El Watan Economie a pris attache avec Klaus Schmidtke, directeur de la communication du consortium DII pour avoir un meilleur éclairage sur le projet Desertec. Voici en substance ce qu’il faut savoir sur le projet.
Qu’est-ce que Dersertec et DII ?
Desertec est un concept qui prévoit un approvisionnement énergétique durable de toutes les régions du monde grâce à l’exploitation du potentiel énergétique des déserts. DII est une initiative industrielle dont l’objectif global est la mise en œuvre de ce concept dans la région EU-MENA (Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord). Son objectif spécifique est de créer les conditions favorables à l’exploitation de l’énergie solaire et éolienne dans les déserts. L’énergie des déserts servira tout d’abord à répondre à la demande locale des pays producteurs, mais pourra également être exportée vers l’Europe. Il ne s’agit pas d’un projet centralisé et isolé, mais plutôt d’un concept global. Il en découlera de nombreux projets individuels qui seront mis en place en coopération avec les acteurs locaux (gouvernements, entreprises) afin de produire et transporter l’électricité issue d’énergies renouvelables.
DII est le facilitateur, catalyseur et coordinateur de ce processus. Fondé à Munich en octobre 2009, le consortium international DII comprend aujourd’hui plus de 55 entreprises et institutions, dont la fondation Desertec et les instituts de recherche Fraunhofer et Max-Planck. D’ici la fin de l’année 2012, les principales conditions politiques, juridiques, réglementaires, économiques et technologiques nécessaires à la mise en œuvre de la vision Desertec auront été créées. DII se consacre au développement d’un marché des énergies renouvelables. La réussite de cette entreprise pourra profiter, directement et indirectement, non seulement aux actionnaires et partenaires associés, mais aussi aux entreprises, initiatives, États et économies intéressés.
Quels sont les objectifs de DII ?
Jouant un rôle de précurseur, DII a trois objectifs : la création d’un climat favorable aux investissements : élaboration d’un cadre technologique, économique, politique et réglementaire, rendant possibles et attractifs les investissements dans les énergies renouvelables et les réseaux électriques interconnectés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’initiation d’une sélection de projets de référence vise à démontrer la faisabilité du concept et de réduire les coûts. Le développement d’un scénario de mise en œuvre du concept Desertec à long terme (« rollout plan ») d’ici 2050, est basé sur des recommandations en matière d’investissements et de financements. Les énergies renouvelables devraient ainsi être intégrées sur le marché le plus rapidement possible sans avoir recours à des subventions.
Le projet Desertec est-il utile pour les pays du MENA ?
La vision Desertec représente pour les pays de la région MENA un certain nombre de bénéfices économiques, écologiques et socio-économiques : Renforcement de la sécurité énergétique pour les économies et populations locales à travers l’exploitation de ressources durables. Possibilité d’exporter une énergie propre vers l’Europe et éventuellement vers d’autres régions. Développement d’industries locales. Création d’emplois et transfert de connaissances. Diminution de la dépendance vis-à-vis des carburants et plus généralement des énergies fossiles dont les prix sont volatils.
Développement d’une infrastructure énergétique durable, innovante et tournée vers l’avenir face à l’amenuisement des ressources fossiles; les pays disposant (encore) de ressources fossiles importantes auront la possibilité d’investir dans un approvisionnement énergétique durable. Croissance et impulsion économique suite à d’importants investissements. Plus grande diversification économique. Réduction des émissions de CO2. Lutte contre la pauvreté et amélioration du niveau de vie. Renforcement de la coopération entre les nations de la région MENA et avec l’Europe. Enfin, une garantie de la stabilité politique.
Qui produira l’énergie ?
Le consortium DII ne produira pas lui-même de l’énergie. Les pays de la région MENA travailleront en collaboration avec des entreprises afin de développer petit à petit des projets de production et de distribution d’énergies renouvelables. Objectif de DII : d’ici 2050, l’électricité issue des déserts devrait pouvoir couvrir jusqu’à 100% des besoins de la région MENA, et jusqu’à 15% des besoins européens. La façon dont évoluera le volume de production et de transmission au fil du temps dépend de nombreux facteurs, essentiellement des infrastructures existantes ou qui reste à construire ainsi que de la différence entre les coûts de production et les prix du marché. Dans les 10 à 15 premières années, des mécanismes de soutien seront essentiels afin de faciliter un tel développement. L’électricité en provenance des déserts sera compétitive sur le marché dans les années à venir, en Europe et dans la région MENA.
Qui construira les centrales ?
