La fête de l'Aïd est propice à toutes les
dépenses. La prodigalité est manifestement de mise au niveau des divers
commerces. Destination: El Medress, la Souiqa, Derb Sidi Hamed, la rue Kaldoun,
la Qissaria, Blass El Khadem, la rue Lamoricière (le cinéma Colisée), la rue
Basse (le café Romana) et l'inévitable magasin d'habillement Bouhsina (le
«Tati» local) et son voisin chinois «Top Shoes» de Bab El Djiad spécialisé dans
les chaussures souples et autres baskets.
Alors que les pères de famille sillonnent
les ruelles en quête d'habits qui siéent à leurs enfants mais aussi à leurs
bourses, les mères s'approvisionnent goulûment en ingrédients et arachides pour
la préparation des gâteaux et confiseries. Quant aux enfants, ils affichent eux
aussi allègrement et pour la circonstance, en ce jour de fête, leur statut de
«pédoclient». Après avoir «cassé» la tirelire renflouée à la faveur de l'Aïd,
ils prennent d'assaut les magasins de jouets et autres espaces de jeux. Qui
avec un porte-monnaie discret (les filles), qui avec des sous tintant dans la
poche (les garçons). A Bab Sidi Boumediène, au souk extra muros «Joutia», c'est
la «foire» aux jouets. Pas de vitrine, ni d'étal. Un capharnaüm. Les articles
ludiques aux couleurs chatoyantes «débordent» devant les baraques où l'on
pratique le demi-gros et le détail. Au lieu-dit El Mawqaf, en face de l'hôtel
El Mansour, un «kiosque» ne laisse pas indifférent les bambins de passage sur
les lieux. Au centre-ville (intra muros), en véritable vedette en la matière,
s'exhibe «la caverne d'Ali Baba» de Bentchouk en face du CCF, voisinant son «homologue»
Hamidou (un ancien commerçant en alimentation générale). A l'ère de la
génération digitale, les jeux vidéo sont très prisés. Play Station 1: 8.000 DA,
Play Station 2: 15.000 DA, Play Station 3: 25.000 DA... A l'entrée des deux
magasins et en guise d'attraction, trône une voiturette mécanique (à sous) à
l'«effigie» de Mickey Mouse. Une manière de mettre dans le bain ludique les
enfants. Non loin, au bout de la Qissaria, fidèle à la tradition, le petit
magasin de Bekhti, un buraliste, affiche fièrement sa «ludothèque». A Tafrata,
la boutique de El Hadj Korso regorge de jouets made in China. Dans le même
secteur, en face du CRA, le magasin de Gaouar, qui exerçait dans ce créneau,
s'est reconverti dans les cosmétiques. Non loin, à Bab El Hdid, c'est «Chicco»
de Berber qui offre ostensiblement sa gamme de jouets bien achalandés.
A
noter que pour des raisons de sécurité liée au terrorisme, les articles munis
de télécommande (téléguidés) sont interdits de vente. L'informel dans ce
domaine n'est pas en reste. Au niveau du marché couvert, El Qissaria et Sidi
Hamed, les articles sont exposés carrément par terre ou sur des cartons par des
vendeurs occasionnels. Les ballons de baudruche sont très convoités: 3 DA pour
les petits et 10 DA pour les grands modèles (made in China). La version
«Ferguson» provenant d'Espagne est cédée à 20 DA. Pour rester dans l'aérien, un
hélicoptère (à pile) est proposé à 250 DA. Plus «hard», un pistolet est vendu à
50 DA et le jeu de cartouches (recharge) pour la même somme. Sur ce sillage, on
refile même sous forme de porte-clés des stylos optiques dangereux contre 50
DA. A propos de vision, des lunettes «Taïwan», un article dont raffolent
surtout les petites filles, sont exposées au... soleil. Les feux d'artifice et
les pétards rôdent timidement dans les parages, le Mouloud étant leur période
d'«explosion». Un jouet, genre «farces et attrapes», en l'occurrence un sifflet
baudruche, devrait comporter une «contre-indication» avertissant du risque
d'étouffement par ingestion de la capsule sonore (sous l'effet du souffle
(aspiration/expiration). Notons que la plupart de ces commerces d'articles de
jeu, qui d'ailleurs se comptent sur le bout des doigts, pèchent par deux
choses: l'absence d'enseigne thématique et l'absence de musique d'ambiance...
