Algérie

Tlemcen - De la Grande Muraille de Chine à la vallée du M'zab



Tlemcen - De la Grande Muraille de Chine à la vallée du M'zab
L’architecture de terre est à l’honneur jusqu’au 14 janvier à Tlemcen avec l’exposition «De terre et d’argile», l’une des plus importantes de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique». Un prétexte à une exhortation à la préservation et à la réhabilitation de la terre dans nos constructions.

Tlemcen. De notre envoyé spéciale

«Perdu dans la cité, tu loues les vertus de bâtisses légères et tu insultes les maisons faites d’argile et de pierre.»

Le poème est de l’Emir Abdelkader qui préférait la vie en campagne. Ce poème est l’un des plus beaux plaidoyers pour la construction en terre.

L’argile n’a-t-elle pas été à l’origine du genre humain ?

Depuis le 19 novembre et jusqu’au 14 janvier, le nouveau palais des expositions d’El Koudia, à Tlemcen, abrite l’exposition «De terre et d’argile» dédiée aux architectures de terre.

Yasmine Terki, commissaire de l’exposition, est convaincue de la nécessite de sensibiliser les Algériens à préserver un patrimoine vieux de plusieurs siècles.

Cette architecte des monuments historiques a déjà organisé en 2009, à la faveur du deuxième Festival culturel panafricain d’Alger, l’exposition «Terres d’Afrique et d’ailleurs».

Cette deuxième exposition, sans doute l’une des plus grandes de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011», est marquée par la variété et par ce souci pédagogique de mieux comprendre l’histoire des architectures de terre, ici le pluriel n’est pas exagéré.

Dès l’entrée du hall, le visiteur admire les jarres en terre crue de Sidi Semiane, un village situé dans les montagnes proches de Cherchell, à l’ouest d’Alger. Les femmes de ce village continuent, en dépit de leurs faibles moyens, à fabriquer des jarres, des pots, des marmites, des braséros et des assiettes en terre crue grise. Des œuvres d’une beauté originale.

A côté, les artisans du Burkina Faso, du Ghana, de Mauritanie, du Niger, de France et du Portugal exposent des décorations murales en terre.

Lawrence Asare vient de l’Ashanti, la province ghanéenne dont la capitale, Kumasi, porte un joli surnom, «la ville jardin».

Héritage

Il expose avec son ami Francis Boatang. «On retrouve ces décorations dans les maisons traditionnelles des gens fortunés. Par le passé, elles distinguaient les demeures des rois. Il existe des dessins symboliques et proverbiaux. Dans ce tableau, vous pouvez voir le symbole de la protection. Ici, le chasseur est face à une torture et un escargot. Ces deux animaux sont protégés par leurs carapaces», explique-t-il. Il prend tout son temps en détaillant des dessins exprimant la profonde sagesse africaine : la paix, la procession du chef, l’autorité, le passé/présent, le bien/mal, le partage, l’unité…

Lawrence Asare donne des noms en langue twi, celle que les habitants de l’Ashanti et de Brong Ahafo parlent depuis la nuit des temps…

A quelques pas de là, les décorations murales du Zinder, du Niger, sont présentées. On remarque tout de suite que de légères différences existent comparées à celle du Ghana.

Mohamed Arifi est, lui, venu de Timimoun. «Les décorations murales seront toujours là. Il est vrai que les artisans sont peu nombreux, mais on fera tout pour sauvegarder cet art. Nous allons veiller à transmettre cet héritage aux jeunes. Moi-même, j’ai appris de mon oncle. Nous utilisons l’eau mélangée à l’argile avec du sable pour confectionner les tableaux. Pour les nouvelles maisons, nous utilisons du plâtre pour les coller aux murs», nous a-t-il précisé.

Mohamed Arifi est venu avec Abdelkader Naka et Mohamed Amirouche présenter l’art mural du Gourara.

Ouardia Lounas Laïdani a, elle, fait le déplacement de Kabylie pour présenter son savoir-faire particulier. Elle est parmi les rares femmes à pratiquer cet art pourtant ancestral.

Manhattan du désert

Dans un bac de plusieurs carrés, le public peut faire la différence entre la variété colorée du sable. Des dizaines de photos mettent en évidence l’universalité des architectures de terre : cela va de la Mesa verde (maison verte) du New Mexico, aux Etats-Unis, au centre historique de Barichara en Colombie, aux décorations du Ghudjarat en Inde, à la ferme de l’île de Laeso au Danemark, à l’habitat de l’éco-communauté en Suède, à la ville de Gozo à Malte, au palais de l’Alhambra en Espagne, le mausolée de plein air de Arnhem aux Pays-Bas, au centre historique de Shakhrisyabz en Ouzbékistan, au port de Bahla à Oman, à Kouta Mako au Togo, à la mosquée de Yalma au Niger, au Bani Bsihr Qahtane en Arabie Saoudite, aux Shibam au Yémen.

