Après l'arrêt du tramway aux Pins Maritimes -dont on ne voit aucune trace, plutôt au loin des palmiers- on doit traverser à l'aveuglette parmi une foule qui se dirige vers une transversale jonchée d'un alignement serré de marchands de bonbons, de fruits secs frustes et de jouets en plastique. Une ambiance qui laisse imaginer un chemin menant vers quelque cirque, un regroupement forain festif ou une kermesse. Aucune enceigne volontaire n'annonce le Salon du livre. Si ce n'est les allusions qui arrivent à l'oreille émanant des groupuscules qui pressent le pas vers l'entrée principale de la Safex, que tout le monde, grands et petits, appelle encore «la foire» comme pour désigner aussi l'ensemble de l'environnement où se situe l'enceinte. On est à l'intérieur et on essaye de repérer les endroits d'intéressement à travers un affichage qui laisse à désirer. Des conférences importantes son inscrites à la même heure, dans des espaces différents. Ici, un hommage à Emanuel Roblès, là, un autre à Jean-Louis Hurst, ensuite à Gabriel Garcia Marquez, mais plus tard aux poètes palestinien Samih El Kacem et le Camerounais Fernando d'Almeida et, vers la fin de l'après-midi, à l'historien algérien Abou El Kacem Saadallah ? on apprendra que les affluences étaient toutes mitigées et les engouements par trop terre à terre, selon les dires de témoins aux interventions, les communications, dans l'ensemble, ne disaient pas plus que ce qui est connu en long et en large sur les auteurs et leur vie, avec un souci de curiosité plus marqué pour le poète bénino-camerounais, journaliste au quotidien de langue française Cameroon-Tribune, lauréat du prix Léopold Sédar Senghor de poésie.C'est plutôt la séance conférence débats sur la problématique de «la librairie et la question de la formation» qui suscite l'intérêt. Thème organisé et présenté par le Syndicat national des éditeurs de livres (Snel), à la salle Ali-Maachi, tout au fond du site par rapport au pavillon central, son espace Panaf et sa salle de conférence accueillant les réunions citées. C'est de raison de tout laisser tomber et y aller voir ce qui se passe pour donner tout son sens à cette journée de visite en apnée, d'autant que les débats ont carrément tourné sur les grands problèmes de l'édition : qui parle de livres, sans inférer à quoi que ce soit, distribution, rayonnement dans les points de pointe, salons, et cetera, traite avant tout de la réalité de l'édition et de sa dynamique. Et cela a paru crucial que la démarche de la réunion se fasse traiter par une structure syndicale - à remarquer d'abord que ce syndicat existe formellement en tant qu'organisation depuis plus de vingt ans, mais il n'a obtenu son agrément que récemment, il y moins de trois ans. En tout cas son président, M. Ahmed Madi, ne mâche pas ses mots quand il parle du livre et de son intérêt pour la signification humaine. Le rôle qu'il doit avoir dans l'équilibre culturel de l'individu et de la communauté. Son mot d'ordre est «Une librairie par famille et un livre dans chaque main.» Il regrette la faible participation des visiteurs malgré l'effort fourni par son équipe en matière de communication et de publicité. «Je n'ai pas les moyens sorciers de river dans la tête des gens cette faculté de répondre à un appel d'urgence dans le seul intérêt du livre, donc de celui de tout le monde !», affirme-t-il au sortir de la salle, sur le point d'en griller une.Le faux bond des librairesLes débats étaient pertinents, à vrai dire, en gros axés sur le statut de l'éditeur, mais de sa formation surtout. Un professeur en bibliothéconomie, responsable dans la direction de ce syndicat, fait part d'une expérience dans le domaine pédagogique de l'édition au tout début des années 2000. Il avait réussi à convaincre et influencer les responsables des l'Insiag de Bir Mourad Raïs pour mettre en place l'enseignement de la discipline éditoriale, sur un cursus académique de cinq semestres, coiffé par un diplôme de technicien supérieur en édition. Il en a été fait ainsi, alors, pour une première promotion de trente étudiants, tous acquits au diplôme. Seulement l'intervenant fait la remarque que, dix années plus tard, il ne reste de ce formidable lot que trois anciens étudiants qui exercent quelque part dans le domaine en question. Ceci pour rendre compte de la déperdition «académique» de la discipline dans le vide professionnel qui s'ensuivra. Et de là, il explique l'absence de l'accompagnement multisectoriel de l'étudiant. «On prodigue une formation très demandée et indispensable à la production du livre -ou autres ouvrages de lecture à produire- avec des enseignants qualifiés et des moyens à la hauteur de l'ambition, c'est encourageant, mais ce serait plus réconfortant si tous les secteurs concernés, sur le plan de la responsabilité politique, se mettent de la partie et articulent leurs intérêts dans le suivi de la