Les Béni Snous obéissent à de vieilles coutumes qui ont été étudiées par M. Edmond Destaing, ancien professeur à la Médersa de Tlemcen, qui les a exposées dans un ouvrage édité en 1907, et intitulé « Fêtes et coutumes saisonnières chez les Béni Snous ». J’ai interrogé sur ces coutumes, des habitants de Tléta et du Khémis. Elles sont toujours pratiquées comme par le passé dans tous les villages. Je vais vous lire, dans le texte de M. Destain, l’exposé de quelques-unes de ces croyances qui lui ont été dictées en berbère par Mohammed Belkheuir des Aït Larbi (Ouled Arbi). Nous avons rencontré avec M. Kahia, cet homme qui a appris le berbère à Monsieur Destaing, il nous prenait pour ses fils. Voici la citation :
« Dans nos montagnes des Béni Snous, l’hiver est très rigoureux. Pendant plusieurs jours, la neige, chaque année, y couvre la falaise de l’Azrou Oufernane qui domine notre village. Mais c’est au commencement du mois de mars que le froid se fait le plus vivement sentir. Il y a, à cette époque, une période de sept nuits et de huit jours pendant lesquels souffle un vent violent. Ce vent est d’une telle violence qu’on ne saurait répondre de la vie d’un oiseau qui à ce moment, sortirait de son nid.
Il est glacé, accompagné de pluie et de neige. Le froid se fait plus rigoureux le huitième jour de cette période, parce qu’il va disparaître, se comportant comme la lampe qui brille d’un plus vif éclat avant de s’éteindre, comme un malade qui, sur le point de mourir, semble reprendre ses forces.
Durant les quatre derniers jours d’Es-Sâba, il fait tellement froid que le lait de beaucoup de nos chèvres se trouve tari. La perdrix reste dans son nid et commence à pondre, si bien qu’à la fin de cette période, elle est, ainsi que disent les gens, sur sept œufs. La perdrix qui s’est accouplée dans la nuit d’Ennayer2 pond son premier œuf, le premier jour d'Es-Sâba, puis chaque jour un autre œuf.
Les bergers, friands de ces œufs, en prennent chaque jour un, qu’ils remplacent par un oignon de scille taillé assez habilement pour que la perdrix s’y trompe et continue à pondre. C’est au moment d’Es-Sâba qu’arrivera le jour de la Destruction, pendant lequel toutes les créatures de Dieu seront anéanties à la même heure. Toute chose se trouvera transformée en eau et l’univers ne sera plus qu’une vaste mer. Chaque année quand approche la Sâba nous disons « cette fois, nous allons être détruits » et craignant d’être anéantis, nous demandons à Dieu d’user de bonté à notre égard : le monde se met à faire des aumônes de pain, de figues, de bouillie, de couscous. Le dernier jour d’Es-Sâba, arrivent les cigognes. Si on aperçoit une cigogne, c’est signe de bonheur quand elle se présente de face, c’est signe de malheur si elle tourne le dos ; c’est signe de grande misère si deux cigognes se battent sous nos yeux.
Puis viennent les hirondelles et enfin, après elles, ce sont les aigles. L’individu qui, pour la première fois de l’année, voit l’un de ces aigles en tire bon ou mauvais augure. Si à ce moment, il se trouve debout, il dit à l’oiseau : «Je t’ai vu, aigle, et je suis debout ». Puis se baissant, et fermant les yeux, il ramasse de la terre sous son pied droit et l’examine dans sa main. Y trouve-t-il mêlé quelque poil d’animal, il en observe la nuance : si ce poil est noir, l’individu achètera un âne noir, ou un mulet noir, ou une jument noire ; si le poil est d’une couleur différente, blanc ou gris, ou rouge, il achètera selon le cas, une monture blanche, grise ou rouge. Mais si l’aigle vous apparaissant pour la première fois de l’année, vous trouve assis ou couché, c’est le présage d’une maladie qui vous frappera ou l’annonce d’une mort prochaine, si Dieu veut.
