L'éthique médicale est le thème traité lors
du colloque international organisé jeudi dernier par l'université Abou Bekr Belkaïd au sein de
l'auditorium de la faculté de médecine Dr Benaouda Benzerdjeb, dans le cadre de la manifestation «Tlemcen, capitale
de la culture islamique 2011».
«Les bouleversements induits par la
pratique médicale sont multiples et majeurs… A ce titre, l'éthique implique une
réflexion critique sur les situations et les comportements. Quel que soit le
type d'exercice et malgré la complexité des techniques, nous devons rester des
médecins de l'homme, capables d'écouter, de comprendre et d'accompagner, dans
le respect absolu de sa personne, celle ou celui qui viendra se confier à
nous…», dira M. Necib Berber,
doyen de la FM. Et
de relever que «Les enseignants ont une notion étriquée de l'éthique, beaucoup
la confondent avec la déontologie ou le droit médical…». A ce propos, le Pr Ghawti Hadj Eddine Sari, de l'Observatoire citoyen afro-méditerranéen
(Paris), qui donnera une communication sur «L'éthique et les cultures», clarifiera
le concept : «L'éthique, c'est beau, c'est bien… C'est le bel agir» (d'après
Jacques Berque). «On ne peut pas concevoir une action éthique sans sa dimension
esthétique», devait-il souligner. Il rejettera le mot «akhlaqiat»
et lui préfèrera «ihcène», c'est-à-dire «la
bienfaisance», qui est une dimension islamique aux côtés d'« el-imane» (foi) et «el-islam» (soumission),
en précisant qu'il est faux de croire que « l'éthique est une émergence de la
modernité et de la culture occidentale». Il ajoutera que «la conscience, c'est
tout ce qui est défini sans subjectivité ni ambiguïté», citant Bachelard. «C'est
la base de l'épistématique (néologisme) consubstantielle
à l'éthique islamique…». Selon lui, l'éthique est une dimension de l'être
humain vivant avec l'autre. Il estime que l'altérité, c'est ne plus avoir peur
de l'autre et d'aller vers l'autre…». Quant à la morale, il cite Rostad qui disait à ce propos : «C'est ce qui reste de la
peur quand on l'oublie». «La morale est à l'éthique ce que la science est à la
vie», conclura-t-il avec ce parallèle.
Le Pr Ghawti Hadj Eddine Sari interviendra une seconde fois avec «Ethique et
recherches en médecine». «L'acte de recherche est neutre, n'allez pas chercher
s'il est permis par Dieu. Ne dites pas halal ou haram
mais éthique ou non éthique», lâchera-t-il tout de go. Et de souligner les
ambiguïtés de la bioéthique (vocable qu'il considère impropre du fait du
préfixe bio, renvoyant à des réactions physico-chimiques) via une citation du
sociologue anglais Richard Dawkins : «La science
donne-t-elle du sens ? Nous sommes des machines à survie, des véhicules robots
aveuglément programmés pour préserver les molécules égoïstes connues sous le
nom de gènes». Dans ce sillage, il parlera du pacte triptyque (mithaq), à savoir la «fitra» de
nature à nous permettre de «combattre le djahl (l'ignorance)
et le doulm (le méfait)», l'humanité en potentialité (génome
humain unique) et la nécessaire remise en cause de la
certitude.
A ce
titre, il évoquera l'histoire de Sidna Moussa (Moïse)
relative à la Création
: les quatre volatiles renvoient symboliquement, selon Ibn Arabi,
à quatre fondements caractéristiques volatiles, à savoir l'ego incarné par le
paon, le devoir par le coq, la paix par la colombe et la dignité humaine par le
corbeau…
Dans
la même veine mais sous un angle législatif et juridique, la Pr Fatima
Zohra El-Kebir, du LBDD de
l'université d'Es-Sénia, abordera l'«Ethique de la
recherche médicale». «Le respect de la personne, la bienfaisance et la justice
sont les trois principes de base guidant la recherche médicale», fera-t-elle
observer. Et de souligner : au plan pratique, intégrité, responsabilité et
bonnes pratiques sont les bases de l'éthique de la recherche. La non-nuisance expérimentale, le respect de l'autonomie et de
la dignité humaine, le devoir de confidentialité et de réparation s'inscrivent
dans cette optique éthique. Promouvoir l'ERM, élaborer
un code d'éthique, mettre en place un enseignement de l'ERM,
analyser et contrôler tous les projets, créer des équipes multidisciplinaires, sont
entre autres les recommandations émises en la matière… Elle conclura avec cette
citation éthique de Diderot : «Il ne suffit pas de faire le bien, encore faut-il
le faire bien»…
L'Islam et l'éthique médicale
Le Pr M'hamed Benreddouane, dermatologue (faculté
de médecine d'Alger), ancien ministre des Affaires religieuses, parlera des
«Problèmes médicaux modernes et éthique de l'Islam» à partir du questionnement
cardinal : «A qui appartient la vie ?». Il passera à la loupe le suicide, l'euthanasie,
les dons et greffes d'organes, l'avortement, la planification familiale, la
procréation assistée médicalement… «Ces questions sont-elles soutenues par un
phénomène d'angoisse ou une approche pédagogique ?», s'interrogera-t-il. «Il
faut de l'éthique dans l'éthique», estime-t-il.
