Algérie

Tlemcen : Si le cinéma m'était conté



Tlemcen : Si le cinéma m'était conté
Avec le concours du ministère de la Culture et le Centre national de la Cinématographie algérienne (CNCA), la maison de la Culture Abdelkader Alloula a abrité dernièrement (novembre) un programme de projection de deux films de fiction algériens. Il s'agit de «Lakhdar et la bureaucratie» (2008) de Abdelkader Merbah et de «Mascarades» (2007) de Ilyes Salem alias Mourad (également auteur du scénario), réalisateur par ailleurs de «Cousines» qui reçut le César du court-métrage au 31è Festival international de Clermont-Ferrand (janvier 2008). Sorti en salle le 11 septembre 2007 en Algérie, Mascarades a été produit par Laïth Média (Algérie) et Dharamsala (France), avec le soutien de la manifestation «Alger, capitale de la Culture arabe 2007». Ce film dont le casting compte Lyès Saber, Rym Takoucht, Mohamed Bouchaïb, Sarah Reguiez et Mourad Khan, a réussi en une année à décrocher une dizaine de prix. C'est une histoire d'amour entre deux jeunes Algériens brimés par le contexte du petit village de l'intérieur du pays dans lequel ils vivent, conflit qu'ils vivent face à un ensemble de traditions et d'usages. Tournée en vidéo et tirée en 35 mm, la comédie burlesque de deux heures de Lakhdar Boukhors, qui a pu réunir des acteurs connus comme Hamid Achouri, Bakhta, Mourad Khan, Lynda Sellam,Farid Rocker, Harroudi, Fouzi Saïchi, Madani Meslem, Omar Traïri, Mohamed Bessem, Fatiha Nesrine, Lynda Sellam et Fatiha Zerrouki, met quant à elle en scène l'histoire d'un taleb d'un douar qui, ayant appris par une annonce radiophonique l'organisation d'un concours national d'idées pour lutter contre la bureaucratie, décide d'y participer. A noter que les quatre séances de projection programmées pour chacun des deux films ont été boudées par le public. Cette désaffection est-elle due à un manque d'intérêt pour le cinéma, à une défaillance dans l'information ou bien au prix des places (50 DA pour le film «Lakhdar et la bureaucratie» et 100 DA pour «Mascarades») ? Rappelons, dans ce contexte, que Tlemcen avait accueilli en 1983 le 5è festival du cinéma amateur organisé par la Cinémathèque algérienne. La maison de la Culture avait abrité en janvier 2007 le premier festival du film amazigh. Le jury, présidé par Bouguermouh Abderrahmane, avait distingué deux films, sur les 15 retenus en compétition, à qui furent attribués «L'Olivier d'Or» : une fiction «Ad-bin tifrat» de 15 mn en Béta SP de Mohamed Yargui et un documentaire «Les âmes de l'exil» de 52 mn en Béta SP de Saïd Nanache. Outre les séances programmées en salle, deux ciné-bus faisaient des projections en plein air à Tlemcen et dans ses environs...
