Ils sont tous là. Ou presque. Les photographes et les photographes plasticiens de plusieurs générations sont présents, ce samedi 29 septembre, au Palais de la culture Imama de Tlemcen pour le vernissage de l’exposition «Photographie, 50 ans d’âge» organisée à la faveur du 3e Festival national de la photographie d’art (Fespa).
De notre envoyé à Tlemcen
Dehors, la pluie d’automne. Mohamed Djehiche, commissaire du Festival et directeur du Musée national de l’art moderne et contemporain (MaMa), est là, accompagné de Omar Meziani et Lyès Meziani, commissaires adjoints. Lyès Meziani explique aux présents les œuvres exposées des trente photographes invités. Il commence par Mohamed Kouaci. «C’est le chef de file de tous les photographes. La plupart ont appris le métier auprès de lui», dit-il. Louisa Djedaïdia, première femme photographe de presse en Algérie, confirme ses dires. «Kouaci m’a formée», lance-t-elle.
Décédé en 1996, Mohamed Kouaci, natif de Blida, a entamé sa carrière avec des clichés sur des réfugiés algériens pris aux frontières tunisiennes durant les années 1950. Il a ensuite consacré toute sa carrière à prendre des photos de tout : paysages, sites historiques, art culinaire… Il a participé à une quinzaine d’expositions sans publier d’albums. Dommage. Une photo signée Mohamed Kouaci montrant des Algériens manifester leur joie en 1962 est accrochée au départ de l’exposition comme pour suggérer la chronologie voulue par les organisateurs. «Nous n’avons pas suffisamment de documents pour Djamel Eddine Tchanderli. Nous avons trouvé ces trois images réalisées aux Lieux Saints de l’islam», explique Lyès Meziani. Sihem Ouared, petite-nièce de Djamel Eddine Tchanderli, est là, toute émue. «Amoureux de la photo et de la vérité, au maquis, il utilisa l’une afin que l’autre éclate au grand jour.
Tu es mon exemple de liberté, la plus grande richesse du monde», écrit-elle dans un petit texte qu’elle n’a pas pu lire devant les participants du Fespa. Le reportage «La Mecque interdite» de Djamel Eddine sur le pèlerinage avait été publié en 1954 par le magazine français Paris Match, le premier d’un photographe algérien. Plus tard, Djamel Eddine Tchanderli, qui était également cinéaste, devait réaliser les premiers reportages filmés sur la guerre de Libération nationale, notamment dans la wilaya II (Nord constantinois).
Portraitiste des présidents
Quelques mètres plus loin, le public de l’exposition découvre les œuvres de Saci Haddad, l’enfant d’El Eulma, pionnier de la photographie de presse en Algérie. Il s’agit d’un reportage d’Alger à Niamey réalisé avec une équipe de la Société nationale du transport routier (SNTR) en 1969. Saci Haddad avait notamment fondé, avec Mohamed Boudia, Alger ce soir, avant de rejoindre la rédaction d’El Moudjahid. Après l’indépendance, l’Algérie manquait de photographes professionnels. Avant 1962, il avait milité au sein de la Fédération de France du FLN. Aujourd’hui disparu, Saci Haddad a laissé un petit trésor de clichés que sa famille devrait montrer aux Algériens. Lyès Meziani évoque ensuite le travail de Ahmed Zine Bessa, photographe de plateau, puis directeur photos. Des séquences du tournage du film La nuit a peur du soleil, de Mustapha Badie sont immortalisées par Zine Bessa.
Tourné à partir de 1965, ce long métrage est le premier 100% algérien. Dans les photos de Bessa, on peut reconnaître Mustapha Kateb, Yasmina et Sid Ahmed Agoumi, bien «installés» dans leurs rôles. On peut voir aussi Ghaouti Bendadouche, Adel Noureddine, Youcef Sahraoui, Mahmoud Lekhal, des noms qui ont marqué le cinéma algérien… A côté, les photos de studio de Baderedinne Benmeradi se détachent par leur netteté. Benmeradi, qui a appris le métier au laboratoire des frères Meslier à Alger, a été parmi les premiers à diriger un studio dans l’Algérie indépendante. Il avait, en octobre 1962, racheté le studio de M. Gaeta à Hussein Dey, à Alger. «Les premières images de la Foire internationale d’Alger ont été réalisés par M. Benmeradi. Il a été également le photographe de l’aéro club d’Alger. Il a donc pu réaliser des photos aériennes», précise Lyès Meziani. Montrant les photos de Noureddine Ziani, il évoque le parcours de ce photographe qui a réalisé les portraits des présidents.
De Ben Bella à Liamine Zeroual, Noureddine Ziani est un témoin du siècle. Débutant une carrière à Constantine, il avait rejoint Alger Républicain avant d’intégrer l’équipe de Révolution africaine. Il avait fait la une du prestigieux hebdomadaire allemand Der Spiegel. Il avait pris des clichés de, entre autres, Indira Ghandi et John Kennedy. Natif de Ouargla, Abdeselam Khelil est présent à l’exposition de Tlemcen par des photos reflétant la philosophie de la vie au Sud. «Au Sahara, les gens n’ont rien à prouver, ils savent ce qu’ils sont», dit-il souvent. Autodidacte, Khelil est le premier à avoir créé une galerie individuelle à Alger (située à côté de l’université d’Alger, ex-fac centrale). Chaque matin, il allume une bougie en hommage à la vie. Abdeselam Khelil n’a pas exposé depuis 1964 ! Des soucis de santé ont empêché El Hadi Hamdikène de faire le déplacement de Annaba à Tlemcen.