C’est alors qu’arrivent les sauterelles. Elles sont sorties du sein de la mer. Pour les chasser de notre pays, le feqîh [le lettré] écrit sur des pierres des mots que je ne connais pas (passage du Coran). Il les place ensuite dans nos jardins. Dieu nous prenant en pitié, les sauterelles quittent la région par la puissance divine. Le Sultan des sauterelles est de la grosseur d’une chauve-souris.
Seuls les grands savants savent le reconnaître ; il est blanc, ou bien rouge, ou bien tacheté de blanc et de rouge. Quand le feqîh trouve le Sultan, il l’attrape et couvre ses ailes d’écriture puis il lui donne la liberté. Le Sultan rejoint les autres sauterelles. Celles-ci s’aperçoivent que pour les faire mourir, on a couvert d’écriture les ailes de leur chef. Pris de peur, le Sultan fuit, suivi de toutes ses sujettes ; pas une ne reste dans le pays. Elles sont parties, mais leurs enfants sortent en grand nombre de cette terre rouge où les sauterelles ont déposé leurs oeufs. Il s’en échappe des espèces de vers qui dévorent toutes les plantes, quelles qu’elles soient. Quand ils tombent sur l’orge verte, ils ne laissent que la terre rougeâtre. Aussi nous disons « O Dieu bienveillant, les sauterelles soit ! mais pas leurs fils ! ». Nous mangeons toutes celles que nous pouvons attraper.
Au commencement de mai, le troisième jour, nous prenons quatre feuilles d’olivier, le feqîh écrit sur ces feuilles que nous plaçons ensuite dans les plates-bandes de nos jardins. Les fourmis s’enfuient, pas une ne reste dans le jardin. On évite pendant trois des jours du Neth, de pénétrer dans les céréales (ce qui chasserait la baraka), de sarcler ou d’arroser (ce qui brûlerait les récoltes). On en donne aussi la raison suivante à Tlemcen : « A ce moment, les arbres, les herbes, les pierres même se marient. La présence d’un homme les gênerait, les rendrait honteux ». Pendant le mois de mai, les tolbas nous avertissent de l’approche du jour d’En Nisân. La pluie qui tombe à ce moment est bénie. Aussi, s’il vient à pleuvoir, tous, hommes et femmes, garçons et filles, sortent tête nue, afin d’être mouillés par l’eau du ciel (coutume qui se rencontre un peu partout en Oranie).
Cette pluie préserve des maux de tête, les guérit ; elle fait pousser très longues les chevelures des fillettes et des femmes. Pour que la laine de nos moutons soit douce et fournie, on fait sortir ceux-ci dans la pluie d’En Nisân. On y expose aussi les vaches, les chèvres, tout le troupeau pour qu’il engraisse et prospère. C’est à cette époque que nous coupons la laine des troupeaux, mais seulement après que la pluie a mouillé les toisons. Le troisième jour d’En Nisân on fait, au couteau, une entaille à l’oreille des agneaux. Certains font rougir au feu un clou ou la pointe d’une faucille. Ils l’appliquent ensuite sur l’oreille de l’animal, et la perforent. Grâce à cette marque, on reconnaît facilement les moutons quand ils se mêlent à ceux d’un autre troupeau. On dit aussi que cette opération, faite aux jours bénis d’En Nisân, hâte la croissance des animaux, et éloigne d’eux la maladie (Tlemcen-Qala). Si le possesseur d’un jeune chien désire que l’animal devienne méchant et bon gardien de la maison, il lui enlève un morceau d’oreille ce même jour d’En Nisân.
