Il nous arrive parfois, au cours de nos lectures, de trouver un texte qui attire particulièrement notre attention; celui que nous choisissons ci-après - en guise d'introduction - figure dans l'ouvrage d'Ibn Meriem «El Boustan» : Ibn Saâd écrit à propos de Abû Madyan «- C'était un homme supérieur, unique, que Dieu avait gratifié des dons les plus précieux de l'intelligence. A la connaissance approfondie des dogmes religieux il joignait celle des lois morales ; mais ce qui le distinguait des autres savants de son siècle, à un degré éminent, c'était la perspicacité merveilleuse avec laquelle il avait sondé les mystères de la vie spirituelle
et certainement Dieu, en le créant principalement pour être le soutien de la doctrine contemplative, lui avait donné la mission d'appeler les hommes à le suivre dans cette voie !»
Abû Madyan est considéré avant tout comme un chef d'école. On sait qu'il est né près de Séville en 1126 puis vint se fixer à Fes et reçut les leçons du légiste Hosseïn Ben Ghaleb et celles du chaykh Abou el Hassan Ali Bensmaïl Ben Mohammed Ben Abdellah el Hirzihem (mort en 1173) ainsi que celles du grand maître Abou Yezza en-Nourben (Ennour) Mimoun Abdellah al-Azmiri (mort en 1176, à l'âge de 13O ans paraît-il !).
Après Fes, la première ville importante où il vécut fut Tlemcen. Il s'établit sur la montagne d'el Baâl qui domine le ribat - sanctuaire d'el Aubbad près du tombeau de Sidi Abdellah Bénali (mort vers 1O7O). Là il enseigna assez longtemps pour finir de se diriger vers La Mecque où il rencontra moulana Abdelkader Jilani. Il retourna à Séville, puis professa ensuite à Cordoue avant de s'établir à Bougie.. Sidi Abû Madyan forma, présice-t-on, plus de mille savants de haut rang.
La plus ancienne zaouïa née au Maghreb musulman date de la première moitié du XIII ème siècle : il s'agit de celle appartenant à la confrérie Chadhilya. Le fondateur de cette tariqâ est Abû El Hassan Ali Ben Abdallah Ben Abdeldjebbar Chadhily ; il est né le 24 Novembre 1196, - environ une année avant la mort de Sidi Boumédiène Choaïb - dans la tribu des Ghomara dont-il se réclame - près de Cueta (Sebta), pas loin de Tanger.
Dans sa jeunesse, nous dit-on, il « élabora le projet de se rendre en Irak afin de se mettre en quête d'un pôle spirituel ; finalement ce fut chez lui, au Maroc qu'il le trouva en la personne d'un ermite qui vivait au sommet d'une montagne appelée Djebel Âlem, au cœur du Rif : c'était Abdeslam Ibn Mashîch, disciple du Chaykh Abderrahmane El Kinaoui. Lequel, brillant élève de sidi Boumédiène Choaïb, saint protecteur de Tlemcen, mourut la même année que son auguste maître en 1197.
Ibn Mashîch, contemporain et sujet du sultan Abdelmoumen Benali fondateur de la dynastie des Almohades (mort en 1163), fut un soufi probe et rigoureux qui professa toute sa vie son attachement aux valeurs prônées par son maître spirituel Abû Madyan. Sa conduite était en tout point conforme à ses paroles, aussi fut-il un des premiers à dénoncer l'imposture d'un certain Abou Toudjin qui s'était mis à la tête d'une bande de rebelles assoiffée de pouvoir ; Ibn Mashîch paya de sa vie sa noble attitude vis-à-vis de cet énergumène qui le fit assassiner par ses partisans le 15 Décembre 1227.Le peuple rendu furieux par la mort odieuse de ce saint homme élimina ses assassins !
Quelque temps après la disparition d'Ibn Mashîch son disciple Abû El Hassane Chadhily s'empressa de quitter subrepticement son pays pour finir de prendre la route de l'Orient. Passant par Tlemcen il fut un auditeur attentif des grands chaykh de Djamaâ el Kebir ou de la mosquée d'Agadir alors même qu'il séjourna quelques mois dans l'ermitage d'El Aubbad ; il arriva ensuite à Béjaïa où sa réputation l'avait précédée ; puis continuant son chemin il parvint aux abords de Tunis, là il vécut une période de retraite dans les montagnes environnantes, à Chadhila (d'où le nom Chadhily !)
