Algérie

Tout sur la vérité de nos exubérances



«J'ai grossi délibérément les traits des personnages pour vous les faire voir tels qu'ils sont, tels que nous sommes, salauds et saints à la fois...», dira Bruno Dumont, réalisateur de Ma Loute.Le tapis rouge s'enflamme de plus en plus. Jeudi, le héros c'était lui: George Clooney venu présenter avec une armada d'acteurs et d'actrices, dont Judie Foster, pour ce coup réalisatrice, Money Monster. Dehors tout le monde criait son nom. Peine perdue, lui n'avait d'yeux que pour sa charmante avocate!Pour se faire remarquer, la France cette année encore, ne démérite pas côté olé olé avec la projection, hier, de son premier film en compétition officielle. Ma Loute de Bruno Dumont a pour cadre la baie de la Slack dans le Nord de la France, un certain été 1910. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région.L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy malmènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au coeur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils aîné d'une famille de pêcheurs aux moeurs bien particulières et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents. Ceci est le synopsis. Film qui se situe entre le gore et le fantastique (on pense au récit de Jules Verne), le réalisateur de ce dernier n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour pointer du doigt la cruauté humaine. Exemple, en montrant le dépeçage à l'aide d'une hache d'un corps que l'on dévore à main nue jusqu'au ridicule d'un excès d'accent de bienséance ou d'un corps trop volumineux. Tout est dans le regard malsain et le geste maladroit.Entre le meurtre des adultes et l'amour des adolescents, se niche le mystère de cette fille/garçon qui va tout faire basculer et pousser les deux mondes à cohabiter ensemble et se rencontrer. Se regarder d'abord comme deux chiens de faïence, s'apprivoiser, se sentir, s'aimer, se haïr et puis se délester chacun de son humanisme, bonté ou mauvais côté. L'ambiguïté se dessine au gré du désir de l'inconnu, cet étranger de nous-même. Comme une attirance vers notre instinct le plus bas, le plus animal. Puisque, c'est ce qu'on est au fond.Fabrice Lucchini est méconnaissable avec sa bosse, mais demeure fidèle à son franc-parler truculent. Un peu moins, Juliette Binoche ne nous convainc qu'à moitié. Car elle semble aujourd'hui vêtir avec habilité la carapace caricaturale d'elle-même. En gros, elle se répète. Et ça devient gênant.Si le film est truffé de mimiques et de hics jusqu'au pourcif, le rire se fait jaune par moment. Le public se lâche certes, mais certaines scènes des plus bouffonnes et cocasses sont parfois de trop. «Je voulais montrer une histoire à la fois de dingue, une histoire d'amour et de criminel. Un mélange de toutes ces couleurs. J'ai puisé dans la composition d'un tableau de Gustave Courbet, L'enterrement. La vierge Marie vient de là. L'image du passé évoque le XIXe siècle, mais l'histoire est contemporaine. J'ai focalisé sur les personnages, en accentuant leurs traits pour faire ressentir aux spectateurs ce qu'ils ressentent. Comment les entraîner dans l'invraisemblance de l'Autre...Bien que les costumes et les moeurs sont d'une autre époque, mais j'ai toujours voulu parler d'autre chose. J'ai grossi délibérément les traits des personnages pour vous les faire voir tels qu'ils sont, tels que nous sommes. Pour que vous puissiez les voir, nous voir. Moi y compris», dira le réalisateur lors du point de presse et de renchérir plus tard: «la comédie est en fait un degré du drame. Cela m'a poussé à faire beaucoup de bruitage. Pour Juliette Binoche, c'est un bonheur et un vrai plaisir de retrouver le réalisateur, après avoir tourné avec lui dans Camille Claudel. «Il n'a pas peur de me pousser, pour placer ce malaise, cette tension puisqu'il y a un enfant caché. Il a cette façon de tordre les fils invisibles, mais palpables.»Fabrice Lucchini qui avoue préférer évoluer au théâtre et même de loin car c'est lui le maître à bord, là il s'est dit n'être qu'un élément d'un groupe, toutefois tient-il à nuancer: «J'ai vécu une belle expérience», à force d'entendre le réalisateur