Le consortium industriel DII ne construira pas lui-même les centrales de production d’énergie. Il jouera un rôle de facilitateur. Il s’assurera que les projets se concrétisent, mais n’engagera pas d’investissements propres ou n’interviendra pas dans la construction ou l’exploitation des centrales. Dans la phase de planification d’ici fin 2012, l’accent sera mis sur la mise en place d’un cadre approprié et la création d’une structure (de marché) durable pour les énergies renouvelables. Ceux-ci attireront des investissements publics et privés sur long terme dans les centrales solaires et éoliennes ainsi que dans les réseaux interconnectés. DII lancera également deux ou trois projets de référence avec des entités responsables en Afrique du Nord afin de démontrer la faisabilité de la vision Desertec.
C’est quoi un projet de référence ?
DII parle de projet de référence ou de projet de coopération. De tels projets visent à démontrer qu’il est possible de produire, transporter et vendre des énergies renouvelables, mais aussi pour rendre plus concrète la nature abstraite de la vision Desertec. Les technologies envisagées pour la production et le transport de l’énergie sont toutes d’ores et déjà en utilisation à l’échelle mondiale. Il est cependant impératif d’établir une référence afin de montrer aux investisseurs que produire de l’énergie dans le désert et la transporter au-delà des frontières jusqu’en Europe est une entreprise possible et judicieuse d’un point de vue économique, technique et réglementaire.
DII lance des appels d’offres concernant deux ou trois projets de référence. Le premier projet se déroulera en collaboration avec MASEN, l’Agence marocaine de l’énergie solaire. D’autres projets pourraient suivre en Algérie, Tunisie et en Égypte. Le rôle exact de DII variera selon la nature de l’accord de coopération conclu avec le pays producteur. DII peut élaborer un business plan, sélectionner des sites appropriés, proposer des combinaisons de technologies adaptées, œuvrer pour la création de conditions juridiques et politiques favorables au niveau local et international, conseiller sur les questions de financement, faciliter l’accès à des fonds internationaux, identifier les clients potentiels de l’énergie produite au niveau local et international et faciliter le transport de l’énergie vers l’Europe. Pour DII, les projets de référence doivent également marquer le début d’une courbe d’apprentissage industrielle, permettant aux technologies utilisées de devenir compétitives, à moyen terme, sans avoir recours à des subventions.
Où seront implantés les projets de référence ?
Le Maroc est le pays qui a été choisi pour le moment en raison du réseau déjà existant qui le réunit à l’Espagne. En 2010, le gouvernement marocain a annoncé le lancement d’un programme solaire ambitieux de 2000 MW censé être mis en œuvre d’ici 2020 et a créé dans ce but l’Agence marocaine de l’énergie solaire, MASEN. Celle-ci a déjà lancé un appel d’offres international en 2011 pour un projet de centrale solaire thermique à concentration. Plusieurs entreprises actionnaires de DII ont été présélectionnées pour la centrale solaire proposée qui devrait être construite à Ouarzazate. Le projet de coopération avec MASEN pourrait prendre la forme d’un ensemble de centrales solaires thermiques à concentration et photovoltaïques. L’énergie éolienne est une autre composante essentielle de la vision Desertec.
DII n’a pas envisagé de parcs éoliens pour le premier projet prévu, car il s’agit d’une technologie pouvant être mise en œuvre assez facilement au Maroc sans le concours de DII. Après rédaction du cahier des charges, diffusion de l’appel d’offres et construction, l’énergie issue du projet commun DII/MASEN pourra commencer à alimenter en courant les réseaux marocains et espagnols autour de 2014. DII et l’entreprise tunisienne STEG Energies Renouvelables ont convenu de mener une étude de faisabilité en Tunisie. D’autres projets de référence devraient être définis d’ici 2012.
Quel lien entre DII, le Plan Solaire Méditerranéen et Medgrid ?
Le transfert de l’électricité issue d’Afrique du Nord vers les marchés européens est un élément clé de la vision Desertec. DII se considère comme précurseur dans le développement d’un marché et est donc ouvert à toute initiative qui puisse y contribuer. C’est pourquoi DII salue la création de Medgrid, une initiative internationale lancée par le gouvernement français. DII et Medgrid sont complémentaires et ont certains de leurs actionnaires en commun. DII travaille sur l’ensemble de la chaîne de création de valeurs jusqu’en 2050, de la production et du transport de l’énergie, au développement de marchés énergétiques. Medgrid se concentre uniquement sur les questions de transport dans l’espace méditerranéen d’ici 2020. Toutes ces activités ont pour toile de fond le Plan Solaire Méditerranéen (PSM), une initiative politique encadrée par l’Union pour la Méditerranée (UpM). DII et Medgrid unissent leurs forces et travaillent en étroite collaboration.
