C'est le portrait de la célèbre diva rebelle du hawzi qui a été adopté comme «effigie» pour le colloque international sur la poésie féminine de Tlemcen qui se tient du 7 au 9 mars sous l'égide du tandem CNRPAH/UABT, coïncidant avec la célébration de la Journée internationale de la Femme.
Un choix on ne peut plus « féministe » mais néanmoins esthétique auquel ne serait pas étrangère une autre femme, Khalida Toumi, celle qui parraine l'événement de 2011: «Tlemcen, capitale de la culture islamique». Celle qui enchanta des années durant El Ourit avec son hawfi et sa voix ensorcelante s'éteignit un 22 avril 1962 à l'âge de 71 ans.
Le café Bensalem de la légendaire place d'El Medress, devant lequel elle passait furtivement, drapée de son haïk immaculé, ne diffuse plus, depuis qu'il a changé de mains, ses langoureuses chansons qui sont en revanche perpétuées-nostalgie oblige- au restaurant de «La Petite Cuisine» géré par un Tlemcénien du nom de Benyoucef à Oslo en Norvège. Cette dame c'est Cheikha Tabet-Zatla Fatma dite Tetma, fille de Ghaouti et de Sari-Gharnaout Aouïha. Cheikha Tetma est née en 1891dans le quartier de Béni Djemla dans la vieille médina. Dès son enfance, elle commencera à fréquenter l'école coranique où elle apprendra le Coran et se familiarisera avec les règles de la langue arabe auprès de l'illustre Cheikh El Iraqi El Hadj Mohammed dit «Bou'roug. C'est chez Moulay Ahmed Medeghri dit «Serfaqo»- un barbier musicien et poète-qu'elle entamera en catimini, alors qu'elle était encore une fillette impubère, son rite initiatique devant le salon de coiffure de ce dernier situé à Derb Sidi El Yeddoun, à la faveur des répétitions qui se faisaient dehors, à l'ombre des pots de basilic.
Par la suite, elle s'initia auprès de sa mère, elle-même issue d'une famille de mélomanes, avant d'être prise en charge par les frères DIB (Mohammed et Ghaouti) considérés à l'époque comme les grands maîtres de la musique andalouse à Tlemcen et auprès desquels elle se perfectionna. Cependant, elle ne pouvait s'afficher avec leur orchestre exclusivement composé d'hommes. Ce n'est qu'en 1916 que Cheikha Tetma fera sa première apparition publique sur la place de la Mairie (kiosque à fanfare) au sein d'un orchestre non musulman (juif) à l'occasion d'une fête foraine. Un baptême de muse parrainé par Braham Ed-Derrai, un musicien de confession juive. C'est le déclic. Son étoile monta très haut au firmament car elle était dotée d'une voix ensorcelante et, plus encore, elle jouait parfaitement du luth, de la kouitra et du violon (alto). Alors que sa sœur Khadoudja animait les séances de «el-djem» (cérémonies mystiques) dans la zaouïa de Dar Moulay Tayeb à la rue Khaldoun, Cheikha Tetma enchantait quant à elle le site féerique d'El-Ourit, accompagnée invariablement de son fidèle orchestre dont faisait partie le regretté Djilali Zerrouki, virtuose du piano (instrument qui aurait été introduit pour la première fois dans un orchestre andalou par Cheikha Tetma ) dont la dextérité reflétait l'ombre parfaite et assidue de la voix tantôt frémissante et tantôt ondulante de la Diva, ainsi que le fameux percussionniste (drabki ) Mohammed Kaïd-Slimane dit Belkhalti. «Moi, je les (Tetma et Khadoudja) compare a deux étoiles qui ont brillé dans le ciel de Tlemcen», estime si Mostapha Krabchi, un fan de Cheikha Tetma. «La première dans la musique profane et la seconde (la sœur de Chikha Tetma) dans le chant sacré medh», ajoute-t-il. Chikha Tetma donnera libre cours à son génie et à son imagination créatrice dans l'interprétation d'un répertoire de chansons de son propre cru (et propre aux femmes) précédées d'un hawfi: «Esma' ya mahboubi - qalet Aïcha - Ach bini ou binek ya lalla
» Du hawfi , Chikha Tetma fit un passage très aisé au hawzi et interpréta ainsi les œuvres poétiques des célèbres maîtres El Mandassi, Bentriki (Ahmed Benzengli) Ben M'saïb, Bensahla ( Mohammed et Boumediene ). L'année 1918 verra l'enregistrement de ses premiers disques aux éditions «Pathé» dont « Al khbar dja min al gharb» (de cheikh el Djilali ), «Hanina» (chant populaire oriental «importé» de Syrie par Ghaouti Dib en 1911 et qui sera repris par Cheikh Larbi Ben Sari). 1919 marquera pour la fille de Béni Djemla le début d'un exil amer à Fès au Maroc, à la suite d'une cabale menée par les notables de la ville (les vieux turbans), qui lui vaudra une «interdiction de séjour» de 5 années puisque l'expatriée ne retournera à El-Ourit qu'en 1925, «plus forte que jamais, pour lancer un défi à ses détracteurs et braver les inquisiteurs».En 1938, elle interprétera en tandem avec Abdelkrim Dali la majestueuse chanson andalouse «Aziz el wissal». A partir des années quarante, elle était souvent sollicitée par les milieux algérois pour animer les fêtes familiales (circoncisons, fiançailles, mariages, etc.) et avait comme impresario sa consœur Meriem Fekkaï qui se chargeait des commandes et de la programmation des différentes soirées musicales. Cheikha Tetma était la coqueluche des chantres d'Alger. Et pour cause ! La Diva leur a fait découvrir le hawzi, un genre nouveau qui attirait beaucoup de monde.