«Nous montrons les Shibam dans l’espace réservé à l’universalité des architectures de terre. On appelle cette ville du Yémen la Manhattan du désert. Pour nous, en tant qu’architectes, ce modèle est important à montrer aux jeunes pour qu’ils comprennent qu’il n’existe aucune limitation de niveau dans les constructions en terre. Shibam est la ville où les premiers “gratte-ciel “ ont été bâtis dans le monde.



Des bâtisses en terre ont été construites sur dix niveaux. Ce qui est absolument énorme. Cela détruit les idées fausses sur les architectures de terre qui veulent qu’on ne peut construire sur plus d’un étage», a expliqué Yasmine Terki.

Dans un petit espace, deux documentaires de François Lebayon, Les révolutions de terre et Les nouveaux habits de la terre, sont projetés.

Réalisés en 2004, ces deux films, qui célèbrent les constructions faites par la terre, ont été tournés en Egypte, au Mali, en Syrie, au Pérou, en Birmanie, en Espagne, en Autriche et à l’île de Mayotte sur l’océan Indien.

«La terre crue est un matériau de construction d’avenir pour les pays pauvres et pour les pays riches», relève le réalisateur.

Les photos aériennes géantes de Djillali Kays (réalisées à la faveur de campagnes photographiques initiées par le ministère de la Culture en 2009 et 2011) donnent une idée précise sur 13 ksour : El Ghassoul à El Baydha, Beni Abbès à Béchar, les gorges du Ghoufi à Batna, Temacine à Ouargla, Hammad à Adrar, Ighzer à Timimoun, Chetma à Biskra…

Mappemonde géante

Les prises de vue de Djillali Kays permettent de voir les détails de la pentapole de la vallée du M’zab, les seuls ksour algériens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Une mappemonde géante fixée au sol donne un aperçu des différents sites d’architecture de terre listés par l’Unesco parmi le patrimoine mondial.

En Amérique du Sud et dans les Caraïbes, il existe 33 sites, dont un tiers au Mexique comme le centre historique Oaxaca et le site archéologique de Monté Alban.

La région Asie-Pacifique compte 30 sites comme Maidan Imam Isphahan en Iran, la Grande Muraille de Chine et les monuments bouddhistes de l’ère Horyn-Gi au Japon.

Dans les pays arabes, il existe 21 sites, dont la vallée du M’zab et La Casbah d’Alger en Algérie, les médinas de Fez et de Marrakech au Maroc, les anciens ksour de Ouadane en Mauritanie, la ville archéologique de Samara’a en Irak, l’ancienne cité d’Alep en Syrie, la cité de Carthage en Tunisie.

En Afrique, il existe 13 sites, à l’image des falaises de Bandiagara au Mali et le site de Lalibela en Ethiopie.

En Amérique du Nord et en Europe, 18 sites sont répertoriés comme Centre historique de Porto au Portugal, la ville historique de Lyon en France, les murs de la ville de Bakou en Azerbaïdjan et le mur de Hadrien en Grande-Bretagne.

Modernité

Les techniques de construction en terre (pisé, bauge, torchis et adobe) sont expliquées par des textes et des images.

Une maquette de la mosquée de Djenné, au Mali, le plus grand édifice bâti en terre crue au monde, composée par Hamza Driouèche, est présentée au public.

Un écran tactile donne la possibilité aux plus curieux de visiter virtuellement un monument historique de Timimoun.

«Les jeunes sont intéressés par tout ce qui est identitaire, écologique, développement durable.

Evidemment, ce n’est pas facile de relancer un cadre bâti en terre ou de préserver le patrimoine. Depuis cinquante ans, nous avons pris d’autres habitudes, la construction en ciment au lieu de l’argile. Dans cinquante ans, nous pouvons renverser la tendance et avoir autant de maçons qui construisent en argile qu’en ciment», explique la commissaire de l’exposition.

Elle plaide pour un encouragement de la construction avec des matériaux locaux. Elle a observé que le ministère de l’Habitat soutient l’utilisation de ces matériaux dans les logements construits hors des villes.

«Lorsqu’on doit construire des maisons en terre, les maçons réapprennent à utiliser la terre dans leurs travaux. C’est très loin d’être une cause perdue. Partout dans le monde, de grands architectes encouragent l’utilisation de la terre. Il y a même des piscines en terre bâtie en pisé. Il n’existe aucune raison pour penser que c’est un matériau archaïque. Il faut lever tous les a priori qui font que les Algériens délaissent leur patrimoine», constate Yasmine Terki.

Elle reconnaît que la transmission pose un problème majeur en Algérie dans la mesure où les savoir-faire constructifs sont transmis de génération en génération. La rupture provoquée par l’introduction du ciment et d’autres matières industrielles a créé une grave rupture dans la chaîne de transmission entre générations.

«La terre est parfaitement adaptée à la modernité. La construction en terre est à l’avant-garde aujourd’hui dans le monde. On espère que l’Algérie suivra. Il faut «débétonniser» les esprits», a-t-elle plaidé.

Fayçal Métaoui


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