le harceler avec le mot «composition». «Bruno aime l'outrance. J'ai compris au final ce qu'il voulait vraiment de moi. Au-delà du bon et du mauvais de ce scénario c'est à nous d'en resituer son invraisemblance.» Pour Valeria Bruni travailler sur l'intensité avait comme objet de «tout avaler et contenir ses sentiments» et d'expliquer: «Le réalisateur m'a demandé de ne rien faire. C'est 'jussif de travailler sur le non je.».En gros, chercher la vérité dans l'extravagance des êtres correspond au réalisateur de rechercher le masque de nous-mêmes et l'expurger pour nous montrer tels que nous sommes. L'idée de tourner dans de magnifiques paysages du Nord renvoie aussi à la tradition du Carnaval de cette région d'où l'appel au masque, au travestissement, au grotesque. Un clin d'oeil ici bien souligné comme une métaphore dans ce film. En effet, si l'enquête policière se veut dans la périphérie de la vie des personnages, elle permet à la caméra de tourner et de convoquer du comique au drame. Façon de désamorcer son effet agressif.«On accepte facilement le drame quand cela est raconté par une vanne ou via des pirouettes, c'est déjà l'ironie des choses. Cela nous embrasse tels que nous sommes et nous fait voir à la fois des salauds et des saints. Je n'ai pas encore trouvé où se situe le fil entre les deux. On est un mélange de tout cela, comme dans le brut de cette nature du Nord où se love la grâce.» A propos de Fabrice Lucchini, le réalisateur dira: «J'ai besoin de force contraire; son scepticisme m'intéressait. On s'est articulé là-dedans.» En tout cas, donner sens au côté «aérien» de la vie prend bien acte dans ce film. Et c'est bien drôle!Raconter aussi les travers de nos convictions, épouser leurs incertitudes est également discernable dans le film roumain Sieranevada, qui dresse le portrait quelque peu grotesque - à un degré autrement inférieur du film français - d'une famille. Sieranevada se passe la majorité du temps à l'intérieur d'une maison. La caméra va passer son temps à se promener d'une chambre à l'autre et suivre les personnages dans leurs épanchements colériques, jusqu'à friser l'ennui avec des dialogues à l'emporte-pièce. Le politique incontournable fait irruption, notamment quand le communisme de la grand-mère nostalgique se confronte aux idées d'une jeune mère qui, lasse et sans trop d'arguments, s'avère facilement vaincue et se met à pleurer de tout son corps. A côté, les hommes évoquent toute forme de théorie de complot et se mettent à discourir à l'infini. Cela arrive à quelques jours après les attentats de Charlie hebdo. Il y a comme une ritournelle carnavalesque qui se joue devant nous, à force de débit verbal, alors que cette famille nombreuse attend le prêtre qui finit enfin par rappliquer pour commémorer la mort du patriarche à force de rites et de conservatisme à l'ancienne. Bien sûr, ramener une junkie à la maison, ça fait tache et toutes les contractions sociales et politiques vont se verser devant nos yeux. Notre humanité dans le plus simple appareil. C'est-à-dire une fragilité qui n'a pas encore avalé sa misère et continue à radoter, mais pense et se pose des questions. Et c'est déjà pas mal. Dans un autre registre est le film Oumour Shakhsiya de la Palestinienne Maha Haj, dont le film a été projeté dans la section «Un certain regard».Si la guerre n'est pas perceptible au premier abord, ses conséquences sont là, bien pesantes. Un vieux couple vit à Nazareth et se fait des soucis sur le fils toujours pas marié qui vit à Ramallah de l'autre côté de la frontière, alors que son aîné exilé en Suède rêve de faire venir toute sa famille. Entre situations improbable (se faire remarquer par une agent de casting américaine) et répéter un numéro de danse tango dans un poste de policer israélien, et l'ennui qui suinte sur ce vieux couple qui décide enfin de prendre une décision pour changer sa destinée à défaut de prendre un véritable virage dans la géographie de son pays. La vie dans toute sa splendeur, en gros, avec ses hauts et ses bas se donne chaque jour rendez-vous ici à la Croisette. To be continued.




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