Cet animateur de l'émission «Avis
religieux» sur Canal Algérie se prononcera à cette occasion (via des fetwas) sur l'avortement, la PAM, la drogue, la chirurgie esthétique, l'expérimentation
pharmaceutique, l'euthanasie… Il se réjouira d'apprendre que «les restes
humains de l'hôpital de Tlemcen bénéficient d'une sépulture décente à la
périphérie du cimetière Sidi Senouci».
Le Pr Moussa Arada, chef de service hospitalo-universitaire (médecine
interne), posera la «Problématique de l'éthique dans la recherche médicale». «La
recherche est faite pour le malade et non le malade pour la recherche», une
règle d'or que l'orateur énoncera d'emblée. Ce président du Conseil national de
l'éthique des sciences de la santé soulignera que les dépenses dans le domaine
de la santé dépassent largement le PIB. Et de dresser le tableau des quotas en
matière de distribution de médicaments à travers trois continents : en Afrique :
1% du marché (14% de la population mondiale); en Europe : 30% (11% de la PM) et en Amérique du Nord : 44,4%
(5% de la PM). D'où
la profonde dimension éthique dans l'exigence d'une utilisation optimale à
l'effort consacré à la santé au titre de la double éthique, celle des soins et
celle des choix fondamentaux…
A travers le thème « Ethique et soins
intensifs », le Pr Abdelhamid
Aberkane, professeur de réanimation au CHU Benbadis
de Constantine, constate «une marchandisation de la santé et une irruption de
l'économique». L'ancien ministre de la
Santé estime qu'«il y a une chaîne éthique et (que) la
réactivité de notre système de santé est médiocre». 5 milliards de dinars sont
consacrés aux soins (5.000 malades), l'hémodialyse étant la plus budgétivore, l'équivalent
du budget de fonctionnement de tous les CHU. Il notera que l'espérance de vie
est passée de 52 à 76 ans. L'ancien ministre de l'Enseignement supérieur
proposera deux modèles : individualiste et solidariste. Avant d'énoncer quatre
grandes orientations : la métaéthique (interdisciplinarité),
l'éthique normative (prise de conscience des limites), la naissance d'une
casuistique (droits et liberté du malade) et l'institutionnalisation de
l'éthique. «Il n'y a pas d'éthique sans compétence», lâchera le conférencier.
Le Pr Larbi Abid, chef de service de
chirurgie viscérale et oncologie, jettera un éclairage sur «Le positionnement
éthique des soins palliatifs et de la fin de vie», un sujet très sensible. «Toute
personne malade a le droit aux soins palliatifs et d'accompagnement» en vertu
du credo «C'est ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire», soulignera
cet expert dans le domaine de la bioéthique (Unesco). «La question de
l'inutilité est l'un des problèmes les plus épineux de la pratique médicale
contemporaine», fera-t-il observer. En cas d'affection incurable et terminale, le
médecin «doit apaiser les souffrances physiques et psychiques du patient, éviter
tout acharnement thérapeutique sans espoir, maintenir la qualité d'une vie qui
s'achève, assister le mourant et agir de façon à permettre au patient de garder
sa dignité», recommande-t-il. Et de décréter : «Le médecin n'a pas le droit de
provoquer délibérément la mort du patient».
L'éthique face aux essais thérapeutiques
A signaler qu'actuellement, quelques
hôpitaux algériens se sont dotés de comités d'éthique qui ne sont interpellés
que dans le cadre des essais cliniques et thérapeutiques, selon ce membre du
comité d'éthique de l'hôpital de Bologhine, qui
citera dans ce contexte Rames : «Il n'y a pas d'éthique individuelle sans
dimension collective et réciproquement».