Cet amoureux des lieux et de l’architecture expose des photos sur les gens du rail et prépare actuellement un album sur l’œuvre de Fernand Pouillon, celui qui a, entre autres, conçu le complexe touristique de Sidi Fredj et l’hôtel Minzah à Séraïdi (Annaba). Après Baderddine Benmeradi, Smaïl Merazi est le deuxième photographe à avoir lancé un studio en 1962 à Alger. Il s’est spécialisé dans les portraits d’artistes comme Warda El Djazaïria, Fadéla Dziriya, El Hachemi Guerouabi, Amar Laâchab, Dahmane El Harrachi… Des portraits qui ont servi aux pochettes des disques Vinyl 33 et 45 tours. Des échantillons de ce travail soigné sont présentés. En couleur, les photos de Allal Hachi célèbrent l’emblème national. L’illustration de l’affiche et du catalogue de l’exposition est signée Allal Hachi. Des photos prises après la qualification de l’équipe nationale à la phase finale de la Coupe du monde de 2010. «Cela me rappelle 1962, l’indépendance. J’étais avec mon père qui prenait des photos depuis Hussein Dey jusqu’à la place des Martyrs», se souvient Allal Hachi.
«Clic au féminin»
Quelque peu timide, Louisa Djedaïdia, première femme photographe de presse, est également présente avec des photos sur les enfants. «J’ai appris chez Abderrahmane Merazi. J’avais 16 ans. Je suis partie ensuite à l’APS après un passage au ministère de l’Information. J’ai rejoint ensuite El Moudjahid», se rappelle-t-elle. Saïd Sellami, présent à l’exposition avec des clichés du premier Festival culturel panafricain (Panaf’) d’Alger, était un de ses collègues. On y voit Archie Shepp, Myriam Makeba, Nina Simon… Le Panaf’ 2 est représentée par les photos tout en couleur et en mouvement de Samir Sid. «Nous ne savons pas mettre en valeur nos richesses culturelles. J’ai pris une photo à la rue Tanger, à Alger, d’une partition en train de mourir dans un caniveau», a regretté Saïd Sellami.
«Les archives photos sont dans un état lamentable. Il faut les protéger. C’est le patrimoine de tout le peuple algérien», a enchaîné plus tard Lyès Meziani. Les photos de Madjid Naït Kaci évoquent la sortie des Palestiniens de Beyrouth en 1982, alors que ceux de Yacine Ketfi rappellent la diversité naturelle de l’Algérie, entre verdure de Tadmaït et sable jaune ocre de Beni Abbas. Ali Boukhenoufa se souvient, en noir et blanc, de son Aurès natal au moment où Lyès Meziani met en valeur les lumières poétiques de La Casbah d’Alger. En couleur, les œuvres de Louiza Ammi, qui «clic au féminin », plongent le regard à l’intérieur de la zaouia Alaouiya de Mostaganem. La tête de Mohamed Benguettaf émerge d’une scène de théâtre dans un cliché célèbre de Ali Haffied présent avec deux photos. Hocine Zaourar, avec sa touche particulière, fait ressortir les charmes discrets d’un pont à Constantine et d’un chemin de campagne à Tipasa. Avec La Madone d’Alger, Hocine Zaourar est le premier Algérien à avoir obtenu le prestigieux World Press.
Le jeune Hamza Aït Mekidèche marque sa présence avec des prises artistiques d’un modèle féminin exhibant les bijoux berbères. Fatima Ben Mokhtar, Youcef Nedjimi et Abdelkrim Hadj Kouider mettent en lumière des scènes de vie ordinaire à Alger et dans le Sud algérien. Mohamed Cherfi Abada jette une lumière sur le patrimoine architectural algérien. Arslane Bestaoui poétise, lui, les danses folkloriques du Bécharois. Rachid Dehag est revenu à sa manière sur les événements tragiques du 17 octobre 1961 à Paris. Les photographes disparus tels que Kader Boukerche, représenté à l’exposition par son frère Mohamed et son fils Anis, et Zerrouk Boukassem n’ont pas été oubliés. Huit artistes plasticiens sont présents à l’exposition donnant un autre éclat aux travaux présentés au public. Côte à côte sont accrochées les œuvres de Mohamed Guesmia, Rachid Nacib, Rafik Zaïdi, Fatima Chafaâ, Omar Meziani, Mustapha Nedjaï, Abderrahmane Ouattou et Arezki Larbi…Des œuvres qui incitent à la réflexion.
Fayçal Métaoui
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Posté Le : 05/10/2012
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: D. R. ; texte: Fayçal Métaoui
Source : El Watan.com du vendredi 5 octobre 2012