Algérie

Tout le monde n'est pas complètement Charlie



Tout le monde n'est pas complètement Charlie
Ce fut un «un grand moment de télévangélisation nationale», a osé le journal hebdomadaire Politis : «Les chaînes d'information en continu, BFMTV et iTélé, se sont surpassées dans leur rôle assumé de climatiseurs, de chantres et de forces supplétives au service d'un magnifique unanimisme de commande.» On peut le dire aussi pour les journaux nationaux et régionaux, qui ont rivalisé de mimétisme et d'unification de la pensée, au nom de l'émotion.Le numéro «d'après» de Charlie Hebdo, tiré désormais à 7 millions d'exemplaires depuis samedi dernier, éveille pourtant plus de questions qu'il n'apporte de réponses à la situation inédite que le grand rassemblement national du dimanche 11 janvier pose à la France.On est loin des valeurs gauchistes et libertaires de l'hebdomadaire satirique, tant l'hypocrite soutien unanime et planétaire manipulateur de foules a agi comme un rouleau compresseur sur des esprits traumatisés par l'ampleur des crimes.Ce n'est pas pour rien que Delphine Renard, rescapée d'un attentat de l'OAS (7 février 1962), résume le massacre de Charlie en un «assassinat de Jaurès, multiplié par douze». La formule imagée fait peur si on songe au climat délétère qui règne ces derniers jours à l'encontre des musulmans avec toutes les conséquences inconnues que cela pourrait engendrer.Jaurès voulait la paix. Il a été assassiné en 1914, à la veille de la Grande Guerre. Denis Sieffert, directeur de la rédaction de Politis y pense-t-il lorsqu'il écrit : «Les grands élans d'union nationale n'ont pas que des avantages. On connaît la mécanique : le gouvernement en place, quel qu'il soit, a plus que d'ordinaire les coudées franches ; les contre-pouvoirs sont inhibés, et la pensée binaire envahit les esprits. Les unanimités de façade sont inquiétantes parce qu'elles sont trop contraires à la réalité d'une société déchirée et fracturée par les inégalités.»En parlant du rassemblement du 11 janvier : «Je retiendrai cette image de jeunes gens juchés sur le socle de la statue de la République, et qui chantaient La Marseillaise, en agitant des drapeaux turcs, tunisiens et algériens. Une réponse à ceux qui ne veulent connaître que des identités simples. L'ennui, c'est que ceux-là, les obsédés d'une ??pure'' identité nationale, pourvoyeurs en 2009 d'un débat calamiteux, étaient présents eux aussi à quelques encablures. Ambiguïtés du consensus !»Charlie hebdo, journal officiel 'Le Figaro sur son site internet se fait caustique, titrant, «Quand un fanzine devient journal officiel». Il parle du jour de la résurrection de Charlie Hebdo : «Ce 14 janvier restera comme le jour où des millions de Français sont allés acheter, en hommage aux victimes lâchement assassinées en conférence de rédaction, une gazette qui avait l'anarchie pour drapeau, le mauvais goût pour principe, la dérision et le blasphème pour seules religions.Le consumérisme était pour eux une source inépuisable d'inspiration (Bernard Maris en a même fait un livre) mais ils n'auraient sans doute pas imaginé que des petits malins déposeraient ??Je suis Charlie'' comme une marque.On attend les mugs à l'effigie du Mahomet en larmes et la lessive avec la figurine du Prophète en bonus.» Mieux encore, la description de l'emphase des hommages est sidérante : «Par leur mort glaçante et l'hyperbole inhérente à la société de l'information permanente, des dessinateurs, des caricaturistes, qui n'avaient ni Dieu ni maître, sont devenus des penseurs, des guides, des héros, des saints laïques.Le glas des églises a sonné pour eux, les foules ont psalmodié leurs noms, des processions ont envahi les rues des villes de France, le Parlement s'est levé d'un seul homme et a entonné, en leur mémoire, une Marseillaise qu'ils avaient l'habitude de conspuer.»Le journal Les Inrocks donne la parole à un survivant, le dessinateur Luz, qui a commis la une du journal du 14 janvier : «On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n'existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. (...) Cet unanimisme est utile à Hollande pour ressouder la nation. Il est utile à Marine Le Pen pour demander la peine de mort. Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n'importe quoi.»«L'Occident éclairé n'est peut-être pas la victime si naïve et innocente» Schlomo Sand de l'Union juive française pour la paix a expliqué sur le site de l'association, pourquoi il n'était pas Charlie : «Déjà, en 2006, j'avais perçu comme une pure provocation le dessin de Mahomet coiffé d'un turban flanqué d'une grenade.Ce n'était pas tant une caricature contre les islamistes qu'une assimilation stupide de l'islam à la terreur ; c'est comme si l'on identifiait le judaïsme avec l'argent !» Pour lui, «il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l'islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement (?)» Il replace enfin son analyse sur la situation géopolitique et historique : «Comment ne pas s'interroger sur le fait que, depuis plus d'un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour ??combattre contre les djihadistes'', alors même qu'aucun débat public sérieux n'a eu lieu en France sur l'utilité ou les dommages de ces interventions militaires ' Le gendarme colonialiste d'hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l'héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd'hui ??rappelé'' pour réinstaurer le ??droit'' à l'aide de sa force de gendarmerie néocoloniale.»Il conclut : «L'Occident éclairé n'est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s'inscrit cette tragédie.»




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