Algérie

Ton pays, le Zaccar



Durant les vacances, quelques chroniques des années précédentes pour se replonger dans le feu d’une actualité qui relève désormais de l’histoire. Nous ferons également des haltes dans des villes ou des régions coups de cœur. Cette semaine, une virée au pays de Mohamed Benchicou.
Quand vient le mois de juin, mes pensées s’évadent et bourlinguent, malgré moi, à travers l’océan infini du temps, portées par les vagues de la mémoire et le vent des souvenirs. Toutes voiles dehors, elles s’en vont, par mers démontées, à la recherche de la terre ferme, vers ces lieux qui ont marqué ma carrière de reporter. Mais, quand elles se posent enfin sur les hauteurs du Zaccar, dans la quiétude de ces étendues ombragées et câlinées par un doux zéphyr, tout près d’Aïn N’ sour, elles ravivent la flamme d’un autre amour, perdu dans les sentiers abrupts qui traversent le royaume du cerisier. Ah, il faut les voir ces cerisiers au printemps, habillés de fleurs aux couleurs tendres sous le ciel outrageusement bleu du Zaccar ! Au détour d’une piste rasant un charmant ruisseau où coule l’eau la plus limpide du monde, on tombe net devant un spectacle enivrant : une demeure entièrement cachée sous la végétation en folie qui coule comme une cascade herbeuse mouchetée de fleurs mauves ou roses, un moulin abandonné qui résiste vaillamment au temps, une clairière enfouie au plus profond de la forêt où l’herbe grasse et abondante accueille quelques vaches dodues… Qui ne connaît pas ces pentes verdoyantes donnant sur le vertigineux spectacle de la vallée s’étalant à l’infini, qui n’est pas monté plus haut que Miliana, pour aller, jusqu’au sommet du Zaccar, entendre le vent de la mer souffler sur l’autre versant, juste en face de Cherchell, ne peut pas savoir de quoi je parle. Là, loin de la modernité et de ses rites, on oublie la trépidante et routinière vie des centres urbains et leur stress pour se laisser aller à l’évasion sous les chênes, les pins et les merisiers, dans cette folle végétation faite de bruyères, de genêts, et d'arbousiers C’est un monde à part, emmailloté de lierre, riche de tant d’espèces végétales bien vivantes, bien prospères, nourries par la sève nourricière de la terre généreuse du Zaccar. On est happé par les chèvrefeuilles, les houx, les clématites et les salsepareilles. Et si l’on pousse plus bas, on tombera net sur la mine du Zaccar et ses profondes galeries, témoignage vivant de la formidable épopée de l’émir Abdelkader qui exploita ce gisement pour alimenter sa fonderie, infrastructure qui l’aide à développer une industrie d’armement nationale. En fait, Miliana est truffée de symboles historiques et il ne serait pas superflu de faire un petit retour en arrière pour bien comprendre l’importance stratégique de cette cité implantée au cœur de la montagne. Cette ville existait bien avant l’arrivée des Romains. Cité berbère connue, elle fut longtemps considérée comme l’héritière de l’antique Malliana. La ressemblance frappante entre les deux noms a poussé de nombreux chercheurs à privilégier cette piste. Néanmoins, les découvertes archéologiques ont fini par établir que la vraie Malliana est l’actuelle Khemis Miliana, située plus bas. D’ailleurs, et jusqu’à ces tout derniers jours, l’antique Malliana continue de livrer ses secrets à ceux qui veulent bien se donner la peine de les étudier. Ainsi, notre confrère El Watan rapportait récemment qu’une pelleteuse du chantier de l’OPGI situé en face de la cité Emir Abdelkader de Khemis Miliana avait mis à nu «des ossements humains, une jarre réduite en morceaux par les machines et une pièce de monnaie portant une effigie entourée d’une inscription ancienne». En réalité, et même si Miliana n’est pas Malliana, son histoire mouvementée témoigne de la longue et séculaire résistance de ses habitants — berbères — à toutes les occupations, et elles furent nombreuses. En réalité, elle