Algérie

Tlemcen : Un rescapé raconte l'horreur du 4 juin 1957


Au moment où la France officielle refuse de reconnaître le génocide du 8 mai 1945, il est utile, par devoir de mémoire, de rappeler après 51 ans ce qu'a vécu la population de Tlemcen un certain mardi 4 juin, où des centaines de civils ont été fusillés au Medress (actuellement place des Martyrs) et dans les différentes artères de la ville. Même les lieux sacrés comme la Grande Mosquée ont été piétinés par les hordes colonialistes menées par les parachutistes du général Bertrand, connu pour son caractère raciste et sanguinaire lors des tortures subies par les militants arrêtés et emprisonnés dans les cellules minuscules (cages) de «Dar Général». Hadj Djelloul Benosman, qui s'est opposé aux militaires qui ont bafoué les tapis de la salle de prière, a été abattu froidement. Même le minaret n'a pas été épargné puisque des soldats ont gravi les escaliers à la recherche de supposés fidaïs qui s'y cacheraient ! Le témoignage de Abderrazak Bendimered, un des rescapés de cette tuerie collective qui s'est déroulée devant l'actuel café Azzouni, en face du local de matériaux de construction de Hadj Slimane, a assisté à l'assassinat sous ses yeux de son père Hadj Hamed Bendimered et de son petit frère Mostefa, un enfant tué dans les bras de son papa. Que Dieu ait leur âme. Ecoutons Abderrazak, blessé à la jambe, qui a fait le mort pour ne pas être achevé: «Dès que l'explosion de la première grenade retentit (grenade lancée contre le groupement de Sénégalais à Dar El-Hadith, autre lieu sacré bafoué par l'armée coloniale), notre quartier d'El-Medress entra en ébullition. Les gens se mirent à s'agiter dans tous les sens. Dans un premier temps, notre père Hamed nous ordonna, à mon jeune frère Mostefa et à moi, de demeurer à ses côtés, dans notre boutique quoi qu'il arrive. Cependant, juste au moment où il allait tourner la clé de la serrure, de l'intérieur, il lui sembla, me soufflera-t-il la voix tremblante, avoir aperçu des soldats tirer sur les magasins de notre rue à travers les portes et les rideaux fermés. Mon père (Rahimahou Allah), d'habitude placide, avait d'un seul coup perdu son calme. Je pris peur à mon tour. Chuchotant quelques prières, mon père nous demanda de sortir sur-le-champ. Aussitôt dehors, nous nous empressâmes de fermer notre porte tant bien que mal. Le fils Azar, un voisin israélite, nous interpella, nous invitant à nous réfugier chez lui. Ah, si seulement nous l'avions écouté ! Mais nous ne savons plus où donner de la tête. A cet instant précis, un tir extrêmement violent, comme provenant de partout, éclata. J'appris plus tard que les premières salves commencèrent à partir des terrasses de Dar El-Hadith, là où les sentinelles militaires se tenaient en permanence. Mon père me prit le bras, me serrant bien fort, tandis que de l'autre main il traînait mon jeune frère. Sur notre chemin, nous trouvâmes la route bloquée par de nombreux soldats noirs. Ils avaient les yeux hagards et paraissaient non seulement excités, mais dans un état de fureur extrême. Je vis celui qui les guidait les inciter et les aiguillonner pour les pousser à plus de brutalité. C'était un policier corse en tenue civile: nous le connaissons de vue. «Ne tuez pas ceux-là», ordonna-t-il aux soldats en nous désignant du doigt. «Venez vite, ajouta-t-il, mettez-vous derrière moi et restez groupés». Mais le policier corse disparut. Nous nous trouvâmes soudain sans protection, livrés à la haine des soudards. Tout en continuant à nous malmener, ils nous obligèrent à lever les mains en l'air. Nous poussant sans ménagement, ils nous placèrent la face contre le mur du cabinet de l'avocat Huertas et de la maison d'Elie Benzaken (actuellement immeuble des héritiers Dib). Nous étions une cinquantaine de personnes environ: quelques-uns tremblants, agités, serrés les uns contre les autres, alignés le long de ce maudit mur. Il était 18h28.  Soudain, comme obéissant à un ordre donné, ils commencèrent à nous tirer dessus. La première rafale toucha Hadj Hocine Yellès dans le dos, puis une autre fit tressauter le corps meurtri, avant qu'une troisième ne l'achevât à bout portant. La seconde victime, El-Hadj Ahmed El-Hassar, mourut sur le coup. A cet instant, je reçus une balle dans la cuisse droite (il me montra la trace restée indélébile de sa blessure). Je m'écroulais sous l'effet de l'impact. Autour de moi, ce n'était que cadavres déchiquetés, que sang et désolation. je cherchais des yeux mon frère et mon père: le corps de cet dernier gisait à quelques mètres de moi. Je pressentis le pire. Je tentais de me lever pour m'approcher de mon père et le toucher. Etait-il possible qu'un souffle de vie, si tenu fût-il, restât en lui ? Pour m'en convaincre, je rampais littéralement vers l'endroit où il gisait, bien que ma douleur, amplifiée sous l'effort, devint insurmontable. Mais plus pénible fut la scène que j'allais découvrir: derrière le cadavre de mon père que je réussis à retourner, gisait le corps livide de mon petit frère Mostefa, baignant dans une immense mare de sang. A Dieu nous appartenons et à Dieu seul nous retournons» (pleurs). Cette journée du mardi 4 juin 1957 ne pourra être oubliée par toutes les familles, et elles sont nombreuses, qui ont perdu un des leurs. Ce carnage, décrit par Omar Dib dans son livre intitulé «Un forfait contre l'humanité», est une preuve inéluctable que le colonialisme n'a jamais accepté les coups de boutoir que lui assenaient nos jeunes fidaïs qui, malgré la répression et la torture, lançaient leurs grenades sans arrêt contre les barrages et les patrouilles de militaires qui assiégeaient Tlemcen jour et nuit.
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