«Il s'adressa alors aux hommes et s'attira de nombreux disciples. Cependant la jalousie du tout puissant cadi de Tunis obligea le Chaykh à fuir le pays pour aller se réfugier en Egypte accompagné de quelques-uns de ses proches, parmi lesquels son fidèle élève Abû El Abbès El Mursi (soufi andalou originaire de Murcie, qu'Abû El Hassan Chadhily désignera plus tard comme son successeur !)»
Pour la plupart des Maghrébins arrivés en Egypte, la ville d'Alexandrie restait plus qu'un passage obligé, une étape importante ; ce fut ainsi que le nouvel arrivant et ses compagnons choisirent de s'y fixer. De la sorte, l'ordre des Chadhilya finira de prendre naissance dans la grande métropole du delta, ensuite ira essaimer à partir de là dans toute l'Egypte.
D'Alexandrie, Chaykh Abû El Hassan traversait chaque année le pays afin d'accomplir son pèlerinage rituel. Et sur cette route qu'il avait suivie plusieurs fois, dans un petit hameau en plein désert du sud égyptien à Hurmaythrâ, au bord de la mer Rouge, au retour de son dernier hadj qu'il mourut en l'année 1258 âgé de 62 ans.
Durant son séjour en Egypte, Abû El Hassan Chadhily avait comme serviteur Mâdi Ibn Soltane ; ce dernier, à la mort du maître rejoignit le Maghreb afin d'y répandre l'enseignement du cheikh !
«- Cependant, les historiens s'accordent à dire que parmi les disciples formés par Chadhily, tant en Tunisie qu'en Egypte, ce fut le faqîh Ibn Abbâd le premier Maghrébin que l'on pourrait qualifier de Chadhily !...Après avoir étudié les sciences ésotériques, il se tourna vers la vie spirituelle tout en assurant la fonction d'Imam khâtib dans la mosquée université El Qarawîyîn de Fes. Auteur d'un ouvrage «Les gloires révélées du mémorial de la chadhilya - el mafâkhîr el ûlyâ fî al masîra chadhilya», il meurt en 139O.
(*) -Aujourd'hui, à Tunis il existe un magnifique mausolée érigé à la mémoire du fondateur de la tariqa chadhiliya. Toutefois le tombeau d'Abû El Hassan Chadhily se trouve dans un endroit écarté de la haute Egypte ! «Au début du XX ème siècle c'était encore un modeste bâtiment carré, en pierres sèches, simple étape sur la route du hadj ; maintenant c'est une ville en développement avec des hospices pour les pèlerins, des mosquées, des hôtels ainsi que des parkings pour les nombreux visiteurs qui affluent annuellement sur la tombe du saint !»
Chadhily enseignait «à ses disciples le dépouillement intérieur ; il les exhortait à se rapprocher de Dieu par la vertu, au moyen du dikr ou oraison. Il leur demandait également de se fondre dans la société. Il insistait tout particulièrement auprès de ses élèves afin qu'ils recommandent aux adeptes que l'adhésion à la Loi - Chariâa - et à la sûnna était un préalable au cheminement initiatique.» A l'évidence, ni Abû El Hassan Chadhily, ni son successeur à la tête de la confrérie l'andalou Abû El Abbès El Mursî (*) n'avaient laissé d'ouvrages, mais des oraisons (Hizb pl. Ahzâb) lesquelles restaient fondamentales pour celui qui suit leur voie. (*)
(*) - Abû El Abbès El Mursî meurt à Alexandrie, en Egypte, en 1287 après s'être engagé à diffuser le message de la Chadhilya. La mosquée édifiée sur sa tombe est un haut lieu de la vie religieuse de cette prestigieuse ville.
(*) - Si le chaykh Abû El Hassan n'avait écrit aucun livre, il produisit, par contre, de nombreuses oraisons qui accompagnaient le Dikr - dont la plus célèbre était Hizb El Bahr - l'oraison de la mer- A ce propos le Chaykh affirmait «que si les habitants de Bagdad avaient connu cette oraison, leur ville n'aurait pas été pillée par les Mongols» (Rappelons que cette métropole, capitale des Abbassides et fleuron de la civilisation musulmane, fut quasiment détruite par les Mongols en 1258.)
Le troisième maître de la tariqa est l'Egyptien Ibn Atâ Allah El Iskandrani. Professeur à l'Université d'El Azhar, il transmettra et développera l'enseignement de ses prédécesseurs dans une œuvre qui se diffusera à travers tout le monde musulman. Au demeurant, il est l'auteur d'une étude intitulée «La vie d'Abû al Abbes el Mursi», d'un recueil de Hikam - paroles de sagesse - ainsi que d'un ouvrage fort connu Latâ'if al minan - Les touches subtiles de la Grâce - En vérité, ce dernier titre «représente le testament spirituel d'Ibn Atâ Allah et le texte doctrinal de référence de la Chadhilya»
Les écrits de cet immense savant sont, de nos jours encore, étudiés dans les Médersa et les instituts appelées Diar el Hadith - réservées aux sciences religieuses. Il meurt en 1309.