Flash-back
Flash back sur la «filmographie» de la MCT qui devient, au gré des manifestations qu'elle a l'occasion d'abriter, une salle de cinéma, voire de répertoire. En mai 2006, projection du film «Le gone du Chaâba» de Christophe Ruggia (scénario de Azouz Begag) suivi d'un débat animé par Mohamed Bensalah à l'occasion du Colloque international «Littérature et cinéma», organisé par la fondation Mohamed Dib («La Nouba des femmes du mont Chenoua» de Assia Djebbar, primé à Venise en 1979, fut visionné dans ce cadre à la bibliothèque centrale). En mai 2007, ladite fondation gratifia le public du film «Indigènes» de Rachid Bouchareb (avec débat animé par sa présidente, Mme Sabéha Benmansour). En marge d'un spectacle commun avec l'atelier de théâtre de Brême (Allemagne) le mois dernier, l'Association «La Grande Maison» (FMD) proposa au public la projection d'un court-métrage intitulé «Tout va bien» du jeune réalisateur Benhamed Noureddine (membre de ladite association), adapté du roman «L'accompagnatrice» (1935) de l'auteur russe Nina Berberova. «L'opium et le bâton» de Ahmed Rachedi fut présenté à titre d'hommage en 2006 par Kamel Bendimered (dramaturge), en présence de l'acteur Sid Ali Kouiret, qui eut l'honneur de «présider» la dictée de décembre organisée par l'AEF dont il était l'illustre hôte. Le film de Mehdi Charef (originaire de Maghnia) «Cartouches gauloises» fut projeté en janvier 2008 à la MCT (puis en février au CCF). Une exposition d'affiches de films, un siècle de cinéma, fut organisée en avril 2007 à la maison de la Culture par Chentouf Adda de la wilaya de Saïda. Cette exposition de l'histoire du cinéma mondial se proposait d'offrir au public en général et aux cinéphiles en particulier, un panorama d'un siècle de cinéma mondial à travers 350 affiches de films issues d'une vingtaine de pays. Et de faire connaître, en plus, les principaux films ainsi que les écoles et les dates essentielles qui ont marqué le 7è art (France, Usa, Grande-Bretagne surtout...) celui du tiers-monde et les autres régions du monde. Par ailleurs, un large espace était consacré au cinéma algérien afin de mieux faire connaître la jeune génération. En juin dernier, c'est «Musique andalouse sans frontière», un film vidéo réalisé dans le cadre de la manifestation «Alger : Capitale de la Culture arabe 2007» qui fut débattu en présence de son réalisateur Abdelatif Mrah, lequel présenta dernièrement son deuxième documentaire «La mémoire du haouzi» au siège de l'ECOLYMET. L'ASPEWIT proposa, at home, l'année passée, un débat sur les changements climatiques à travers la projection du film documentaire d'El Gor «Une vérité qui dérange». En partenariat avec l'association écologique précitée, deux jeunes universitaires de l'Association «La Grande Maison» ont présenté dernièrement (novembre) un film de Laurent Herbier «Mon Colonel» avec, dans la distribution, le scénario de Costa Gavras bien connu dans la ville, puisqu'il a participé au tournage de «Cartouches gauloises» de Mehdi Charef. Et tout dernièrement (décembre), dans le cadre de l'exposition organisée à la maison de la Culture, à l'occasion de la semaine culturelle de Constantine à Tlemcen, un film vidéo amateur sur l'inauguration de Dar El-Hadith (1936) a été visionné sur PC par M.Abdeslem le petit neveu de Cheïkh Abdelhamid Benbadis. Il convient de souligner dans ce contexte que des séances de ciné club étaient animées dans les années 70 au CCF puis à la (défunte) salle répertoire du Colisée (dont le directeur, Kahia, joua un rôle dans le film «Autopsie d'un complot» de Slim Riad) par Guermouche Mokhtar (ancien formateur à l'ITE) et Hamdi Mohamed (ex-directeur de la MCT), auxquels nous rendons hommage ainsi que Abdellah Khouani (pour l'animation cinématographique dans le primaire). Au CCF, dans les années 70, les séances de projection étaient programmées les lundi et jeudi après-midi. C'était Ramdane, l'inamovible projectionniste qui nous accueillait à l'entrée en nous réclamant les tickets qu'on achetait la veille auprès des bibliothécaires préposées à la réception, Mmes Tabet ou Gherbi (expatriées françaises)... Les films de Jean Cocteau, François Truffaut, Claude Chabrol... occupaient l'écran et les Jean Marais, Jean Paul Belmondo, Alain Delon, Robert Husseïn, Roger Hanin, Omar Sharif, Jean Claude Brialy, Philippe Noiret, Jean-Louis Trintignant, Jean Gabin, Michel Constantin, Lino Ventura, Fernandel, Louis de Funès, Bourvil, Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Michel Morgan, Catherine Deneuve, Miou-Miou (Sylvette Herry), Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Isabelle Adjani, Marie José Nat, Claudia Cardinale, Sophia Loren... étaient à l'honneur. Nous nous souvenons même de séances de projection récréatives et/ou pédagogiques qui avaient lieu à l'école primaire Pierre Curie (avec «Les extraterrestres», «Sabu, le fils de la jungle», «Be Tabot et Castello» (Laurel et Hardy), «Charlot», «Le voleur de Bagdad»..., au lycée Dr Benzerdjeb («Le bossu», «Le capitaine Scarface», «Les trois mousquetaires»...), à l'ITE («Les stéréotypies motrices»...). Certains établissements scolaires étaient équipés d'appareils de projection. Le CCF prêtait régulièrement ses films aux institutions éducatives. La superproduction qui créa à l'époque l'événement cinématographique et constitua le clou du spectacle dans la cité des Zianides fut incontestablement «Le Message» (1976) du regretté Mustapha El-Akkad. Des familles entières, pourtant conservatrices, avaient investi à cette occasion les deux cinémas Lux et Colisée pour voir ce film «iconoclaste», découvrant pour la première fois l'ambiance feutrée d'une salle obscure. Certaines familles avaient déjà fait leur baptême du grand écran en 1965 lorsqu'elles furent invitées (par voie de distribution de tickets gratuits) à venir regarder un film de propagande patriotique produit par les services du commissariat politique du FLN.