Un plan de 400 milliards d’euros ?
Le concept Desertec développé par la fondation Desertec se base en grande partie sur des études menées par le Centre aérospatial allemand (DLR). Le chiffre de 400 milliards d’euros, souvent associé à Desertec, provient de l’un des nombreux scénarios élaborés en 2005 par le DLR. Ce chiffre est une estimation qui correspond à la somme totale des investissements qui seraient engagés dans les centrales solaires thermiques à concentration et les câbles de courant continu à haute tension (CCHT) afin de couvrir 15 % des besoins européens en électricité en 2050 à partir des déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Dans ce scénario, ce chiffre se rapporte aux investissements cumulés dans de nombreux pays jusqu’à 2050.
Ce scénario ne peut pas être transposé à l’identique dans la réalité. Ce chiffre suggère que Desertec se réduit à la réalisation d’un seul grand projet isolé d’une durée de 40 ans dont les coûts totaux pourraient être calculés mathématiquement. Cette interprétation est loin de la réalité, puisque le développement sera progressif et se déroulera en plusieurs étapes, dans plusieurs pays, en collaboration étroite avec les gouvernements, les opérateurs et d’autres nombreux acteurs, en prenant en considération les conditions du marché. Les coûts totaux de la vision Desertec seront bien plus bas que ceux qui pourraient être engendrés si les pays restent dépendants des énergies fossiles et nucléaires.
L’électricité verte des déserts sera-t-elle compétitive ?
Lorsque l’on parle d’énergies renouvelables en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, l’objectif est de devenir aussi autonome que possible, c’est-à-dire de se montrer compétitif sans avoir recours à des subventions. Dans de nombreuses régions de la zone MENA, l’énergie éolienne a quasiment atteint le seuil de rentabilité. L’énergie solaire n’est pas aussi avancée, malgré une excellente irradiation solaire. Les coûts des cellules photovoltaïques et des centrales solaires thermiques à concentration sont encore bien au-dessus du niveau du marché.
DII pense cependant que les prix globaux du marché grimperont au fil des années (avec un certain degré de volatilité). Par ailleurs, les coûts de production de l’énergie du désert baisseront sous l’effet d’une courbe d’apprentissage industrielle. Des analyses du DLR datant de 2005 ont montré que le seuil de rentabilité sera atteint entre 2020 et 2030. DII estime que, dans les régions dotées d’un climat et de sites appropriés, les coûts du photovoltaïque pourraient être couverts avant 2020 et ceux du solaire thermique à concentration quelques années plus tard, à condition que des investissements soient faits dans ces technologies.
L’Europe a-t-elle besoin de l’électricité des déserts ?
Il n’existe que peu d’alternatives sur le long terme en Europe en termes d’approvisionnement en énergie durable. Les principales sources potentiellement exploitables sont l’éolien dans les zones côtières et à la campagne, le photovoltaïque décentralisé, l’énergie hydraulique, le bois, les résidus de l’agriculture (éventuellement importés), la géothermie et peut-être le gaz. En Allemagne, le pourcentage d’énergie issue de sources renouvelables devra atteindre 80 % d’ici 2050. En octobre 2009, le Conseil européen a accepté l’objectif prévoyant de faire baisser les émissions communes de CO2 de 80 à 95 % d’ici à 2050.
DII souhaite faire en sorte que l’électricité issue des déserts représente une part importante des énergies renouvelables, elles-mêmes incluses dans le mix énergétique européen. DII a un concept d’approvisionnement énergétique très clair : tout d’abord une réduction de la consommation d’énergie (efficience énergétique) ; ensuite une production décentralisée aussi importante que possible ; et enfin, une production centralisée générant de larges quantités d’énergies renouvelables là où les conditions le permettent (soleil, vent, eau, etc.).
Combien coûtera l’électricité des déserts ?
Les coûts de production de l’électricité issue du soleil et du vent dans les déserts d’Afrique du Nord, incluant sa transmission, sont d’environ 15 à 25 centimes d’euro par kilowattheure. Ces coûts dépendent principalement de la technologie utilisée, du site, de l’irradiation solaire et d’autres facteurs.Il est probable qu’au cours des 10 prochaines années, ces coûts baisseront jusqu’à environ 10 centimes d’euro/kWh, c’est-à-dire qu’ils se rapprocheront du niveau estimé du marché. En raison des économies d’échelle et des innovations technologiques, on s’attend à ce que les coûts diminuent de manière significative. Les économies d’échelle peuvent être atteintes grâce à une production (locale) à grande échelle de composants, au développement et à la construction de grands projets individuels et à un réseau industriel de fournisseurs.La recherche et le développement jouent également un rôle de premier plan. La recherche se concentre actuellement sur l’augmentation des températures de processus, le stockage de la chaleur et l’augmentation de l’efficience (efficience accrue).