Ce jour d’En Nisân apporte plus ou moins de baraka. Chez les Béni-Ournid, sept femmes sortent, le jour d’En Nisân, emmenant à quelques kilomètres du douar une brebis n’ayant pas encore d’agneau. Elles l’observent jusqu’au coucher du soleil. Si l’animal fiente, si les crottes sont fines, le ciel enverra ses bénédictions sans mesure ; si la brebis ne fiente pas, l’année sera sans baraka. S’il ne pleut pas dès le commencement d’En Nisân, on se hâte de demander la pluie. Les tolbas et les jeunes gens, pieds nus et tête nue se rendent en troupes après le Moghreb, aux tombeaux des saints de la région, et demandent la pluie (jets de pierre et de cheveux aux marabouts). Les vieilles femmes jouent avec une boule et des cuillers. Une grande cuiller habillée à la façon d’une poupée est promenée dans les rues du village, et aux environs. On tire divers présages d’une brebis noire conduite à l’oued Tafna, ou attachée loin de son petit. On jette à l’eau un Ouled Sidi Chikh, un chérif – On se jette de l’eau – On égorge un boeuf noir, un mouton noir, des poules noires, près des tombeaux des saints. (A Ammi-Mousa, pour faire tomber la pluie d’En Nisân, on suspend des tortues par les pieds aux branches d’un arbre et on les laisse dans cette position gênante, jusqu’à ce que Dieu, prenant en pitié les malheureuses bêtes, se décide à envoyer la pluie – On les délivre aussi dans le cas où elles viennent à uriner, ce qui est l’annonce d’une averse prochaine – On sait que les tortues chassent le froid, font fuir le diable).
Lorsque la pluie d’En Nisân vient à tomber, les enfants sortent de l’école et recueillent de cette eau pour s’en asperger, pour humecter les planchettes sur lesquelles ils étudient le Coran.
« Cette eau, disent-ils, est bénie et Dieu fera, grâce à elle, que nos études soient bonnes ». Le maître leur dit « Recueillez de cette eau pour que nous en arrosions la mosquée et remplissez-en mon encrier, afin que le jour où quelqu’un tombera malade, je puisse écrire pour cette personne des amulettes qui la guériront ». Si un enfant vient à vous naître le jour d’En Nisân, ne manquez pas de laver ses langes dans l’eau qui tombe en ce moment. Cela portera bonheur au nouveau-né. Si l’on a mal aux dents, la douleur cesse quand on se gargarise avec un peu de cette eau. Des gens prétendent que, au moment où tombe cette pluie, celle-ci renferme des serpents et des vers. « Ne craignez rien, nous a dit le savant du village, car au moment où cette eau tombe du ciel, les anges accourent, saisissent les serpents qu’elle contient et les jettent dans la mer ».
Le jour d’En Nisân, nous allons ramasser des escargots sur le Slîb3. On fait cuire les escargots dans l’eau avec des plantes aromatiques (on emploie diverses plantes aromatiques, mais toujours parmi elles du thym), et on les mange. On jette ces animaux, sept par sept, dans la marmite en leur disant « Je t’ai égorgé, escargot avec le sel et le thym. Dieu est le plus grand ». Cette nourriture est ainsi rendue licite. Cette nourriture prise ce jour-là est bénie. J’ai entendu citer ce hadith par des femmes : « Celui qui ne mange pas de mes escargots et de mes sauterelles n’est pas de mon peuple ». Nous avons soin de jeter les coquilles loin des chemins, car si quelqu’un, ne les voyant pas, passait par dessus ces coquilles, il tomberait malade.
Lorsque, au mois de juin, arrive la fête de la Ansâra, les femmes et les enfants vont sur les pentes, au pied des falaises pour y recueillir des plantes, telles que la férule (ferula aulcata), le marrube (Marrubium vulgaire) qui en brûlant donnent beaucoup de fumée. On met le feu à ces plantes, on jette sur le brasier de l’eau et de la terre (C’est pour que la fumée soit plus épaisse, peutêtre aussi pour un autre motif qui nous échappe. Chez les Béni Ouassin, on jette de l’eau sur les tiges qui brûlent. Un des assistants saisit une branche mouillée et asperge les personnes présentes).
Les cendres du brasier ont la propriété de préserver de maladies graves celui qui s’en frotte le corps. Toutefois, pas plus que l’eau d’En Nisân, elles ne préservent de la maladie qui doit emporter son homme. Un individu, lavé d’eau d’En Nisân et frotté de cendres de la Ansâra, comprend, s’il tombe gravement malade, que sa dernière heure est proche.