«Il n'y a plus de cinéma !»
Par ailleurs, des sorties en direction du cinéma étaient organisées les lundis après-midi, au profit des internes du lycée de filles Maliha Hamidou (à la sortie de films algériens comme «Hassan Terro» (1968) de Lakhdar Hamina au Colisée, «L'opium et le bâton» (1969) de Ahmed Rachedi au Lux... A la faveur de la dictée dite de décembre (2007), l'Association «Les Amis du Livre» de Ghazaouet visionna un reportage maison sur la ville d'Ad Fatres. A Ghazaouet toujours, le centre culturel Ahmed Aïdouni servit de cadre pour la projection d'un film sur la personnalité de cheïkh Kebbati à l'occasion de Youm El-Ilm (avril 2008). Dans l'ex-Nemours, la seule salle de cinéma qui abritait des spectacles avait été démolie pour céder la place à un centre commercial. A Maghnia, la salle Dounyazad est désaffectée. La salle de cinéma de Nedroma est fermée depuis des lustres. En revanche, la salle de cinéma de Sabra, longtemps délaissée, a été dernièrement réhabilitée par l'APC qui avait dégagé à cet effet 12.000.000 de DA, mais elle sera utilisée comme salle de fêtes (et non de cinéma) par le mouvement associatif, selon le chef de daïra. Dans le cadre de ses activités, le Centre culturel français programme lui aussi des séances de projection de films. C'est l'humoriste Zaza qui faisait la présentation, version loufoque, du synopsis des films DVD proposés aux adhérents. Pour ce mois de janvier, il est programmé deux films : «Invente-moi un pays» de Catalina Villar et «Les petits soldats» de François Margolin. A propos de vidéo, soulignons dans ce contexte que l'artiste Mustapha Guezzane, alias Zaza, a à son actif quatre films (genre burlesque) en version vidéo, produits et réalisés par Ilias Baba Ahmed (AVM Tlemcen) et distribués par Sun House (Oran), à savoir «La caisse de Zaza» (2002) où le comédien Salim campa trois rôles (receveur, marchand, brocanteur), «La fuite de Zaza» (2003) présenté par la télévision algérienne à l'occasion de l'Aïd El-Adha (2005), «Zaza et les sept nains» (2004) avec la participation exceptionnelle de l'haltérophile Zahi, qui prêta pour les besoins du tournage sa salle des fêtes et «Zaza la psychologue» (2008) dont des scènes furent tournées à la radio locale et à la maison de la Culture Abdelkader Alloula... «Il n'y a plus de cinéma, il a disparu du paysage», regrette amèrement Zaza. A propos, quelle sera sa réaction lorsqu'il apprendra que des films pour malvoyants et non-voyants (aveugles) ont été présentés par le dernier Festival international du film de Marrakech (FIFM), lui qui a eu l'idée géniale mais, surtout, la prouesse de réunir un panel de nains de différentes régions ? Ceci dit, les personnes dites aux besoins spécifiques (spectateurs et acteurs) ne sont apparemment pas marginalisés par le 7è art local...
