Algérie

TLEMCEN : LA PÉRIODE MÉRINIDE



La construction de Mansoura fut entreprise en 1299 , c'est-à-dire à l'époque où les Abd-el-Wâd commandaient à Tlemcen. Elle fut entreprise par une dynastie ennemie des Abd-el-Wâd, la dynastie des Mérinides ou Béni-Merin, qui avait sa capitale à Fès. Pourquoi les Mérinides cher­chaient-ils à s'emparer de Tlemcen ? Il est facile de comprendre, si nous examinons l'état de l'Afrique du Nord à ce moment-là. L'empire almohade vient de sombrer parce qu'il n'était pas capable de défendre ses trop vastes territoires. Quatre Empires sont nés des débris de l'Empire aImohade : la dynastie des Hafsides, qui règne à Tunis ; la dynastie des Beni Abd-el-Wàd, qui règne à Tlemcen ; la dynastie des Beni Merin, qui règne à Fès ; la dynastie des Beni Wattas, qui règne dans le Rif marocain. Chacune de ces quatre dynasties a le désir et l'ambition de reconstituer à son profit l'intégrité de l'Empire almohade. Il était inévitable que ces dynasties rivales en vinssent à des conflits armés. Et c'est ainsi qu'Abou Yaqoub Yousef, sultan mérinide de Fès, vint sur l'emplacement de Mansoura soutenir contre Tlemcen un siège qui dura 8 ans (de 1299 à 1307). Ce siège eut une fin malheureuse pour les Mérinides. Abou Yaqoub Yousef mourut assassiné par un de ses eunuques en 1307. Le siège fut immédiatement levé et les Beni Abd-eI-Wâd vécurent tran­quilles jusqu'en 1335. Le souverain mérinide qui régnait en ce temps-là à Fès était Abou Lhasen. Le souverain abdelwâdide qui régnait à Tlemcen était Abou Tachefine 1er. Abou Lhasen résolut de recommencer la tentative d'Abou Yaqoub Yousef qui n'avait pas réussi trente ans aupa­ravant, Il amena avec lui une forte armée, releva les ruines de Man­soura, livra aux Beni Abd-el-Wâd assiégés dans Tlemcen une guerre d'usure. et décida de les soumettre par la famine en empêchant le ravi­taillement dans la ville. Son plan réussit magnifiquement, puisque au bout de deux ans de siège (1335-1337) les Beni Abd-el-Wâd étaient vaincus et les soldats mérinides faisaient leur entrée triomphale dans Tlemcen. Abou Tachefine 1er, en souverain courageux, s'était battu jusqu'à la fin et mourut héroïquement avec ses trois fils, sur la porte du Méchouar, en essayant de défendre l'entrée de son palais aux soldats mérinides.
Voilà l'histoire des deux sièges de Tlemcen par les Mérinides. Etudions maintenant les monuments que les souverains mérinides élevèrent dans leur camp de Mansoura et recherchons quel pouvait être le genre de vie de ces soldats mérinides pendant les dix années de siège qu'ils soutinrent en deux fois contre les Beni Abd-el-Wâd.
Quand Abou Yaqoub Yousef arriva près de Tlemcen en mars 1299 avec l'intention d'en faire un siège en règle, il était décidé à s'établir près de la ville abdelwâdite pour un temps indéterminé, qu'il avait des raisons de supposer assez long. Il avait déjà derrière lui, en effet, l'expé­rience de plusieurs escarmouches contre les Beni Abd-el-Wâd. A quatre reprises, en 1290, 1295, 1297,1298, de passage près de cette capitale rivale, Il avait tenté avec ses hommes l'assaut de Tlemcen. Mais les murs de Tlemcen étaient solides. Les soldats des Beni Abd-el-Wâd étaient courageux et bien armés. Abou Yacoub Yousef avait compris qu'un long siège serait nécessaire pour venir à bout des Beni Abd-el-Wâd. Le voilà donc arrivé en 1299 avec une nombreuse armée, qu'il désire fixer sur place jusqu'à la reddition de Tlemcen. Où va-t-il installer cette armée?

La plaine qui s'étend à l'ouest de Tlemcen, entre la ville et le col du Juif, lui parait un emplacement tout désigné. C'est là qu'il installe un camp d'une superficie de plus de cent hectares, d'un périmètre de quatre kilomètres. La raison qui a commandé cet emplacement était claire: les Beni Merin avaient le désir de créer un camp d'où il leur fût possible d'attaquer la capitale abdelwadite. L'emplacement géographique de Tlemcen exigeait que ce camp fût à l’ouest. de manière à n'être pas en contre-bas et à permettre aux occupants d'observer ce qui se passait à Tlemcen. Nous avons déjà vu que Tagrart, au temps des Almoravides, était bâtie à côté d'Agadir et à l'Ouest d'Agadir.