Par ailleurs, les salles de jeux sont très sollicitées: une partie de billard
est jouée de 35 à 50 DA et celle de baby-foot à 5 DA.
Les
cybercafés ne désemplissent pas aussi durant cette fête. Vice City, Half Live,
Tekken, PS 2009, GTA San Andreas, Need For Speed... sont investis par des
doigts nerveux. La cyber addiction guette toute cette gent enfantine en mal de
loisirs, assoiffée de jeux. Tarif: 40 DA l'heure et à titre de promotion 100 DA
pour 3 h de «connexion». D'autres enfants optent pour des distractions
«écologiques». Parés de leurs plus beaux atours, ils saisissent cette heureuse
opportunité pour prendre le téléphérique et effectuer une jolie navette vers le
magnifique parc de loisirs de Lalla Setti d'autant plus que la journée s'annonce
ensoleillée avec quelques nuages cependant. Direction le lac artificiel (plan
d'eau) où les attendent des pédalos. 400 DA la «traversée». Une tournée à dos
de cheval coûte 50 DA. Les balançoires et les toboggans ne sont pas payants. Le
manège est désaffecté au grand dam des enfants. Des équipements usagers gisent
encore sur l'ancien site. Un cimetière forain. Cap via la féerique rocade sur
le zoo de Mansourah. Entrée 50 DA. Cette «réserve» animalière gérée par un
privé abrite une faune aussi riche que variée où cohabitent animaux domestiques
et sauvages. Nos petits visiteurs ont le loisir de jouir du spectacle des
singes qui gambadent, de la danse des canards, des lionnes, des hyènes, des
fennecs, des serpents, des chameaux, des tortues, des vautours, des aigles, des
moutons, des pigeons, des porcs-épics, des souris blanches, des sangliers...
Des décombres d'abri pour reptile gisent sur le sol. Une tentative du gérant de
ramener un anaconda pour étoffer son zoo aurait été «avortée» par la brigade de
gendarmerie territorialement compétente pour défaut, dit-on, d'autorisation
spéciale à cet effet. A titre de prévention contre la grippe porcine, une
équipe sanitaire a effectué une visite d'inspection du zoo, selon le gérant...
Une
tournée sur un poney ou à dos de chameau est proposée pour 100 DA. Une
voiturette automatique est «louée» contre 20 DA/5 mn. Le tobbogan, la
balançoire et la prise d'escalade sont un cadeau de la maison. Une musique
d'ambiance enfantine agrémente les lieux. Au décor festif propre à cette fête,
manquent, outre l'irrésistible manège, la tombola et la kermesse avec ses
typiques jeux et concours ludiques sanctionnés par des cadeaux (jeu de
massacre, pêche à la ligne, course au sac de jute, tir de précision...).
Pourtant la FOCET, les SMA et l'association des handicapés moteurs, entre
autres, en ont l'expérience ainsi que les foires commerciales.
Il
n'y a pas si longtemps, quand l'esprit inventif et le sens de la créativité
n'étaient pas encore affectés par les Play Station et l'Internet, des jeunes
organisaient à cette occasion des kermesses de fortune, les jeux de massacre et
de précision au niveau de la rue commerçante de Sidi Hamed, abstraction faite
des autres productions telles que «roul'ma» (planche à roulettes), «el qasba
beselk» (voiture en roseau et en fil de fer), «bitcha» (balle en caoutchouc
pour jongler), «lestak» (fronde), «zozlit» (osselets), «zarbout» (toupie),
«cinima» (appareil de projection en carton), «tiliphoune» (téléphone avec deux
boîtes de conserve reliées par un fil de fer), «zemmara» (instrument à vent
avec un roseau bouché avec du papier tabac), «h'bila» (corde à sauter),
«chrita» (boîte de tabac à chiquer remplie de sable servant de palette pour la
marelle), «seffara» (noyau d'abricot taillé en biseau en guise de sifflet),
«fhel» (flûte en roseau), «snitra »(guitare avec un bidon d'huile de moteur
vide comme caisse de résonance et des cordes à partir d'un câble de frein de
bicyclette)... Un hobby manuel qui obéissait à l'adage «Le besoin crée
l'industrie»... Le film «La boîte dans le désert» (1981) de
Brahim Tsaki où des enfants ramassent des morceaux de ferraille pour en faire
des jouets illustre bien cette tendance ludique, ce penchant récréatif chez
l'enfant démuni, celui qui n'est pas «gâté» (à prendre au propre et au