formation, on ne forme pas un éditeur pour le laisser seul ensuite à se battre contre toutes les contradictions du monde éditorial», termine-t-il de dire l'érudit dans le domaine, avant qu'une responsable de l'édition estudiantine et universitaire, Mme Samira Bouharati, n'aborde le sujet de la distribution, en se désolant elle aussi du désintérêt des libraires pour cette réunion. Elle se dresse contre le mépris vis-à-vis des régions hors de la capitale et des grandes villes. Où les habitants ne reçoivent pas la part livresque qui leur revient de droit. Elle met en avant l'expérience de l'Office des publications universitaires, qui peut constituer une référence dans le domaine de la distribution.Si cet organisme possède tous les centres universitaires dont disposent les localités pour étaler ses produits propres, même les livres de littérature ou des secteurs divers de culture et de la connaissance, comme le souligne M. Samira. Tandis que les librairies, plutôt les points de vente, les papeteries en général, y manquent terriblement.Le clown en attendantEt puis il faut aller voir les stands.À peine en vue du hall Ahaggar, une rangée de scouts transhume vers l'escalier d'enceinte, les signes de la joie dans le visage. Ils arrivent d'un groupement de Kouba, Jolie vue. «Un kechaf, un scouti, doit apprendre l'importance du livre et sa préservation avec autant de sérieux que l'air qu'il respire», déclare Mourad le responsable du groupe qui ferme la marche. Quand bien même trois gosses en uniforme de «cadets» avoueraient n'avoir encore jamais lu de livre, mais qu'ils ne tarderaient pas à s'y mettre. On rentre à droite le stand le Haut commissariat à la langue arabe, dont celui du Centre national du livre lui fait face.Les préposés à l'accueil parlent sur le registre solennel et identique à tous les hommes -ou femmes- de culture en Algérie qui disent la même chose depuis l'indépendance sur le rôle du livre pour le bien d'une communauté qui veut posséder de grandes élites. Pendant qu'un peu plus loin, à gauche, le stand de l'ambassade américaine fait projeter un film sur l'histoire yankee dans un petit espace intérieur, en attendant la dispense d'un cours d'anglais dans l'autre.Des dizaines de stands éditoriaux, nationaux et étrangers. De quoi rêver sur le plan de la variété, tout y est, romans, essais, ouvrages scientifiques, dictionnaires, livres pour enfants, manuels scolaires, et cetera. Les visiteurs explorent, beaucoup achètent. Certains vont au ventes-dédicace. On aperçoit un vieux routier de la presse, chroniqueur au Soir d'Algérie penché surM. Félix Colozzi, ancien fidaï de la Révolution et militant syndicaliste, qui dédie son livre Mémoires de prisons, édité El Kalima, où il raconte son engagement contre l'ordre colonial, la période de son emprisonnement, sa libération à l'indépendance. C'est un immense plaisir de partager quelques mots avec le patron du «Kiosque arabe», mais un peu plus loin il y a une autre vente-dédicace, mettant en procès un confrère aussi, mais sur un tout autre registre. Abdelmadjid Kaouah appose des mots gracieux sur la page de garde de son recueil de poésie Que pèse une vitre qu'on brise ' Réédité par Arak éditions. Retour au pavillon central ? au cours duquel une rencontre avec des visiteurs étrangers, on apprend par pur hasard que ce sont des Irakiens qui distribuent en Algérie la presse étrangère. Sur l'esplanade, le monde afflue et il y a aussi des scouts, mais ceux-là ne sont pas de la même organisation que la première, du SMA de Noureddine Benbraham, ils viennent de Tiaret et leurs responsables disent qu'ils font partie de l'Association des anciens scouts musulmans, sans donner d'autres précisions, sauf de dire d'avoir traîner les gamins depuis les Hauts-Plateaux de l'Ouest pour leur offrir quelques moments d'émerveillement devant les tonnes de bouquins rutilants avant de reprendre l'autocar du retour ? ils venaient à peine d'arriver. Sous le même schéma expéditionnaire que cette association caritative qui a ramené des écoliers orphelins de M'sila.Le service café est exclusivement espresso, à 50 balles dans l'enceinte de la Safex. Un psychologue clinicien à la retraite a rapatrié Ce que le jour doit a la nuit, mais on lui a dit qu'un stock de Meursault contre-enquête ne va pas tarder à arriver. On discute. Il est mi-figue mi-raisin du 19e Sila. Comme pour le sandwich qu'il a commandé, sans le terminer. Un clown fait des cabrioles au bas de l'esplanade du pavillon central et qui fait à peine sourire des gosses dont il est difficile de savoir s'ils sont accompagnés. Finalement le roman de Kamel Daoud n'arrive pas et le psychologue lève les yeux sur le clown et dit : «C'est au moins ça de gagner!»N. B.
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Posté Le : 06/11/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nadir Bacha
Source : www.latribune-online.com