Algérie

Tournée avec des humanitaires à Oran



Tournée avec des humanitaires à Oran
Le rendez-vous est pris juste après la prière d'El Maghreb. Dans la grande place, au c?ur du quartier de Médioni, un convoi de voitures chargées de grandes marmites et de caisses de pain.Aziz, le chef de groupe des scouts, donne les dernières consignes à ses éléments.Un autre responsable se présente, arborant un badge. On décide de prendre la route «parce que c'est le moment où nos amis nous attendent». Que ce soit pour les chauffeurs ou pour les autres éléments, l'exercice semble parfaitement huilé et les gestes, à force de répétition, bien chronométrées. On s'enfonce dans le quartier de Boulanger et on sert «quelques habitués». L'opération semble simple parce que les sans-abri vivent carrément sur le trottoir. Sur le trottoir en face du siège du commissariat central, des femmes ont élu domicile, profitant de la sécurité qu'offre la proximité avec la police. Elles sont servies normalement et sans la moindre encombre. Têtes baissées, elles «attaquent» le repas chaud servi dans une assiette en plastique, accompagné d'un verre d'eau minérale et d'un pot de yoghourt. Plus loin, on découvrira d'autres qui «squattent» des carcasses d'immeubles jamais achevées ou des immeubles menaçant ruine.Dans son périple, le convoi s'arrête devant la cité Dar El Hayat. Celui qui nous sert de guide, en nous fournissant de temps à autre des explications ou des recommandations à observer, nous parlera des trois personnes que l'équipe doit servir. Sans parti pris, lui qui a l'allure d'un islamiste, dira « il s'agit de trois personnes alcooliques ». Pour pouvoir glisser dans le trou servant d'accès à un enclos où trône la carcasse d'une bâtisse, dont la date d'érection remonte à des décades, nos amis sortent leurs torches des poches. La salubrité de l'endroit donnera des envies de vomissements aux âmes sensibles. Heureusement que l'absence de lumière cache les monticules d'immondices formés derrière l'entourage à une dizaine de mètres d'une école primaire.A l'aide de la lumière des torches, on sert le premier «résident» qui était à sa place, probablement à attendre l'arrivée de sa pitance. Le second se trouvait au premier étage, avec une bande de jeunes qui étaient en train de boire de l'alcool.Il descendra sans se presser. Nous relèverons le nombre impressionnant de cannettes de bière vides et surtout des tessons de bouteilles de vin. Dans un coin, un lit où «crèche» le troisième squatter. Avant de quitter les lieux, une voix, jeune, tonna «j'ai mon couteau. Personne n'osera m'approcher ». A cette réflexion personne ne répliquera. L'équipe avait autre chose en tête.L'étape difficile commença. Dans une petite ruelle perpendiculaire au boulevard Mascara, une véritable armée de misérables, accroupis à un mur attendent l'arrivée de « la soupe populaire ». Chacun a un ballot et une caisse en carton. Les voir ainsi, on dirait que ce sont des commerçants qu'on nomme « ferrachas » qui exposent leur marchandise sur un bout de plastique. Renseignement pris, on nous dira qu'il s'agit de leur literie. Donc, ceux qui servent le pain passent les premiers, suivis par ceux qui offrent la soupe. L'eau et le dessert viendront après. Certains se contenteront d'un café chaud. D'autres se lancent dans des conjectures où les considérations religieuses les disputent à d'autres, politiques notamment. Mais la majorité, par dignité peut-être, plongent le regard dans le plat et évitent le contact avec ces jeunes serveurs, dont certains portent une tenue rouge et d'autres la fameuse cravate des scouts. On sert l'ensemble et on s'apprête à la grande épreuve, celle de parvenir aux trois « internés » de la bâtisse de la semoulerie qui a été ravagé par le feu il y a quelques années. Là, les membres de l'équipe étaleront leur savoir-faire.Ceux qui empruntent les escaliers les premiers joueront aux vigiles et garderont notamment les endroits où existent des risques de chute. L'esprit de groupe trouve ici toute l'étendue de sa traduction dans les faits. D'autres s'occuperont de l'éclairage. On nous indiquera presque où mettre les pieds pour escalader jusqu'au premier étage. Smaïn, le responsable d'une association s'impliquant dans cette ?uvre humanitaire avec les scouts, s'étalera sur le cas d'un jeune homme «cloîtré» dans cet endroit depuis plus de cinq ans. Le manque de lumière nous empêchera de voir ses traits personnels. Mais ceux qui l'ont approché parlent d'un blond, plutôt bel homme.On ne lui connaît pas de famille ni, d'ailleurs, d'identité. Il vit pratiquement à l'état animal. Il ne sort pas de ce refuge, été comme hiver. On a entamé des démarches pour le placer dans une institution relevant de l'administration de la Solidarité nationale mais les démarches semblent très lourdes.Il vit dans un endroit où certains animaux refuseraient de s'y arrêter. Smaïn nous parlera de sa lutte avec les rats qui infestaient les lieux. On le sert et il ne pipera pas mot. Plus loin, du coin où il s'était enterré depuis des années, on aperçoit la lumière d'une bougie et des voix. On nous parle d'un groupe qui passe régulièrement ici pour boire du vin ou de l'alcool. Précisons que nous sommes à des dizaines de mètres du marché de M'dina J'dida où des milliards de cts changent de mains chaque jour que Dieu fait.La dernière étape est justement les abords de la maison d'arrêt. Un autre lieu devenu au fil des années un véritable dortoir pour SDF. Là on découvre une autre réalité : la hiérarchie dans la déchéance humaine. L'équipe a refusé de servir un homme, trentenaire. « Il vient là pour une seconde ration. Tout à l'heure, il a été servi », nous explique un jeune homme faisant partie de l'équipe. Contrarié, il se lancera presque dans l'insulte. Mais on ne lui prête pas cas. Un autre, boudant ces hôtes, les empêchera de passer à côté de ce qu'il estime son espace intime : un carton étalé à même le sol et protégé par des sacs de plastique. Un troisième n'éprouvera aucune gêne ni hésitation à vider son assiette sur le tronc d'un arbre « Ça manque de sel ya khou », nous lance-t-il en insistant son accent algérois. D'autres, visiblement fraîchement débarqués dans cette galère de la misère, prennent leur repas debout. Certains sont juste de passage, pour une nuit ou deux. Un autre sera servi sur sa chaise roulante qui lui sert aussi de couche. Chacun est un cas à part. Le plus sympa est sans doute celui qui a érigé une petite tente devant la porte d'un restaurant se trouvant à la Tahtaha (place) de M'dina J'dida. On l'interpelle par son prénom. Il a réclamé une photo à ses «humanitaires», histoire d'immortaliser cet instant. La mission tire à sa fin. L'équipe songe déjà au lendemain. Nous apprenons que c'est la cinquante-deuxième sortie consécutive. En dehors du groupe «El Mouwahidine» des scouts de Ras El Aïn, deux autres associations participent à cette ?uvre. Il s'agit de «Ayadina» (Nos mains) et Essabil (La voie). Bien évidemment, des personnes, préférant l'anonymat, offrent des dons.Lors de notre tournée, une dame d'âge mûr, touchée par la générosité et le dévouement de ces jeunes, dont des ados, demandera l'adresse où elle peut apporter sa contribution. Heureusement qu'elle n'a pas découvert ceux qui vivent derrière les murs. Elle aurait découvert les conditions infrahumaines de certains, dont nous ignorons tout sur leur trajectoire.




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