Côté commerce, signalons l'activité de plusieurs vidéothèques reconverties dans la vente de VCD, DVD et autres DIVX, entre autres à El-Blass, El-Medress, Bab El-Hdid, Bab Sidi Boumédiène, le marché «Djoutia» ainsi qu'à Chetouane (deux) et Mansourah. La location des cassettes vidéos est encore pratiquée (25 DA avec comme caution la CNI). Quant aux VCD piratés (téléchargés par des jeunes férus de l'Internet), ils sont «cédés» entre 150 et 200 DA selon le contenu du film. Notons dans ce contexte que pour le seul premier trimestre 2008, pas moins de 2.786 supports contrefaits (cassettes, compact disc...) ont été saisis par les services de l'ONDA de Tlemcen (couvrant également Aïn Témouchent, Ras El-Ma et Ben Badis) qui a organisé en avril dernier des portes ouvertes à la MCT... Par ailleurs, deux réalisateurs, en l'occurrence Ghouti Bendedouche et Amar Laskri furent honorés à la maison de la Culture par l'Association des journalistes et correspondants «Mourad Bloud» à l'occasion de la Journée mondiale de la presse (3 mai dernier). Sur le plan cinématographique, il convient de souligner que trois films de fiction historiques avaient été tournés dans la cité des Zianides : «L'incendie» de Mustapha Badie (adapté de la trilogie de Mohamed Dib), «Le fidaï» d'Ahmed Bedjaoui (qui n'a jamais vu le jour) dans les années 70 et «Cartouches gauloises» de Mehdi Charef durant l'été 2007... A propos de tournage, si le cinéaste Ahmed Bedjaoui a choisi de jeter un éclairage sur l'épopée des cellules de l'OCFLN à travers son film «Le fidaï» (celui qui sacrifie sa vie pour un idéal), son confrère Abdelmadjid Djebbour a opté pour un «scénario-catastrophe», celui des harraga (ceux qui risquent leur vie pour un autre «way of life» autre que celui rêvé par leurs aînés), qu'il tournera prochainement à Ghazaouet (Tlemcen) à l'instar de son confrère Merzak Allouache qui jeta son dévolu sur Mostaganem. Entre le fida et la hedda, il n'y a qu'un «pas» que le cinéma algérien n'hésite pas à franchir. Outre des films documentaires, portraits réalisés par l'ex-RTA dans les années 70 et 80, nous citerons Cheïkh Boumediène Bensahla et Cheïkh Ben Triqui de Hadj Mansouri, Cheïkha Tetma de Abdelatif Mrah (projeté à la MCT en hommage à la diva, en marge du 1er Festival national du haouzi en juin 2007 ainsi qu'un documentaire sur la région de Tlemcen) lequel fit également un portrait de Cheïkh Ghaffour, Cheïkh Larbi Bensari de Kamel Bendisari et Cheïkh Adelkrim Dali de Djamel Khouidmi (ces deux films furent opportunément exploités par l'Association musicale Tarab El Acil de Tlemcen, lors de la commémoration de l'anniversaire du décès de ces derniers, le 40è pour le premier et 30è pour le second, respectivement les 23 décembre 2005 et le 21 février 2008). Sur ce registre, la région de Tlemcen a accueilli en plusieurs occasions des équipes de télévision en mission de reportage (Saïf Bladi) ou de tournage de films documentaires (A l'ombre des remparts, un documentaire de Mohamed Bouamari consacré à la ville de Tlemcen en 1987-88, La femme de Béni-Snous de D. Haya, nominé au titre de l'Ecran d'Or 2008 de l'ENTV, La natte de Béni-Snous, Les gorges de Béni-Ad...). Enfin, notons que les trois pittoresques mais néanmoins «spécialisées» salles de cinéma, le Lux (ex-Mondial) de la rue Ximénes (films péplum et western), le Colisée de la rue Lamoricière (films de guerre et policiers) et le Rex de la rue Haedo (films hindous