Dans les douars de Tralimet, du Bou Hallou (Béni Snous), on fait de la fumée sous les tentes le jour de la Ansâra. De même chez les Béni Ouassin et les Béni Bou Saïd ; cela afin que les génies de la maison ne viennent pas tourner autour de nous. On place aussi, sous les arbres des vergers, des herbes aromatiques qui brûlent sur un réchaud. De cette sorte, les fleurs des arbres se trouvent fécondées, les animaux sont préservés de la maladie et tout le troupeau prospère. Au Kef, on laisse, pour la première fois, les jeunes agneaux et les chevreaux sortir de la maison et suivre leurs mères au pâturage. Les femmes descendent sur les rives de l’oued des Oulad l’Arbi et viennent s’asseoir au bord des bassins que forme le cours d’eau au-dessous du village. Elles allument du feu dans une marmite, jettent sur les charbons ardents du benjoin et des graines de coriandre, puis, faisant le tour de l’étang, elles en parfument les bords. Elles mangent ensuite un peu de pain de blé ou d’orge, qu’elles ont apporté et qu’elles se partagent. Elles en jettent dans l’étang, les poissons accourent pour manger ce qu’elles ont jeté. Puis elles disent aux génies de l’Oued « O Chamarhoûch, Belâh’ar, Belâchgar, Târouchîn, Mâroûchin, partagez-vous ce pain et mangez. Celui d’entre vous qui frappera nos enfants, Dieu le frappera à son tour ». Elles puisent alors de l’eau du lac et en font boire un peu à chaque enfant. Cette cérémonie a pour but d’obtenir des génies qu’ils ne fassent pas de mal aux enfants.
En cette saison d’été nos maisons sont infestées de puces. Voici comment on s’y prend pour les chasser. Après avoir brûlé dans la chambre le jour de la Ansâra, quelques plantes aromatiques et des grains de raisin vert, on attrape un ou deux de ces petits insectes et on les introduit dans un grain de raisin, que l’on suspend ensuite au plafond. Le grain sera à peine sec que déjà toutes les puces seront parties. De même quand l’on suspend, dans les pièces d’habitation, des chardons bleus, les mouches se mettent à fuir dès qu’elles les aperçoivent et ne reviennent plus.
Bien avant le lever du soleil, nous allons chercher des figues amères sur les bords de l’oued. Nous ne prenons que celles qui renferment des moucherons. Vite, nous les plaçons dans des sacs, et nous les apportons dans les vergers, après les avoir mises en chapelet sur des brins d’alfa. Nous suspendons ces « doukkara » aux branches des figuiers. Les moucherons sortent des figues amères, se répandent dans l’arbre et assurent la fécondation des fleurs. Pour favoriser la fécondation des fleurs de courge, nous attachons, à leurs tiges, un scarabée, au moyen d’un fil rouge. Toujours dans ce même but, un individu place au milieu de son verger une tête de mulet, de cheval ou d’âne. Grâce à cette pratique, chaque arbre donne un fruit.
Les gens disent que, pendant cette nuit de la Ansâra, une femme ne peut concevoir, l’accouchement est aussi impossible. Si par hasard, une femme met au monde une fille pendant cette nuit, cette enfant sera stérile ; si c’est un garçon qui vient à naître, il sera laid, méchant et impuissant. Lorsque, le jour de la Ansâra venu, nous nous rendons aux vergers, nous prenons bien garde que quelque vieille femme (ou toute femme qui n’est plus vierge, parce que, disent les Musulmans, elle peut être en état d’impureté) ne nous suive et n’y entre avec nous. Car alors, aucune fleur ne pourrait être fécondée. Mais si c’est une jeune fille qui nous accompagne, chaque fleur à cause d’elle donne un fruit, et ce fruit sera beau comme elle. Avant d’entrer dans les potagers, ces jeunes filles doivent enlever leur ceinture. C’est pour cette fête que les vieilles femmes percent les oreilles des petites filles, pour y passer des anneaux d’argent ou d’or. Elles vont aussi dans la montagne et en rapportent diverses herbes, une tige de chaque espèce. Arrivées à la maison elles les font sécher, les pilent, en font un mélange et les serrent dans un morceau d’étoffe.