Un autre sujet aussi sensible que le
précédent est celui de la «Procréation médicalement assistée à la lumière des
écrits religieux», qui sera traité avec sérénité par le Pr
Belkacem Chafi, chef de
service de gynécologie obstétrique (EHU Oran). «Malgré les réticences qu'elles
soulèvent, les PMA sont désormais couramment pratiquées ; ces nouvelles
techniques semblent inaugurer le règne de «l'enfant-objet»
commandé à la médecine moderne…», constatera ce spécialiste. L'infertilité (ou
stérilité) est définie par l'OMS comme «l'incapacité d'un couple à parvenir à
une conception et à mener à bien une grossesse à terme après un an ou plus de
rapports sexuels réguliers et non protégés».
On estime que plus de 70 millions de
couples à travers le monde sont infertiles (dont 10% dans le monde arabe). En
Algérie, aujourd'hui, 10 à 15% des couples rencontrent des difficultés à
concevoir et consultent pour infertilité. Qu'on en juge : 33,5% de désir
d'enfant, 3,7% de stérilité et 129.500 couples infertiles… Quant au taux
d'échec, il est estimé à 20% (6 tentatives d'insémination artificielle). Hors
hôpital, une PMA coûterait la bagatelle de 30 millions en clinique privée. Le Pr Chafi fera savoir que la
technique de la cryogénie est lancée (banque de sperme) à Oran. Evoquant la
sexualité dans le cadre d'un mariage monogamique et indissoluble ainsi que
l'adoption en cas d'infertilité, le conférencier soulignera qu'«il est
moralement légitime d'essayer de dépasser sa propre stérilité; les moyens et
leurs conséquences doivent quand même être évalués dans une perspective
éthique…».
Le Pr Abdessamad Oussadit, professeur
de médecine légale (CHU
Tlemcen), abordera «Les aspects éthiques de la formation
médicale». L'enseignement de l'éthique a été introduit dans le cursus depuis 10
ans, selon l'orateur, qui estime que ce module est théorique et le volume
horaire réduit, soit 45 h (1,7%) sur 2.720 h pour la 6e année et 15 h pour la 1ère
année. «Les poursuites engagées contre les médecins sont bien plus souvent
liées à des difficultés relationnelles qu'à des défaillances techniques», dira
ce médecin légiste, mettant le doigt sur l'examen et la relation cliniques. Les
malades souhaitent rencontrer une personne et non une machine. A ce titre, il
est indispensable d'informer les étudiants sur les droits des malades. Et pour
cause. Un arrêt de la Cour
d'arrêt de Paris (arrêt Nobel de 1987) assimile la chambre d'hôpital à un
domicile privé…
Pour coller a priori à la thématique de
«Tlemcen 2011», le Pr Kaouel
Meguenni, professeur d'épidémiologie (CHUT), président
du comité d'organisation du colloque, choisira judicieusement la «Lettre de Rhazès à un de ses disciples : une leçon d'éthique» (reproduite
sur le dépliant et le fascicule du programme). La missive que Abou Bakr Al-Razi a adressée à son
disciple Abu Bakr Ibnu Qareb Arzi
contient un premier avertissement : «Des choses les plus dures dans le métier
du médecin, soigner les princes, les riches et les femmes (envers ces dernières,
il doit préserver son regard et le limiter à la localisation de la pathologie)».
Il lui rappelle que «Le médecin doit être l'ami des gens, gardien de leurs
secrets. Cette lettre renferme d'autres recommandations éthiques et
déontologiques liées au devoir de réserve, l'indépendance morale, le secret
médical, la pudeur, la piété, les honoraires, la continuité des soins, l'hygiène
de vie, le charlatanisme (soin par l'expérimentation)…
Il faut signaler l'annulation de la
communication «Morale, éthique et déontologie» du Pr
Mohamed Bouziani (président du CRS et du CNOCD) pour
cause de santé, alors que celle du Pr Mokhtar Benkalfat (en pèlerinage)
: «De la morale à la bioéthique», sera lue «par procuration» par le Dr Abi Ayed, chirurgien (un simple
enregistrement vidéo préalable aurait été plus «communicatif»).
A noter la présence de l'association de
formation continue «Errazi», alors que le Conseil
régional de l'ordre brillera par son absence, ainsi que l'association des
personnes âgées.
En marge des travaux se tenait (dehors), faut-il
le mentionner, un sit-in d'un groupe de médecins internes qui criaient à tue-tête
et à qui voulait les entendre : «On ne parle pas éthique si on ne l'applique
pas !». Un véritable chahut en signe de protestation contre le silence observé
par la tutelle depuis février dernier, date de l'envoi de la plate-forme de
revendications en trois points (statut de l'interne, service civil et volet
pédagogique).
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Posté Le : 08/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Allal Bekkaï
Source : www.lequotidien-oran.com