(*) - La vie et l'œuvre d'Abû El Hassan Chadhily constituent le thème d'un ouvrage célèbre de l'ancien recteur d'El Azhar, le regretté Chaykh Abdelhalim Mahmoud, sous le titre de El madrassa Chadhilya el haditha, le Caire 1968..
De l'expansion du Tasawwuf dans l'occident musulman.
Dans l'espace de la Méditerranée Occidentale - c'est-à-dire le Maghreb musulman et l'Andalousie - «l'influence du soufisme s'était heurtée, de tout temps, à l'hostilité des clercs zélés des sultans almoravides, puis ceux des rois almohades» A titre d'illustration rappelons que le célèbre ouvrage Ihyâ Ulûm ed Din - de l'Imam Ghazali, fut brûlé en place publique à Cordoue. (Nous reviendrons, le moment venu, sur cet épisode de notre histoire lorsque nous aborderons l'itinéraire des pères spirituels du Tasawwuf dans notre région, notamment Abû Madyan et Ibn Arabi entre autres).
Rien ne nous interdit d'affirmer, pour l'heure, que le soufisme maghrébin est issu de l'école d'Abû Madyan Choaïb et des centaines de disciples que ce grand Chaykh avait formés ou qui se réclamaient de son enseignement. A l'évidence, dès le XIV ème siècle de grandes Zaouia développèrent des activités considérables dans de nombreux domaines : religieux, culturels, sociales et politiques parfois !... Au XV ème siècle, face à la défaillance du pouvoir mérinide, des tribus entières, et le plus souvent des villages prêtèrent allégeance - au cours des Ziara ou des Waâda - aux chaykh menant le Djihad contre les troupes portugaises sur les côtes marocaines.
Alors même que le soufisme urbain finissait peu à peu d'étendre son implantation au Maghreb sous la forme des doctrines du tasawwuf, - pendant qu'une formidable quête mystique animait la société maghrébine - ce fut à partir de la fin du XIV ème siècle déjà que la tariqa chadhilya retourna au Maghreb où elle était née. Cependant, en Algérie comme du reste au Maroc, elle connut plusieurs innovations : au fil du temps des rénovateurs apparurent qui allaient insuffler à la confrérie d'autres vigueurs dans la diffusion de la doctrine soufie.
En effet, les lettrés maghrébins adoptèrent une nouvelle démarche : ils se firent, selon la formule d'un cadi, les chantres de la gloire des saints ! De la sorte, ils donnèrent à la voie chadhilya ses lettres de noblesse ; ainsi le tasawwuf allait faire désormais référence à la hiérarchie des Aoulyâ : du Ghût au Qôtb (pôle) en passant par les Awtâd (piliers) et les Abdal (substituts)
Les établissements consacrés à la vie soufie fleurissaient et se multipliaient. Les ribât, autrefois tours de garde ou fortins servant à veiller sur l'intégrité des terres d'islam, finirent de perdre leurs fonctions militaires originelles - devenant des lieux de retraites pour les maîtres initiateurs et leurs étudiants néophytes ou mourid dans leur quête incessante vers la Voie ou tariqa !
Parallèlement, des zaouia connaissaient une grande extension dans l'occident musulman en général. En Algérie, par exemple, elles s'implantèrent en zones rurales ou bien au cœur des vastes espaces du nomadisme. Les disciples faisaient rayonner la personnalité de leur chaykh dans la société ; dans ces immenses étendues où l'on pratiquait la vie intérieure on donnait également un enseignement et une éducation islamiques qui contribuaient largement à la cohésion sociale !
Les tombeaux du saint fondateur ou de ses successeurs finirent de servir de lieux de rassemblement et drainèrent des foules de plus en plus nombreuses. Ainsi va naître à l'aube du XVII ème siècle la célèbre Voie des Ouled Sidi Chaykh, un rameau de la tariqa chadhilya. Nous y reviendrons par la suite.
Entre le XVIII ème et le XIX ème siècle le développement de l'activité soufie ainsi que son influence de plus en plus importante au sein de la société maghrébine, prirent une ampleur et un essor considérables ; on assista dès lors à un nouvel élan religieux face à l'affaiblissement du pouvoir Ottoman d'Alger ! A suivre.
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Posté Le : 31/10/2010
Posté par : lallasetti
Ecrit par : par Omar Dib
Source : Le Quotidien d'Oran 20/10/09