et égyptiens), qui proposaient tout un programme (film à l'affiche plus les «Actualités télévisées» de l'ONCIC) qui datent de la période coloniale, ont perdu leur vocation car fermées de longue date, soit depuis plus d'un quart de siècle et sont aujourd'hui dans un état de délabrement avancé. Construits dès le début du siècle dernier, ils devaient servir de salles de spectacle aux troupes théâtrales et autres music hall (French Cancan, Folies Bergères) pour les militaires, spécialement celle du Mondial, devenu le Lux, car sa scène était la plus grande. Des troupes métropolitaines, comme la Comédie Française, les Galas Karsenty, le Théâtre Hébertot, ainsi que la troupe Max Dalmi vinrent égayer les soirées d'hiver... «C'est au cinéma Rex que nous avons découvert «Les aventures de Tarzan» (avec Johnny Weissmuller, n.d.l.r) et «La Grande illusion» avec Erich Stroheim», se souvient non sans nostalgie Louis Abadie, chercheur en histoire natif de Tlemcen... Auparavant, c'était la salle des fêtes de la mairie (construite sur les vestiges de la Tachfiniya détruite en 1873) qui était utilisée à cet effet (comme théâtre). Nonobstant, de passage à Tlemcen en 1917, un peintre russe, en l'occurrence Roubtzoff, ne ménagea pas sa critique à ce sujet à l'occasion de la présentation de la pièce «Manon» le 22 mai et «Carmen» le 24 mai : «Ce théâtre avait l'air soit d'une mosquée désaffectée, soit d'une cathédrale abandonnée, aux fenêtres ogivales»...

Après l'indépendance, le cinéma Colisée baptisé «El Djamel» devint un bien de l'Etat (communal) avec comme directeur Kouider avec sa Vespa 400, puis Si Kara (un ancien membre de l'OCFLN détenu, qui habitait dans la légendaire Dar Sbitar de derb Ouled El Imam à Bab El Hdid ). Son voisin Sbaâ (frère du sympathique musicien Koka), un tantinet acariâtre, y exerçait comme placeur et afficheur avec Ayouni de Sidi Saïd. Au guichet, Rahmoun la charmante caissière de derb Sid El Djebbar (une activité rarissime pour une femme à l'époque) et dans la cabine de projection le sympathique Benamar de derb Djamaâ Chorfa (qui couvait toujours un pipeau sous la veste pour briser la routine) assisté d'un deuxième opérateur en la personne de Larbaoui. Ce projectionniste qui travaillait auparavant dans un atelier de dégraissage d'habillement à Bab El Djiad collaborait avec les fidayine en récupérant les munitions oubliées dans les poches des tenues de combat des soldats français. Une musique classique suggestive (une sorte d'indicatif du Colisée) était invariablement diffusée avant chaque projection. Driss, le fougueux placeur avait souvent des démêlés avec les clients surtout lorsque le cinéma affichait complet. Le marché noir des tickets était en l'occurrence monopolisé par l'inénarrable Charlot de Boudghène avec la complaisance du personnel. Des séquences photographiques du film de la semaine ainsi que celui programmé «Prochainement» (sur l'écran) étaient affichées sur deux cadres vitrés dans le hall du cinéma. Quant aux grandes affiches, elles étaient soigneusement collées au niveau de certains sites, comme El Medress (Saqiet Sbaâ), Bab Sidi Boumédiène (porte), Bab El Djiad (murailles), la place du Mechouar, celle du marché couvert... Les bobines des films (35 mm) expédiées par le CNC (Centre national du cinéma) étaient récupérées à la gare par le projectionniste qui les transportait dans un chariot. Il était payé 70 FR la semaine par l'organisme précité.
