Algérie

Tlemcen: le mouvement de citoyenneté d'action et de réflexion dans l'impasse



La fondation «Maître Boukli Hacène Omar» restera-t-elle à l'abandon ? Dilapidée, cette fondation n'est pas ce qu'elle devrait normalement être selon les voeux de son donateur, il y a aujourd'hui plus de trente ans. L'avocat Boukli Hacène Omar n'est pas un inconnu dans l'histoire. Militant de la cause de l'indépendance de l'Algérie, l'histoire lui reconnaîtra des positions très proches du leader national Messali Hadj, à savoir l'indépendance de l'Algérie, non sans parler aussi du soutien qu'il a apporté à l'action de l'Association des oulémas algériens, à Cheikh Abdelhamid Benbadis, son président, et à Bachir Ibrahimi, son successeur. Maître Boukli Hacène Omar, dont les biens furent confisqués durant la guerre de libération, fut obligé alors de prendre le chemin de l'exil et de s'installer, en attendant la libération, au Maroc, où il est fondateur et premier président à Tanger, en 1955, du Croissant-Rouge algérien. Son patriotisme en faveur de l'Algérie ne s'arrêtera pas là, puisqu'avant sa mort en 1972, il constitue en donation pieuse (habous) tous ses biens, et cela après le décès de son épouse, survenu en 1985. Ces biens sont en effet constitués d'une maison de maître, avec un joli jardin, aux abords du village du saint savant mystique Sidi Abou Madyan Choaib, et d'un bain maure. Qu'advient-il aujourd'hui de ce bien habous légué pieusement il y a aujourd'hui plus de vingt années aux Algériens ? Un acte de générosité mais également d'amour pour son pays, un exemple de la part de ce juriste, homme politique et esthète, ami de Bénali Fekar, Messali Hadj, Ferhat Abbas, Bachir El-Ibrahimi, Malek Bennabi, Jacques Berque, Mohamed Gnanèche, l'Abbé Bérenguer, Sid Ahmed Bouali... Qu'a-t-on fait à ce jour pour sublimer ce geste ? A ce jour, c'est le statu quo. Ni la population, ni la société civile n'a rien pu faire face à une administration qui a besoin de cohérence et d'une plus grande responsabilité dans sa conduite, et cela pour se mettre en couple avec la société et ses besoins de progrès. C'est une situation verrouillée que vit ce bien habous, actuellement tout à fait à l'abandon, ne servant à rien. Plus grave encore, croit-on savoir: la bibliothèque de livres rares et de manuscrits ainsi que des objets de valeur (tapis, meubles, pièces de dinanderie et autres), consignés dans les inventaires, ont disparu. Plus d'un est scandalisé par cette situation de désintéressement des autorités administratives et politiques, totalement déconnectées par rapport à l'engagement citoyen. C'est là une conviction, une culture et une volonté politique. Le statu quo est celui voulu par l'administration qui a toujours refusé «de faire entrer dans ses droits et ses prérogatives l'association qui s'est légalement créée il y a plusieurs années, comprenant des personnalités éminentes de la société civile», explique un de ses membres. Devant le vide politique, le déficit de représentation et de représentativité, à défaut d'un projet indispensable pour fonder la légitimité de l'élu enfin, la marginalisation de la société civile dans ses éléments les plus conscients, la situation explique le désengagement des citoyens. Les élus aliénés, répondant servilement au doigt et à l'oeil du wali, détenteur réel du pouvoir local, ont fait preuve jusque-là d'un désintéressement total de la question, alors que les problèmes de culture et de mobilisation de l'espace sont épineux dans cette ville qui n'arrive pas à décoller culturellement. Dans cette cité, le système est depuis longtemps déjà en rupture avec les intellectuels et l'élite, s'accommodant du populisme et de son corollaire, l'animation ou l'évasion, au lieu d'une politique culturelle qui consiste à s'engager sur les voies et moyens à l'émergence d'une société nouvelle du goût et de l'esprit. Les élus ont été les témoins impassibles de la mort culturelle de cette ville avec la fermeture de la cinémathèque, des salles de cinéma... Les associations qui eurent merveilleusement dans le passé pignon dans le domaine, telles l'ADESC, Ahbab Tourath, El-Djesr... ont subi l'effet d'éteignoir. La ville s'est ainsi totalement coupée du mouvement citoyen de mobilisation et de bénévolat. Les rencontres salvatrices: Colloque maghrébin d'archéologie, Tlemcen ville méditerranéenne, 1er colloque international sur Messali Hadj, les festivals nationaux de la musique andalouse réédités trente années durant... justifient éloquemment le rôle du mouvement associatif de réflexion dans cette ville, à l'expérience dans ce domaine les trente premières années de l'indépendance de l'Algérie. Sans parler de l'orchestre de Tlemcen et des cercles artistiques qui, pendant trente ans, malgré la misère de leurs moyens, n'ont cessé, dans le cadre d'un véritable élan de patriotisme culturel, de veiller à la tenue chaque année du Festival national de la musique classique andalouse qui, malheureusement, sans la moindre réaction des élus, fut annulé par ukase, causant un grand vide culturel et artistique, que le festival national du haouzi est loin de concurrencer. La cité millénaire d'Abou Madyan, Al-Habbaq, Es-Sanoussi, Al-Maqqari, Al-Wancharissi, Ibn Khamis, Abi Djamaa Talalissi, Al-Mandassi, Bouletbag, Ben Msaïb, Bentriqui... n'accepte toujours pas la décision par laquelle tout le monde reconnaît vouloir par là l'écarter de sa grande culture, de son histoire culturelle et artistique très chargée et hiérarchisée jusqu'au genre musical haouzi dans sa banlieue. L'ambition des élus semblent être tout à fait «out» par rapport à la réalité des problèmes de la cité aux plans de la gestion de la cité et à tous les plans culturels, économiques, sociaux, de développement. Au lieu d'être porteurs d'un projet de société, il n'y a chez eux que l'ambition personnelle. Dans une société qui aspire à l'évolution, les associations de citoyenneté, de l'action et de la réflexion constituent l'école du militantisme et, par là, le socle de la démocratie. Les contraintes bureaucratiques imposées ne sont pas, malheureusement, à encourager le progrès du mouvement citoyen d'action et de réflexion qui doit être, comme du temps du mouvement national, au coeur de la vie de la cité. Fini le temps du bricolage. La wilaya n'a pas besoin de walis, de présidents d'APC, de chefs de chantiers pour seulement dépenser l'argent, mais de managers, de stratèges pour la conduire à un véritable redressement aux plans politiques, économiques... La médiocrité est à l'origine de la paupérisation et du décrochage économique, culturel... de la région, où l'anti-intellectualisme est de règle dans cette région où les capacités et les compétences sont énormes. Le défunt légataire, l'avocat et nationaliste Boukli Hacène Omar attachait certes une importance particulière au fonctionnement post mortem de cette fondation de piété au profit d'oeuvres caritatives et de solidarité, ou à défaut culturelles, rattachées, dans l'ultime cas testamentaire, à Sidi Abou Madyan, dont El-Eubbad, village qui abrite la sépulture du ghawt, la mosquée datant de 1339, la médersa achevée en 1347, qui a abrité l'enseignement du savant Abderrahmane Ibn Khaldoun et servit de retraite aux pérégrinants et docteurs de l'époque: Ibn Arabi al-Hatimi, Lissan Eddine Ibn Al-Khatib... est un haut lieu du savoir malékite et de méditation maghrébine. Les chercheurs y trouveront là sans doute un cadre idéal de travail pour leurs recherches.


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