Avant les années cinquante, elle faisait la navette entre Tlemcen et Alger accompagnée souvent de Abdelkrim Dali qui, lui, s'installa définitivement à «El Bahja» en 1946. Quant à Tetma, elle ne s'y établira qu'à partir de 1950 auprès de ses deux amies, Meriem Fekkaï et Tamani et ce, jusqu'en 1955. C'est en 1954 que prit fin sa carrière artistique. Un retrait solennel marqué par un ultime mais non moins sublime enregistrement aux éditions «Odéon», en l'occurrence une chanson à caractère mystique puisée dans le diwan de cheikh Lakhdar Benkhellouf, «Ch-hal eucht labed tendem» dont elle composera la mélodie. Lors de la présentation dans le studio, la percussion mizan serait «tombée» suite à un moment d'hésitation de Cheïkha Tetma dû à l'émotion (pleurs). Un incident technique plein de symbolisme qui lui aurait valu une audition auprès de la police politique coloniale.
Le riche répertoire que nous a légué Cheikha Tetma représente une bonne partie du patrimoine musical andalou avec tous ses genres «classiques» et dérivés (dont le hawzi, le hawfi, le gherbi, le medh) ainsi que plusieurs chansons et chansonnettes propres à la gent féminine tlemcénienne et qui ont été enregistrées sur disques 78 tours produits par les grandes maisons d'éditions de l'époque (Pathé 1917-1918, Polyphon 1928-1932, Odéon 1934 jusqu'à la fin de sa carrière). Si une riche discographie de la Cheikha est disponible (cassettes, cd's), cette «mémoire» artistique pèche en revanche par l'absence de documents» « (télé) visuels». Nonobstant une soirée musicale donnée exceptionnellement par Tetma accompagnée de Cheikh Bengherfi dit «Azizou» à l'hôtel « Transat » en 1958 qui fut filmée et dont l'enregistrement se trouverait dans un centre d'archives en France, selon M. Abdellatif M'rah, réalisateur d'un documentaire sur Cheikha Tetma (RTA 1986). Les vieux mélomanes, les inconditionnels de la Diva, fredonnant toujours certaines de ses chansons, comme «Nar hwakoum lahab» (feu ravageur ), «Ana el ghrib» (moi l'étranger ), «Limen nechki» (auprès de qui me plaindrais-je? ), «Imchi ya rasoul and el habib» ( va ô messager chez le bien-aimé), «Laqeytouha fi tawafi tes'a» (je l'ai rencontrée en promenade), «Lemmen nechki b-qorh djmar ghzali » (auprès de qui vais-je me plaindre de mes douleurs?), «A'lamen takoun hadi ezziyara » (pour qui cette visite?), «Malakni al hawa» (l'amour m'a conquis)
Outre ces qualités artistiques, Cheikha Tetma se distinguait par un sens de l'humour raffiné, « Boubou ya boubou, koul l-li na'amlou n-nass thoubou ». Cette réplique à Cheikh Abdelkrim Larbi Ben Sari, qui lui fit une remarque artistique, est un des exemples reflétant son caractère enjoué. A ce propos, une anecdote mérite d'être évoquée: au notaire qui lui posa cette question: «Etes-vous consciente de ce que vous faites?» (au sujet d'un héritage qu'elle légua à ses deux domestiques), Cheikha Tetma répondit: «Voulez-vous que je vous dise combien il y a de virages de Tlemcen à El-Ourit?», réaction consignée d'ailleurs dans l'acte de donation. Elle possédait également une très bonne mémoire et surtout le don de reconnaître «wled el bled - nass tilimsen «lorsqu'elle était en exil ou en déplacement. C'était une physionomiste hors pair.
Elle portait toujours une tenue traditionnelle avec un foulard- mendil-et sortait couverte d'un haïk blanc - 'ach'achi - qu'elle tenait d'une main. Elle avait une démarche à la fois modeste et majestueuse. Alitée durant moins de quinze jours à la suite d'une légère maladie et sans qu'elle n'en ait souffert, Cheikkha Tetma choisira une journée de printemps, le 22 avril 1962, pour rejoindre l'Eternel. La Reine de Tlemcen repose en paix au cimetière Sidi Snouci de 'Aïn Wazouta. Il convient de souligner qu'un hommage posthume fut rendu à Cheikha Tetma lors de la tenue du 16° congrès de l'Académie Arabe de Musique à Alger en avril 2001. C'est l'association Et-Tarab El Acil de Tlemcen, en collaboration avec l'Office de Tourisme de Tlemcen, qui commémora, le 22 avril 2004, le 42ème anniversaires de la mort de Cheikha Tetma. Alors que l'Office national de la communication et de l'information (ONCI) lui dédia, en avril 2010 à la salle El Mouggar, tout un programme artistique en collaboration avec l'association culturelle «Stars de la jeunesse» d'Alger
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Posté Le : 09/03/2011
Posté par : fakhri
Ecrit par : Allal Bekkaï
Source : Le Quotidien d'Oran