Algérie

«Total pourrait devenir l'une des principales compagnies étrangères en Libye» Kader A. Abderrahim. Maître de conférences à sciences-po Paris



«Total pourrait devenir l'une des principales compagnies étrangères en Libye»                                    Kader A. Abderrahim. Maître de conférences à sciences-po Paris

Professeur associé à la California University et maître de conférences à sciences-po Paris, Kader Abderrahim analyse dans cet entretien l'avenir politique de la Libye sans Mouammar El Gueddafi.
-Maintenant que les «gueddafistes» sont hors circuit, les composantes du CNT peuvent-elles trouver un consensus, car aucun objectif politique n'a été tracé auparavant '
Le principal objectif des dirigeants du Conseil national de transition (CNT) est d'abord de récupérer les armes en circulation dans le pays, afin de rétablir la sécurité. Politiquement, après la mort de Mouammar El Gueddafi et la chute de Syrte, dernière ville à échapper au contrôle du CNT, toutes les conditions étaient réunies pour que la «libération» de la Libye soit proclamée. Conformément à la feuille de route adoptée par le CNT en août dernier, un gouvernement de transition doit être formé d'ici un mois. Il sera chargé de mener la Libye à des élections libres d'ici huit mois. Comme souvent dans une situation post-révolutionnaire, il y a répartition des rôles entre les différents acteurs. La figure la plus connue du CNT est ici celle de Mustapha Abdeljalil, ancien ministre de la Justice du colonel El Gueddafi, qui incarne cette structure. C'est sur lui que repose la responsabilité de rassembler les différents courants politiques qui ont pris part à cette guerre.
-Les tribus libyennes ' près de 140 ' peuvent-elles aussi s'entendre sur un minimum politique '
Pour le moment, il semble que les tribus aient accepté de retourner sur leurs terres, sans chercher à peser sur les orientations politiques. Mais dans un pays où l'Etat n'existe pas, les tribus vont être, localement, les principaux interlocuteurs de la population et c'est dans cette relation que les chefs de tribu vont puiser leur légitimité politique. Unifier la Libye, définir un projet politique, construire un Etat et lui donner des institutions crédibles, tout cela constitue autant de défis pour le CNT. Comment concilier l'intérêt des tribus, leur pouvoir traditionnel et la nécessité de mettre en place des structures capables de faire fonctionner le pays, au-delà des appartenances tribales ou régionales 'C'est un défi considérable qui attend les dirigeants du CNT.
-Peut-on espérer une instauration de la démocratie en Libye, sachant que le courant salafiste semble le plus dominant '
La démocratie est une pratique et dans un pays où il n'y a ni classe moyenne ni personnel politique légitime, l'avenir paraît incertain. Toutefois, on ne peut pas dire de quel côté va pencher la balance. L'annonce de faire de la charia le c'ur de la démarche législative en Libye a surpris et étonné. Si l'on pense que c'est le droit qui transforme les sociétés, on peut être inquiet de cette annonce. En revanche, si l'on croit que le droit reflète et suit l'évolution des sociétés, il n'y a pas de raison de s'alarmer. Les Libyens viennent de se libérer de la dictature, ils ont versé beaucoup de sang pour cela. Je ne peux pas imaginer qu'ils accepteront une nouvelle dictature théocratique. Incontestablement, il y a un courant fondamentaliste en Libye, qui va jouer un rôle politique important, comme dans n'importe quelle autre société musulmane.
-Quels seront les prochains rôles de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis en Libye '
Sur le plan diplomatique, c'est incontestablement un succès pour ces deux pays (France et Grande-Bretagne) qui ont joué un rôle essentiel pour l'adoption de la résolution autorisant les frappes aériennes. Sur le plan de la politique intérieure, cela n'aura pas d'effet sur les citoyens français qui se préparent à élire leur président de la République en mai 2012. L'Europe était assez divisée sur l'intervention militaire en Libye. Elle l'est plus encore aujourd'hui sur la crise de la zone euro. On a entendu des propos acerbes de Nicolas Sarkozy sur la Grande-Bretagne il y a quelques jours à Bruxelles. Il semble que la belle entente d'hier ait été emportée par la crise financière qui secoue le vieux continent.
Sur le plan économique, il est certain que les entreprises françaises vont avoir une petite longueur d'avance pour tenter de remporter des marchés, notamment dans le domaine des hydrocarbures. La Libye possède, avec 44 milliards de barils, la plus grande réserve de pétrole de l'Afrique. Jusqu'au début de cette année, la Libye produisait environ 1,6 million de barils de pétrole par jour, ce qui la classait au 17e rang mondial. Mais ses pompages ont fortement diminué ces derniers mois. Actuellement, sont présentes sur place l'italienne Eni, la française Total et les géantes anglo-saxonnes BP, Shell et ExxonMobil. Sans détrôner le partenaire historique, l'italienne Eni, Total pourrait devenir l'une des principales compagnies étrangères en Libye. En attendant, on ne change rien. Tant qu'il gouvernera de manière temporaire, le CNT va continuer à honorer tous les contrats financiers et pétroliers conclus sous le régime El Gueddafi.
-L'expérience tunisienne semble donner une leçon de démocratie dans la région maghrébine. La Libye suivra-t-elle les traces de la Tunisie '
Du temps où il dirigeait l'armée américaine, le général Colin Powell avait coutume de poser cette question à ses collaborateurs : «Y a-t-il une stratégie de sortie '» Il ne semble pas que la coalition qui a participé à l'intervention militaire y ait beaucoup réfléchi.
Sous l'impulsion de la France et avec une résolution du Conseil de sécurité votée dans des délais record, compte tenu des habitudes de l'ONU, une coalition hétéroclite a lancé des frappes aériennes sur les troupes et les installations du régime El Gueddafi, sans trop se soucier du lendemain. Aujourd'hui, la guerre est terminée et ce sont les Libyens qui doivent trouver cette stratégie de sortie.Il n'y a pas d'alternative à la démocratie et à l'alternance politique. Aucune légitimité ne peut se substituer à celle des urnes.




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