Y a-t-il un risque terroriste sur les futures installations ?
Les lignes de transmission, de la même façon que les gazoducs, les camions et les routes, sont susceptibles d’être la cible d’attaques terroristes. Sur le long terme, DII prévoit un agrandissement des réseaux électriques dans la région MENA et en Europe: plus le réseau sera étendu, moins il y aura de chance qu’un problème se posant sur une ligne, engendre une panne de tout le système.
Le transport d’énergie sera-t-il une contrainte ?
Les lignes de courant continu à haute tension (CCHT) sont un type de technologie dont l’utilisation s’avère être une réussite avec des câbles sous-marins (par exemple dans la mer du Nord entre la Norvège et les Pays-Bas, de l’Italie à la Sardaigne et sous l’Adriatique) et des lignes électriques (par exemple au Congo, en Chine, en Inde et au Brésil).
On détermine la rentabilité en examinant les différences structurelles sur le long terme entre les prix du marché et les coûts de transmission. Aujourd’hui, les pertes énergétiques des lignes CCHT s’élèvent à environ 3% pour 1000 km – les coûts de production dans le désert sont augmentés du même pourcentage. Les coûts de transmission totaux (capital, dépenses opérationnelles et pertes) s’élèvent à environ 1 à 2 centimes d’euro par kilowattheure pour une ligne allant jusqu’à 1500 km.
L’accusation de «néocolonialisme» est injuste, selon DII
Une telle accusation n’a pas de fondement. Au contraire, DII agit en tant que facilitateur de la coopération avec les gouvernements locaux, permettant des investissements dans le domaine des énergies renouvelables, dans des centrales éoliennes et solaires à grande échelle à travers la région MENA. Les pays déterminent eux-mêmes les conditions d’une telle collaboration.
DII prévoit généralement qu’avec le temps, la chaîne de création de valeur se situera en grande partie dans les pays producteurs – une situation gagnant-gagnant pour les industries de la région et l’Europe. Il s’agit ici de travailler ensemble sur un pied d’égalité.
Lorsque l’organisme prédécesseur de Desertec, la TREC (Coopération transméditerranéenne pour l’énergie renouvelable), fut fondé en 2003, il comptait 20 membres issus des pays MENA et 15 d’Allemagne et d’Europe. Le réseau DII, qui comprenait au départ en grande partie des entreprises allemandes, s’est maintenant internationalisé. Pour DII, qui comprend aujourd’hui des actionnaires et des partenaires de 15 pays différents, il est important que le nombre de membres issus de la région MENA augmente.
Comment DII perçoit les changements en Afrique du Nord ?
Les intentions de DII, à savoir d’entreprendre une coopération entre l’Europe et l’Afrique dans le domaine de la production et l’approvisionnement énergétiques, renforcera probablement les opportunités et perspectives de la population et minimisera les risques pouvant survenir en raison des disparités de niveau de vie.
L’Europe émet déjà les bons signaux: la coopération énergétique avec l’Afrique du Nord proposée par l’Union européenne (UE) représente une avancée importante et une opportunité unique pour la région. Ceci ouvre des perspectives d’intégration sur le marché de l’énergie dans l’UE.
Les changements en Tunisie, en Égypte et en Libye affectent-ils le projet Desertec ?
C’est précisément dans ces pays où des processus démocratiques sont en train de se mettre en place que croît l’intérêt de la population et des gouvernements locaux pour le développement de centrales éoliennes et solaires à grande échelle. Des opportunités se dessinent pour les jeunes générations en Afrique du Nord et au Moyen-Orient à travers l’exploitation des énergies renouvelables. En plus de la création d’emplois et du transfert de connaissances prévues, la production d’énergie à travers l’exploitation de ressources durables aidera à sécuriser l’approvisionnement et à devenir indépendant vis-à-vis des ressources fossiles. En Tunisie, DII a lancé une étude de faisabilité en collaboration avec le gouvernement afin d’examiner le cadre politique, réglementaire, économique et technologique nécessaire à la mise en place de projets éoliens et solaires. En Égypte, DII travaille intensément sur le développement de projets communs.
Cherif Lahdiri
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Posté Le : 15/11/2011
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Cherif Lahdiri
Source : El wATAN.com du lundi 14 novembre 2011