Voilà dans quels sentiments Abou Yaqoub Yousef a fondé ce qu'il a appelé « le camp victorieux », : el-mahalla el-mansoura. Le premier siège de Tlemcen dura huit ans. La politique d'Abou Yaeoub Yousef était vraisemblablement double: 1) il essayait, par des combats quotidiens à main armée sur tous les points où la ville abdelwâdite était fortifiée, de diminuer la capacité de résistance de l'ennemi; 2) par une habile politique écono­mique, il drainait à l'intérieur de son camp tous les échanges qui se faisaient autrefois dans la ville de Tlemcen et il réduisait ainsi à la famine la capitale des Beni Abd-el-Wâd.



Les premiers travaux d'Abou Yaquoub Yousef furent assurément des travaux d'investissement autour de la capitale abdelwadite. Abou Yaqoub Yousef était bien plus préoccupé d'empêcher les sorties des Abd-el-Wâd de Tlemcen que de construire à l'emplacement de son camp des demeures somptueuses pour lui et pour ses troupes. Mais le siège ne devait pas donner de résultat immédiat; Abou Yaqoub Yousef s'y attendait du reste. L'hiver 1299 arrivait. et l'hiver est rude dans la région de Tlemcen. Abou Yaqoub Yousef, pour se défendre contre les rigueurs du froid, se fait construire à l'intérieur du camp une demeure royale ; en face, il élève une mosquée pour lui et pour ses troupes. Des bâtiments destinés aux fonction­naires royaux, des habitations de soldats, des hôpitaux, des bains, des caravansérails, furent construits à l'intérieur du camp. Et Il fallut bien entourer le tout d'une muraille pour se protéger de l'ennemi. De cette première muraille, il ne reste aucune trace. C'est seulement deux ans après en l'année 1302, qu'Abou Yaqoub Yousef fit construire les remparts en pisé qui sont encore visibles aujourd'hui. Jusqu'en 1302, Mansoura n'était qu'un camp, le camp victorieux. A partir de 1302, elle est une ville, médina, et les historiens l'appellent Tlemcen la neuve pour l'opposer à la capi­tale abdelwâdite.

Abou Yaqoub Yousef avait-il le dessein, en commençant le siège de la capitale abdelwadite en mars 1299. de bâtir une capitale d'empire qui surpasserait en beauté la capitale abdelwâdîte ? On peut répondre non avec des chances de certitude. En effet, Abou Yaqoub, qui savait que le siège de la capitale abdelwâdite serait difficile, ne pouvait pas cepen­dant prévoir quelle durée serait la durée de ce siège. Il n'avait pas le désir de fonder une capitale d'Empire à l'emplacement de son camp, puis­que se dynastie s'était déjà donné une capitale : Fès. Les monuments artistiques qui sont à Mansoura sont le fruit d'heureux événements bien plus que de la volonté d'un souverain. Les événements ont poussé Abou Yaqoub à bâtir, et ceci va nous expliquer pourquoi, des constructions qui couvraient une superficie immense de plus de 100 hectares, il reste aujour­d'hui si peu de ruines. Quelle était donc la destination de l'espace compris entre les murs d'enceinte ? Selon toute apparence elle était double.

1) D'abord et avant tout, cet espace servait de campement et de lieu de protection à l'armée mérinide qui harcelait tous les jours la garnison abdelwâdite de Tlemcen. Mais nous savons que les armées musulmanes en ce temps-là ne se composaient pas seulement de combattants. Les hommes de troupe étaient accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Des commerçants, des fournisseurs de toutes sortes de denrées suivaient l'armée et la ravitaillaient. Si les tentes étaient un abri suffisant pendant l'été, elles ne pouvaient répondre aux exigences, ni de l'hiver tlemcénien, ni d'un siège qui se prolonge des années. Toute cette population campée à l'intérieur d'une muraille se préoccupa, dès Ie premier hiver, de construire pour elle-même des abris fixes, de la même manière que le sultan mérinide avait fait construire pour lui une demeure royale. La diffé­rence, c'est que le sultan construisait en pisé et en marbre, tandis que ses sujets construisaient en plâtre et en terre battue. Les constructions royales étaient assez solides pour braver les siècles; les autres disparaissaient en une journée, tant et si bien que nous n'en connaissons aujourd'hui pas même l'emplacement.
2) Très vite le camp devint un souk, un marché en plein air. Car la capitale abdelwâdîte était fermée au négoce par le blocus mérinide. Les caravanes qui faisaient le commerce des épices, des objets de luxe, des objets de toute utilité entre le Soudan et les ports de la Méditerranée (Djemaâ-Ghazaouet, Honain. Oran), au lieu de s'arrêter dans la capitale abdelwadite, s'arrêtèrent à Mansoura. Le prestige militaire de Mansoura se trouva accru d'un prestige commercial subit et considérable. Mais là encore, c'est la nécessité qui poussa Abou Yaqoub Youssef à faire de son camp une véritable cité. Le développement de Mansoura donne tous les signes de l'improvisation.

A partir de 1302, Mansoura sera fermée par des remparts en pisé, elle aura son palais royal et sa mosquée, c'est-à-dire les édifices indispen­sables à l'exercice du Gouvernement et à l'accomplissement des devoirs religieux. Elle aura son marché. Elle est couverte d'une multitude de cons­tructions très légères sans doute. mais très faciles à réparer. On comprend que les historiens, en particulier lbn Khaldoûn, puissent déclarer qu'en 1302 Mansoura n'est plus un camp mais une ville.