Grand écran et bandes dessinées
Proximité du cinéma oblige, Si Boukli, alias De Gaulle, le mercier se reconvertit dans le fast-food (casse-croûte au thon) avec son inséparable aide apprenti sourd-muet Benaouda. Les abords de la salle étaient squattés par les vendeurs à la sauvette de bandes dessinées (Blek le Roc, Zembla, Akim, Mandrake, Capt'ain Swing, Pampa, Rangers, Kassidy, Ombrax, Kiwi, Rodéo (album), Nevada, Les Pieds Nickelés, Pif, Tom et Jerry, Tintin, Popeye, Bugs Bunny, Pepito... ainsi que les romans-photos tels Satanik, San Antonio, Monté Carlo, Riviéra... ou des romans policiers comme SAS, Chase...). Trois noms se partageaient cette passion ou plutôt se disputaient ce créneau de bouquinistes informels passionnant : Brahim, le fils de Bar'ièdj (le pittoresque vendeur de jus de citron), Allal (l'auteur de ces lignes) qui s'approvisionnait en «gros» auprès des émigrés en vacances et Bouziane l'handicapé (cul-de-jatte). Quant aux mordus de la BD, nous citerons Houari de Derb El Qtout (qui aidait Allal dans sa tâche), Bekkar et Ali de Sidi El Djebbar, Negadi de Derb Sensla, Smahi de Derb Moulay Tayeb, Belhadj Amara de Bab El Hdid, Hamzaoui de El Qalaâ, Meziane de Bel Horizon, Kholkhal de Sidi Tahar et d'autres dont nous ne souvenons que du visage en tant que fidèles clients.
Ne supportant cette intrusion «iconique» chez lui (le 9e art narguant le 7e), le directeur Kara nous chassait en criant «Qu'est-ce que cette djoudjqa (foire) !» et n'hésitait pas à appeler à la rescousse la police qui nous saisissait les illustrés étalés sur le trottoir ou sur les escaliers du cinéma quand il n'était pas encore ouvert. A l'affiche : «Les canons de Navarone» avec Gregory Peck et Anthony Quinn, «L'Araignée» d'Edgar Wallace, «Fantômas» avec Jean Marais, Louis de Funès et Mylène Demongeot, «Dracula» avec Christopher Lee, «La revanche du Sicilien» avec Henri Sylva, «Le fantôme de Soho», «Frankenstein», «L'Orient Express», «Jack l'éventreur», «Le train postal Glasgow-Londres», «Le jour le plus long», «Le dernier Samouraï»... Il nous arrivait de rentrer au cinéma Colisée contre 5 boîtes d'OMO ou TIDE vides (à la faveur d'une campagne de promotion via cette salle).
Au cinéma Rex géré par Ghouti Snous, on projetait surtout les films hindous : «Mangana», «Janitou»... De part et d'autre de la porte d'entrée étaient affichées dans deux vitrines des photos de films. Depuis la fermeture de la salle, Djamel le projectionniste travaille sous la tutelle de l'APC de Tlemcen (tout d'abord à l'hospice de Bab Sidi Boumediène avant d'être affecté au parc communal en face de la gare). A l'instar des autres salles, le cinéma Rex comportait trois compartiments : l'orchestre, la mezzanine et le balcon qu'on occupait suivant le prix du ticket, qui était respectivement de 26 cts et 35 cts. Les strapontins étaient destinés à ceux qui ne trouvaient pas de place lorsque le cinéma affichait complet. Aujourd'hui, on retrouve ce type de siège de «secours» pliable au niveau des bus. Faute de grives, on mange des merles. Un entracte-buvette de 10 mn marquait la séance. A noter qu'à quelque rare exception, les placeurs à l'époque n'avaient pas encore l'habitude de se reconvertir en vendeurs de douceurs et autres cacahuètes à la faveur de cette pause. L'étroite rue communément appelée «Trig Rex» s'encombrait de la foule lorsque l'«affiche» était alléchante (titre accrocheur, image aguichante ou acteur du box-office). La circulation, notamment piétonnière, y devenait tellement difficile que les gens surtout les femmes empruntaient derb Sidi Brahim pour se diriger vers Bab El Hdid. A signaler que la salle «El Kawwakeb» était sous-gérée pendant un certain temps par M. Brixi qui en a fait un petit «centre commercial» (cinéma, fast-food, articles d'habillement, pièces détachées...).
