Algérie

Tôles d'infamie



Tôles d'infamie
L'histoire de l'immigration algérienne en France continue de s'écrire sur différents supports sans avoir encore livré tous ses secrets. C'est ainsi qu'une bande dessinée de Laurent Maffre intitulée, Demain, demain, Nanterre, bidonville de la folie, 1962-1966, vient de sortir aux éditions Actes Sud BD pour raconter ce pan de la mémoire presque oublié de nos compatriotes en France. Il faut rappeler que la région parisienne était une destination très prisée des Algériens car elle offrait beaucoup d'opportunités de travail, sans oublier le fait de l'ancienneté de cette immigration en Ile-de-France. Autre élément important : le regroupement qui se faisait par origines régionales des Algériens en difficultés économiques.Professeur de dessin, Laurent Maffre a beaucoup travaillé les planches de son album pour que les lecteurs puissent s'imprégner de l'ambiance de l'époque et, particulièrement, de l'atmosphère de vie dans un bidonville. Le noir et blanc pour cet album historique a été choisi à dessein pour être en accord avec la vie quotidienne concentrationnaire dans laquelle vivaient des milliers d'Algériens. La vie au bidonville de Nanterre était loin d'être gaie et les planches de Laurent Maffre sont très expressives à ce sujet pour mettre en évidence le manque d'hygiène flagrant et les conditions de vie précaires qui prévalaient alors.Tout au long du déroulement de l'histoire de Demain, demain?, le dessinateur souligne le contraste entre le bidonville insalubre et les nouveaux immeubles qui se construisaient dans les alentours? avec des ouvriers algériens. En un mot, le dessinateur nous dit que les Algériens qui participent à l'édification de la France sont indignes d'habiter des lieux décents et à la hauteur de la réputation du pays d'accueil alors en plein essor avec les Trente Glorieuses.A partir du moment où le décor est planté, Laurent Maffre choisit une famille algérienne qui arrive d'Algérie. Avec elle, le lecteur va partager le quotidien du bidonville. Et c'est dans le contexte historique exceptionnel de la fin de la guerre d'Algérie, c'est-à-dire le 1er octobre 1962, qu'on voit débarquer à Nanterre une famille composée d'une dame très charmante, Soraya, avec ses deux enfants, Ali et la petite Samia. Dès le départ, on sent un certain malaise s'installer. Soraya n'a trouvé personne à son arrivée et elle a dû se débrouiller pour prendre un taxi et rejoindre Nanterre où la famille va habiter. Kader, qui vit en France depuis un certain nombre d'années, s'était trompé de date d'arrivée de sa femme et de ses enfants et, du coup, ceux-ci ont dû l'attendre.Après ce petit contretemps, Soraya se rend compte que la France, qui a nourri son imaginaire avec les belles cartes postales représentant les monuments de Paris, n'étaient qu'un leurre et que la réalité est faite de boue et de tôles sans espaces verts. Soraya et ses enfants trouvent refuge dans une baraque. Mais ces conditions de vie la révoltent et elle va jusqu'à menacer son mari de retourner en Algérie avec les enfants. La proximité de ses amies d'enfance, Fathia et Yamina, qui étaient là avant elle, la dissuade de mettre à exécution son plan de retour. Les enfants, Samia et Ali, supportent très mal eux aussi les conditions de vie et Samia va subir le contrecoup de ces lieux insalubres en contractant une maladie respiratoire. De son côté, Kader fait preuve de bonne volonté pour essayer d'obtenir un logement social. Des amis Français vont l'aider dans ses démarches, comme ils vont le faire pour les trois cents familles des cinq mille ouvriers qui vivent sur ce site.La deuxième partie de cette BD évolue vers un témoignage centré sur la personnalité réelle de Monique Hervo. Cette grande dame, née à Paris en 1929, s'était engagée sur le terrain social en 1956 en travaillant au Service civil international. Elle y a découvert les conditions de vie déplorables des Maghrébins en général et des Algériens en particulier, surtout après l'incendie dans un bidonville de Nanterre en 1959. Ce sinistre va l'amener à s'impliquer dans la vie des émigrés pour les sortir de la misère de ces lieux voués davantage à la mort qu'à la vie. Elle va témoigner devant l'opinion publique française en réalisant des photos sur les lieux pour donner à sa démarche une dimension concrète. Elle interviewe des familles et constitue des dossiers pour en faire un journal. Ce travail de sensibilisation auprès de l'opinion publique jette la lumière sur cette humanité qui participe à la prospérité de la France, mais qui ne reçoit pas en retour les égards qui lui sont dus. Muriel Cohen, qui prépare actuellement un doctorat en histoire, voit dans les archives de Monique Hervo se dessiner ce qu'elle appelle «les prémisses du 17 octobre 1961 à Nanterre».La bande dessinée de Laurent Maffre montre bien cette transformation du bidonville en terreau révolutionnaire participant activement à l'indépendance du pays. L'œuvre est à saluer, autant par son travail historique et mémoriel qui fait remonter à la surface des oublis préjudiciables, que pour ses qualités artistiques et narratives.




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