Quelqu’un a-t-il besoin de leurs services ? Il va trouver une de ces vieilles femmes et lui demande un peu de cette préparation. Il lui donne de l’argent, en disant « Cède-moi cette poudre dont je me servirai pour me faire aimer de telle femme ». Ou bien c’est un malade qui vient demander de ces plantes pour guérir quelque mal de tête et quelque affection de poitrine Nous célébrons au Kef la fête d’Ennayer, pendant quatre ou cinq jours. Au Khémis elle dure sept jours. Le premier jour, dès le matin, les femmes et les enfants vont à la forêt sur les pentes. Ils en rapportent des plantes vertes, du palmier nain, de l’olivier, du romarin, des asphodèles, des scilles, du lentisque, du caroubier, de la férule, du fenouil. Les femmes jettent sur les terrasses des maisons ces plantes qu’on y laisse se dessécher. Les tiges vertes ont, en effet une influence favorable sur les destinées de l’année nouvelle qui sera ainsi verte comme elles. Et pour que l’année soit pour nous sans amertume, nous nous gardons de jeter sur nos maisons des plantes, telles que le chêne vert, le thapsia, le thuya qui toutes sont amères.
Les enfants rapportent aussi de la montagne de petits paquets d’alfa, six, huit par nombre pair (deux paquets sont d’alfa sec). Ils se procurent aussi trois grosses pierres ; au pied des pentes ils recueillent de la terre rouge. Ils apportent le tout à la maison. Alors au moyen d’une pioche, les femmes démolissent l’ancien foyer, enlèvent les trois vieilles pierres qui servent de support à la marmite et les remplacent par celles que les enfants ont apportées. Elles font détremper la terre rouge dans l’eau, la pétrissent, en enduisent les pierres du nouveau foyer et laissent sécher jusqu’au moment de préparer le repas du soir. On allume alors le feu avec l’alfa récolté dans la montagne.
Quant aux hommes, ils se réunissaient autrefois de grand matin, à Mzaourou pour faire une battue. On en rapportait des lapins, des perdrix que l’on mangeait le lendemain. De nos jours on égorge un mouton, une chèvre, pour que les gens soient pourvus de viande, le deuxième jour de la fête. On mange aussi des poules dans chaque famille. Au Khémis on égorge dans chaque famille un nombre de volailles égal à celui de ses membres. Une qui allaite ou qui se trouve enceinte mange deux poules. On engraisse ces volailles longtemps à l’avance. Il importe de manger, ce jour-là, de la viande de poule ; ceux qui sont trop pauvres pour en acheter ont soin de se nettoyer les dents avec des os de poulets. Le dîner est composé uniquement de berkoukes a lait. Le berkoukes se prépare en roulant en gros grains de la semoule grossière. Après le repas, on en place quelques grains sur les pierres du foyer, et sur les poutres qui soutiennent le toit. On ne lave pas le plat dans lequel a été roulé le berkoukes, ni celui dans lequel on l’a mangé, ni l’ustensile qui a servi à le faire cuire. On ne nettoie pas les cuillers, on ne secoue pas la corbeille à pain, ni l’anfif en alfa dans lequel se cuit le couscous. A cette occasion, on fait des beignets et des crêpes. On prend des figues des grenades, des oranges, des noix. On en fait des colliers auxquels on ajoute un taja’outh. C’est un pain plus ou moins gros, au milieu duquel on place un oeuf que l’on recouvre de petites baguettes de pâté. On porte au four beaucoup de ces pains, dont on fait cadeau aux amis qui en rendent d’autres. On fait un gâteau avec des oeufs, du levain, des raisins secs, du sucre, de l’huile. On ne mange pas, ce jour-là, de pain d’orge, mais seulement du pain de blé. Les femmes ont soin de jeter les coquilles d’oeuf au loin, afin qu’il n’arrive à personne de marcher dessus. Une jeune tlemcénienne qui marcherait sur des coquilles d’oeuf ne trouverait pas de mari, surtout si cela lui arrivait pendant l’Ennayer. A celui qui n’a rien, nous offrons des figues, des grenades mises en colliers, un petit pain, de cette sorte, ses enfants ne pleurent pas d’envie en voyant les friandises des autres.