Tout proche, le cinéma-théâtre Lux attirait lui aussi la foule. Et pour cause. Les westerns spaghettis de Sergio Leone et Ennio Morricone et péplums italiens occupaient le grand écran : «Le bon, la brute et le truand» avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Eli Wallach (l'effet «Ringo» et «Django» incarnés par Franco Nero faisait fureur à l'époque), le duo Bud Spencer et Terence Hill, «Les sept mercenaires» avec Charles Bronson», «Barabbas» avec Jack Palance, «Les rois du soleil» avec Yull Brynner, «Les boucaniers de la Jamaïque» avec Jeff Chandler, «Cléopâtre» avec Richard Burton et Elizabeth Taylor, «Les dix commandements» avec Charlton Heston, «Les gladiateurs» avec Victor Mature, «Romulus et Remus» avec Steve Reeves et Gordon Scott, «Aguirre, la colère de Dieu» avec Klaus Kinski, «Alcatraz» avec Robert Redford, «Luck, la main froide» avec Paul Newman (décédé dernièrement), «Maciste», «La vallée des rois», «David et Goliath», «Le colosse de Rhodes», «La guerre de Troie», «La reine de Saba», «Les sarrasins», «La conjuration des Borgia», «Les cavaliers de l'apocalypse», «Furia à Bahia pour OSS 117»... sans oublier la série de James Bond 007 avec Sean Connery, «Goldfinger» avec James Coburn, «Le pont de Cassandra» avec Richard Harris...
Deux souvenirs resteront à jamais gravés dans ma mémoire par rapport au cinéma Lux. Primo : le péplum «Spartacus» me valut ma précieuse collection de BD de «Blek le Roc» que je dus brader pour m'acheter un ticket au noir pour voir ce film. Secundo : fuyant «el qatra» (infiltrations de pluie) et le froid qui sévissaient dans notre vieille maison de la rue Benziane, je me trouvai refuge, bien au chaud, au cinéma Lux où était projeté ce jour-là un film de Mustapha Badie «La nuit a peur du soleil». Ce cinéma était géré par le tandem Bouchnak et Grari avec Moussa à l'appareil de projection et «Zorro» la placeuse qui profitait de l'entracte pour vendre ses glaçons «suggérés» par la pub ciné. Dehors, devant le cinéma, c'était le sympathique Abdou (Benzerdjeb) qui proposait ses cornets de «zari'a» (pépites salées) et autres «torraïcos» (pois chiche grillés)... Par ailleurs, la salle de cinéma Lux a vu défiler plusieurs artistes comme Cheikh Abdelkrim Dali (concert), le musicien Ahmed Mellouk (festival des arts populaires), le chanteur marocain Mohamed El Hayani, le jeune talent Douidi Nasro (Alhane oua Chabab), Hdidouène (spectacle récréatif)... Je me souviens aussi qu'on jetait un quolibet «cinima tahet» (le cinéma Lux est tombé) à Tchiali lorsqu'il passait dans la rue (ce récitant non-voyant du Coran au cimetière Sidi Senouci habitait justement à proximité du cinéma Lux dans le quartier dit Dar Daw).
Après une éclipse due à des raisons techniques et juridiques, «El Ifriqia» reprit ses activités en juillet 1997 avant de refermer ses portes. Il fonctionnera en vidéo, proposant deux séances la matinée et une le soir. A l'affiche, des films d'action : «Full contact», «La cible», «Le double impact de Van damme», «Helfout» avec Adel Imam. Quant au prix des places : 15 DA à l'orchestre et 20 DA au balcon. Notons que c'est à la suite d'une décision de la commission de restitution des salles et par arrêté du wali en date du 09.09.96 que cette salle fut rétrocédée à son propriétaire, en l'occurrence M. Abdelhamid Grari. «On a été laminé par 35 ans de nationalisation. Je n'ai pas les moyens pour rénover la salle. Le cinéma algérien est dans une situation critique», se plaindra à nous ce dernier.