Les ruines, que nous observons aujourd'hui des deux plus beaux monu­ments de Mansoura, du palais royal et de la mosquée, sont-elles les ruines des constructions élevées par Abou Yaqoub Youssef ? Vraisemblablement non. Car les dates portées sur les chapiteaux, sur les inscriptions, sont bien plutôt les dates de la réfection de ces monuments que celles de leur construction.

Le premier siège de Tlemcen, qui a duré huit ans, se termine en 1307 sans apporter de solution au conflit entre les Mérinides et les Béni Abd-eI-Wâd. En 1307, Abou Yaqoub meurt assassiné par un eunuque de son palais.

Il restait, pour lui succéder, son petit-fils, Abou Tabit Omar. Ce jeune homme, impatient de s'assurer l'héritage politique de son grand-père Abou Yaqoub Yousef, s'empressa de retourner à Fès. capitale de l'Empire méri­nide. pour y régler les détails de sa succession. Avant de quitter Tlemcen, il conclut une sorte de paix avec le Sultan Abou Hammou 1er. Aux termes de ce traité, Abou Hammou fit évacuer Mansoura et la laissa complètement vide.

Pendant les trente années qui séparent les deux sièges de Tlemcen, Mansoura fut livrée au pillage des Beni Abd-el-Wâd. En 1335, quand Abou Lhassen le mérinide entreprit le deuxième siège de Tlemcen, il ne trouva à l'emplacement de Mansoura que des ruines. Mais il eut vite fait de réparer l'enceinte que les Beni Abd-el-Wàd s'étaient empressés de démolir. Il avait avec lui une armée qui égalait et même surpassait en nombre l'armée de son prédécesseur Abou Yaqoub Yousef. Ce deuxième siège de Tlemcen ne dura que deux ans. Abou Lhassen reprit évidemment la politi­que d'Abou Yaqoub Yousef, qui consistait à ruiner la puissance des Beni Abd-el-Wâd de deux manières : par le siège militaire et par la famine. On a des raisons de croire que le blocus réalisé par Abou Lhasen fut beaucoup plus sérieux que le blocus d'Abou Yaqoub Yousef. En effet, il ne fallut que deux ans à Abou Lhassen pour réduire à la dernière extrémité les habitants de Tlemcen et pour obtenir la reddition du souverain abdelwâdide qui commandait la ville. Il n'est guère possible d'imaginer quependant ces deux années de siège ininterrompu, Abou Lhassen ait eu le temps de donner à Mansoura les monuments dont elle est fière de s'enorgueillir aujourd'hui. Selon toute vraisemblance, le camp demeura vide de monuments importants. C'était une enceinte solide occupée par une immense armée qui logeait sous les tentes et qui n'avait pas eu le loisir de bâtir à l’intérieur des remparts.

C'est en 1337 qu'Abou Lhasen vint à bout de la résistance des Beni Abd-el-Wâd. Le blocus économique qu'il avait établi autour de Tlemcen était si efficace que les princesses abdelwâdides, au bout de deux ans de siége, avaient offert de se sacrifier pour permettre à leurs frères et à leurs maris de soutenir plus longtemps le siège. Cependant la supériorité militaire des Mérinides devenait de jour en jour plus évidente. En 1337, Abou Tachefine, qui commandait alors à Tlemcen ne put contenir une attaque violente des Mérinides et succomba les armes à la main avec ses trois fils en essayant de défendre l'entrée de son palais du Méchouar.

Les sultans mérinides, qui commandaient déjà sur toute la région de Tlemcen, prirent possession de la ville, mais ne s'y installèrent pas. Abou Lhasen fit de son camp la ville officielle et le siège de son gouvernement sur le Maghreb central. Il restaura les monuments qui avaient été édifiés par son grand-père Abou Yaqoub Yousef. La mosquée porte une inscription qui, pour imprécise qu'elle soit, permet d'attribuer à Abou Lhasen sa restauration. Sur l'emplacement du palais royal, Abou Lhasen fit bâtir, en 1344, le palais de la victoire (Dar-el-fath). C'était un ensemble de constructions grandioses, superbement décorées. et qui s'agrémentaient de jardins, de pièces d'eau, de galeries ombragées. Abou Lhasen attira une nombreuse population dans la ville qu'il venait de restaurer. Mais ce regain de vie qu'il avait l'ambition de donner à sa capitale et qu'il lui donna, en effet, fut de courte durée. La domination mérinide de Tlemcen va de 1337 à 1348 : elle s'étend sur une période de onze ans. C'est en 1344 qu'Abou Lhasen fit édifier le palais de la victoire. Il ne put y séjourner que quatre ans. En 1348, les souverains abdelwâdides remontent sur le trône de Tlemcen, chassent les Mérinides de Mansoura, pillent les constructions d'Abou Lhassen et font passer la charrue sur ce qui avait été autrefois une ville florissante. Mansoura est bien morte, son existence, traversée de tant de vicissitudes, aura duré moins d'un demi-siècle (1299-1348).


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