Quand approche la nuit, on fait un lion. Deux hommes placés l’un devant l’autre, la face tournée vers le sol se saisissent. Les jeunes gens vont chercher un tellis (une couverture) dont ils les revêtent et qu’ils fixent au moyen de tresses d’alfa ; on n’oublie pas de pourvoir le lion des attributs de son sexe. Alors l’individu placé devant se met à rugir dans un mortier qu’il a à la main. La marmaille emmène le lion dans les maisons et les tentes, où il effraie les petits enfants. Les jeunes gens disent aux habitants « Donnez-nous pour le dîner du lion ». On leur donne des figues, des beignets, du pain, des crêpes. Tout ce monde vient ensuite au Bordj du Caïd. Chemin faisant, le lion danse au son d’un tambourin. Puis on se réunit dans un endroit voisin de la Tafna ; les jeunes gens se partagent le produit de la quête, mangent et se séparent après avoir récité le fatiha. Et comme cette année-ci est sèche, nous avons ajouté cette prière « O Seigneur, donne-nous de la pluie » (1905).
Après le dîner, le maître de la maison va vers ses brebis et les appelle ; si elles bêlent la nouvelle année sera bonne ; si le troupeau se tait, l’homme se rend auprès de ses vaches et leur parle ; un beuglement comme réponse est le présage d’une année passablement prospère. Si les vaches restent silencieuses, le maître se dirige vers ses chèvres. L’année sera médiocre si elles bêlent, mauvaise si elles se taisent.
Le lendemain nous préparons au village un chameau. On fait un faisceau de perches que l’on lie avec des tresses d’alfa. On apporte alors une tête de cheval ou d’âne, ou de mulet : on y adapte une branche que l’on fixe ensuite à l’une des extrémités du faisceau en question. Trois hommes masqués par une couverture supportent le tout. Cela représente un chameau. Dans des raquettes de figuiers de Barbarie on taille à l’animal des oreilles, et aussi des yeux au milieu desquels on place des petites coquilles d’escargots. On fait de ces coquilles un grand collier qu’on passe au cou du chameau. Enfin on lui ajoute une queue faite d’une branche de palmier. On le promène ensuite comme on a fait pour le lion, et la marmaille crie « Donnez-nous à manger pour le chameau ».
On ne revêt pas pour l’Ennayer, de beaux habits, comme on le fait pour un jour de fête. Si l’un de nous veut arriver à découvrir dans les broussailles des oeufs de perdrix, il se teint, le premier jour d’Ennayer, le bord des paupières avec du collyre ; puis la nuit se plaçant un tamis sur le visage, il compte les étoiles au ciel. Cela afin de renforcer sa vue. Une femme est-elle en train de faire une natte aux approches de l’Ennayer ? Elle s’empresse de l’achever pour l’enlever du métier avant la fête ; elle détache ensuite le roseau auquel est fixé la trame. Parfois ses voisines viennent l’aider. Si cette femme n’enlevait pas la natte en lui laissant passer l’Ennayer sur le métier, un malheur surviendrait, qui éprouverait ses enfants, son mari, ses biens. On agit de même pour un burnous ou une djellabah.
Si dans une famille un enfant né avant l’Ennayer perce des dents, une petite fille le prend sur son dos. Elle se présente ainsi aux portes en demandant de quoi préparer à l’enfant de la bouillie (pour lui faire pousser les dents). Ses compagnes chantent « Petite dent, excellente petite dent, tu viendras à mon jeune enfant par considération pour La Mecque et Médine et pour tous les saints de Dieu ». Les enfants des riches, aussi bien que ceux des pauvres, sont ainsi conduits de porte en porte, cette démarche ayant surtout pour but de préserver l’enfant du mauvais oeil. Si une femme n’a pu achever une natte commencée, elle l’enlève avant l’Ennayer, et la fait porter au loin dans la montagne. Puis, la fête passée, on la place à nouveau sur le métier et on l’achève. Voilà comment se passe le premier de l’an chez les Béni Snous. Que cette année soit heureuse pour vous ». (Fin de la citation Destaing).
Ces coutumes ont été rapportées au cours d’une causerie « sur les Béni Snous » faite par M. Roger Bellisant, instituteur, à la Société des Amis du Vieux Tlemcen, le 18 janvier 1941
(La causerie a été illustrée par des projections lumineuses).
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Posté Le : 16/08/2010
Posté par : tlemcen2011
Source : fr.wikipedia.org