La fièvre de la télévision en noir et blanc
La télévision (en noir et blanc) à l'époque (les années 60) n'était pas «adoptée» dans tous les foyers, c'était un objet de luxe, un mobilier rarissime. Une fois, le fils d'un voisin, Ali de Sidi El Djebbar (qui habitait avec Ali Bahmane, l'ancien entraîneur du WAT), nous «invita» moi et d'autres amis «démunis» (moyennant une somme symbolique, soit un douro) chez lui pour regarder... la télévision. Nous étions épatés par cette découverte, fascinés devant cette merveille : le jingle du générique du journal résonne toujours dans mes oreilles (une musique des frères libanais Rahbani) et l'image de la speakerine Amina restera à jamais gravée dans ma mémoire qui «sauvegarda» ce soir-là une séquence d'un film probablement italien titré «Borg» où une figurine poussait des ricanements effrayants. Intérieurement «désemparés», entendez jaloux, nous nous demandions pourquoi la famille Merzougui (dont le père était pourtant simple agent hospitalier) possédait un téléviseur et pas nous. Problématique sociologique en filigrane. «Je faisais l'école buissonnière pour aller regarder la télé à travers la vitrine du magasin de Karadja à côté de la mosquée de Sidi Brahim, aujourd'hui transformé en café du WAT. Une fois, mon père me surprit le nez collé contre la baie vitrée du magasin, il me gifla. Remarquant l'incident, le propriétaire lui lança : qu'attendez-vous pour lui acheter un téléviseur ! Un «défi» qui n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd», se souvient Ali, un ancien employé de la SNTV.
En matière de jeux, on confectionnait notre «cinématographe», une sorte de kaléidoscope, au moyen d'un carton (cadre) sur lequel on pratiquait un gros trou qui tenait lieu de «foyer» à travers lequel on déroulait à deux une sorte de bobine alimentée par un «film» de bande dessinée (une sorte de pellicule formée d'images d'illustrés collées avec de la glu les unes aux autres) et le tour est joué à l'instar du téléphone qu'on fabriquait avec un fil relié à deux boîtes de conserves vides. Le petit «cinéphile» avait droit au spectacle moyennant deux ou trois «a'douma» (noyaux d'abricot) selon qu'on regardait un extrait ou tout le film. A l'époque, les pèlerins (hadj) de retour chez la famille offraient comme cadeau aux enfants des gadgets diapositives (jumelles).
Dalida, Aznavour...
Revenons au cinéma. Le Colisée, véritable bijou architectural, abrita dans les années 60 de célèbres troupes théâtrales et des stars de renommée mondiale telles que Dalida, Aznavour et bien d'autres sont passés par là. Un incendie avait ravagé cette prestigieuse salle il y a quelques années, dont la façade recouverte de marbre fait l'objet d'actes de déprédation (vol des plaques). Quant à son «perron», il est squatté par les vendeurs informels de CD, bibelots et autres articles féminins (une «excroissance» de Sidi Hamed et Blass El Khadem)... «Nous envisageons la réhabilitation de cette salle de cinéma», nous apprendra un élu de l'APC de Tlemcen, interrogé sur le sort du Colisée, sans toutefois être en mesure de nous préciser sa destination future, autrement dit si sa vocation initiale sera préservée. Signalons dans ce contexte que les quatre salles de cinéma d'Oran, à savoir Marhaba (ex-Escurial), El Feth (ex-Pigalle), Es-Saada (ex-Colisée) et El Maghreb (ex-Régent), vont être réhabilitées pour un coût de 30 milliards de centimes (une opération initiée à la suite de la dernière visite du chef de l'Etat dans cette wilaya et motivée par la tenue annuelle à El Bahia du festival international du film arabe (3e édition en juin 2009)...
Les festivités de la célébration de l'indépendance (juillet 1962) furent marquées par des projections de films d'archives à l'initiative du commissariat politique du FLN sur la place de la mairie (en plein air). A ce propos, pourquoi ne pas introduire la formule de cinéma en plein air (mode de spectacle avec mobilier fixe ou réversible) au sein des espaces existants comme le Grand Bassin, le parc d'attractions de Lalla Setti, le site du Mechouar, le théâtre de verdure de Abou Tachfine (en voie de réalisation) ? Au fait, a-t-on prévu des espaces spécialisés (salles obscures) pour le volet cinéma en perspective de la méga-manifestation «Tlemcen : capitale de la culture islamique 2011» ? (En tout cas, ce point n'a pas été abordé par la ministre de la Culture lors de sa dernière visite de travail).


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