était connue sous le nom de Zuccabar Miliana, ville occupée par Théodose, futur empereur de Byzance. Après l’effondrement de l’empire romain, Miliana changea vingt fois d’occupants. Cette cité, de par sa situation stratégique, était convoitée par les armées envahissantes qui voulaient en faire leur base sur les hauteurs du mont Zaccar, à mi-chemin entre la Méditerranée et les plaines du Chéliff. Elle fut assiégée plusieurs fois et, à chaque fois, elle résista vaillamment à ses envahisseurs. Le siège le plus célèbre reste celui installé par le frère du roi de Castille, Alphonse X qui, en 1261 et avec l’aide de l’émir Bouhafs, s’empara de la ville après un héroïque combat livré par ses habitants. Occupée par les Turcs en 1516, Miliana passait entre les mains de l’émir Abdelkader en 1834 et ne fut occupée par les Français qu’en 1840. Pour ne pas faillir à la tradition, et parce que l’appel du devoir était le plus fort, Miliana livra des colonnes de martyrs à la longue lutte de libération du peuple algérien, lutte qui ne s’arrêtera jamais, jusqu’à l’aube du 1er Novembre 1954 qui annonçait la fin de la longue nuit coloniale. Nourri aux sources de l’héroïsme ancestral qui a fait lever les fiers et farouches Berbères des monts du Zaccar contre les envahisseurs de toutes espèces, ce combat est raconté par chaque pierre, chaque arbre, chaque ruisseau, chaque prairie et chaque rempart de la fière et altière Miliana. Voici la sentence d’un officier supérieur de l’armée coloniale, de Castellane : "De tous les points que nous avons occupés en Algérie, Miliana est peut-être la ville où nos soldats ont eu à supporter les plus rudes épreuves." Ce que j’aime dans Miliana, la ville où il fait bon vivre, c’est ce long boulevard bordé de platanes, immortalisé par le cinéaste Bouamari dans son film L’héritage, qui descend vers la placette dominant Khemis Miliana et la vaste plaine qui l’entoure, avec une vue splendide que l’on ne se lasse pas d’admirer. Là, à l’ombre des arbres centenaires qui protègent du soleil agressif de la montagne, les retraités passent leur temps à papoter et à tuer le temps, en attendant d’aller savourer l’un de ces plats locaux savamment préparés par les belles Milianaises dont on dit qu’elles sont aussi de très bonnes cuisinières. Ensuite, ils feront honneur à un rite que l’on ne saurait en aucun cas transgresser : la sieste, dans la pénombre des vieilles demeures traditionnelles, havres de fraîcheur incomparables derrière les volets clos. Ensuite, ils reprendront leurs promenades jusqu’à la tombée de la nuit, préférant les terrasses des nombreux cafés pour continuer à bavarder et à refaire le monde, à parler peut-être de la panthère qui peuplait les monts du Zaccar à la fin du siècle dernier ou de la zorna, genre musical qui a conquis ses lettres de noblesse ici, grâce à Boualem Titiche et Mohamed Brazi de Miliana qui furent les élèves du cheikh Medjeber. Et lorsqu’ils évoquent la lutte de libération, ils ne peuvent s’empêcher d’avoir une pensée émue pour le fondateur des Scouts musulmans, Mohamed Bouras, fils de cette ville qui a tant donné au combat séculaire du peuple algérien pour la liberté et la dignité. Qu’elle était belle cette saison au Zaccar, là où les hommes ont le cœur si chaleureux qu’il donne aux hivers des airs de printemps. Dans ton cœur aussi, Mohamed Benchicou, le printemps est toujours vivant, comme ta montagne, comme l’Algérie de ceux qui luttent pour que Novembre ne soit pas volé, afin de faire reculer les funestes projets d’appauvrissement du peuple et du retour des colons sous un nouveau visage. Regarde vers la montagne, à l’ouest d’El Harrach. Elle t’attend. Nous y retournerons, pour passer encore une fois devant la maison natale d’Ali la Pointe, juste pour lui dire «merci», au nom de ceux qui n’ont pas baissé les bras, au nom de tous les braves…



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