figuré)... Notons que cette année, l'Aïd El Fitr a coïncidé avec la rentrée
scolaire, synonyme elle aussi de frais en termes d'achats de fournitures
aujourd'hui «gadgétisés» dont le design exploite intelligemment le goût
«sensationnel» des enfants en ciblant leur passion pour des «héros» de mass
média, marketing oblige. Des articles frappés à l'«effigie» des Barbie, Mickey
Mouse, Walt Disney, entre autres, meublent, à l'instar de ce que furent les
Tortues Ninja et Pokeman, les cartables et les trousseaux des élèves (Astérix,
Dora et Bob l'éponge ne vont pas tarder à se joindre chez nous aux autres
figurines): trousse «album», palette «piano», taille-crayon gadget, règle
rouleau, stylo géant, étiquettes fétiches... sont exposés bien en vue dans les
vitrines des librairies du Soleil, Ibn Khaldoun, Ibn Badis, Bedjaoui, Sari,
tels des... jouets. Mais qui a dit que l'enfant travaille (à l'école) en jouant
?... Au fait, ce genre de commerce (articles gadgets, jeux et jouets) est-il
soumis au contrôle de la qualité (conformité aux normes conventionnelles en la
matière) en vue de la protection du petit mais non moins innocent consommateur
?... Jadis, on s'achetait nos jouets chez Mlouka de Bab Ali et surtout Djilali
cycliste de Bab El Djiad, en l'occurrence des billes en verre, des osselets
colorés, des flûtes à bec, des flûtes de pan, des harmonicas, des masques, des
ballons, des clairons, des tambourins, des cordes à sauter, des cerceaux, des
toupies, des jumelles, des lunettes, des gadgets (diapos/TV), des glaives, des
pistolets et des fusils (version «silencieuse»), des jeux de dés, des
porte-clés... On allait également louer un vélo chez Blel, le cycliste de Bab
El Hdid (derb Ouled Essene): 4 douros (4 fr) l'heure sans «caution» si ce n'est
la «nya» (la candeur) de l'époque. Il arrivait qu'on utilisait en «tandem» la
bicyclette; ne résistant pas à la surcharge, la fourche se brisait des fois
mais sans conséquence pour notre poche: soit on abandonnait l'engin endommagé
devant le local, soit on se confondait en excuses... Quant à la «fardja», elle
se déroulait en face des murs de Bab Sidi Boumediène; des saltimbanques
marocains s'adonnaient è des tours de magie (conversion de billets de banque,
escamotage de balle de tennis, ingestion de lames de rasoir...) ou faisaient
danser un cobra avec leur lombarde enchantée (ghaïta). Un entracte était marqué
pour ramasser dans une écuelle la recette non «imposée» du spectacle à fortes
sensations...
Un
peu plus loin dans le passé, les enfants arborant seroual arbi (pantalon
bouffon), maq'foula (gilet) et araqia (calotte) allaient jouer à Aïn Aouazouta
sur le chemin d'El Eubbad, et ceux qui avaient quelques sous en poche (douro,
soldi, rial, r'biya', franc...) se payaient des sucreries (nougat, halwet el
kilomètre, halwet loubia, halwet tefah...) ou une boisson de «arq souss»
(réglisse d'Afrique) et se faisaient traîner dans des voitures de place qui
allaient et venaient le long du cimetière de Sidi Senouci sur le chemin d'El
Eubbad.
Ce
site abritait d'autres attractions comme le spectacle des charmeurs de
serpents, les saltimbanques marocains, les garagouz (marionnettes), la pêche
sur sable... Le poète Bentriqui (18e siècle) décrit cette ambiance de fête dans
sa qacida: «Aïd (El Kébir) ouel ferdja fi bab el djiad» dans laquelle il
exprime son admiration pour les parures des femmes tlemcéniennes ainsi que les
festivités (jeux) qui étaient organisées pour la circonstance. L'inamovible
cheikh Abdelkrim Dali, «célébrait» pour sa part l'Aïd Esseghir avec sa chanson
culte «Min zinou n'har el youm saha aïdouk» perpétuant ainsi l'exhalaison de
cette tradition millénaire...
Sa
voix d'or et sa mélodie sont à jamais incrustées dans la mémoire populaire,
soit la commémoration de l'Aïd El Fitr ainsi que l'Aïd El Adha à travers l'immortelle
qacida de «Ibrahim El Khalil»... Bonne fête.
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Posté Le : 23/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Allal Bekkaï
Source : www.lequotidien-oran.com