, le centre européen de recherche nucléaire à Genève, l'installation internationale d'irradiation des matériaux de fusion au Japon. Les chercheurs algériens doivent s'impliquer plus dans les programmes de recherche dans les centres internationaux comme ceux cités ici, pour les travaux de pointe à la limite du progrès, notamment en exploitant les possibilités offertes par la diaspora.



*Professeur de physique (retraité)




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