«... En me voyant, Tlemcen m’a ouvert les bras. J’enlevai le voile qui couvrait son visage et je palpitai de bonheur. Ses joues étaient rouges comme un charbon ardent. L’ennemi même en s’en séparant a dû verser des larmes amères. Tlemcen a eu des maîtres, mais elle ne leur a montré qu’indifférence. Elle baissait ses longs cils en détournant la tête. A moi, elle a souri et m’a rendu le plus heureux des rois !» L’émir Abdelkader
Pouvions-nous trouver plus éloquente et aussi séductrice révérence que cette belle ode littéraire du genre courtois si cher à la poésie arabe et aux zadjal et mouachahate andalous, composée dans le feu du champ de bataille par l’émir Abdelkader El Djazaïri, l’Algérien le plus célèbre dans le monde arabe et musulman, pour saluer l’intronisation et l’élévation de Tlemcen au rang si envié de capitale politico-symbolique de la culture islamique pour l’année 2011.
L’émir Abdelkader, le dernier roi de Tlemcen
L’émir Abdelkader, ce preux chevalier de la plume et de l’épée, écrivit ces vers libérant un souffle épique impétueux, au lendemain de son entrée victorieuse dans Tlemcen en 1836, après avoir infligé une cinglante et retentissante défaite aux troupes du général Clauzel, rejetées et enferrées hors des remparts de la ville. L’attachement quas-mystique du génial précurseur de l’Etat algérien moderne à la capitale impériale des Zianides, fondée par «Dadda»Yaghmoracen Ben Ziane à la fin du XIIe siècle, renvoie en réalité à l’épaisseur culturelle si particulière de cette vieille cité maghrébine, la seule en Algérie à avoir su cultiver avec plus ou moins de bonheur sur ses riches et nourriciers coteaux, l’unité de son destin islamique universel avec la diversité et la richesse de son substrat culturel berbère zénète local, bien de chez nous. Un sort rivé et scellé dès l’origine entre ses majestueuses et altières hautes terres et ses fières et protectrices montagnes qui surent à chaque moment de doute, convertir les humeurs et convulsions de l’histoire tumultueuse du lieu, en creusets fertiles et berceaux de multiples et heureux accouchements. En sachant materner ces miraculeux accomplissements de l’histoire, fécondés par les apports impétueux des autoroutes Estouest et Nord-Sud qui ont avant l’heure irrigué sans discontinuité son site, Tlemcen a pu ainsi devenir, jour après jour, l’un de ses plus prolifiques croisements.
Tlemcen, haute terre de résistance
Venant du plus célèbre résistant que l’Algérie ait eu à connaître, cette déclaration d’amour ne pouvait tout naturellement être que patriotique au premier chef. L’évocation par l’Emir du refus de Tlemcen d’abdiquer devant les nombreux maîtres passagers qui mirent pied à terre devant ses puissants remparts pour tenter de la séduire, est un signe de la vibrante et distinguée gratitude de l’intrépide chef militaire à l’homérique et millénaire résistance de toutes les cités qui se sont succédé sur le site géographique actuel de Tlemcen. D’Agadir, fondée par Abou Qora El Ifreni, à Tlemcen qui refusa de capituler devant le siège féroce imposé pendant de longues et dures années par les frères ennemis de l’Ouest (les Mérinides de Fès), en passant par Tagrart dont la première pierre a été posée par Youcef Ibn Tachefine, premier roi de la dynastie des Mourabitoune, la culture de résistance aux passagers d’un jour constitue incontestablement le legs le plus précieux que se sont transmis, pour toujours, les dynasties berbéro-musulmanes qui se succédèrent historiquement sur ce site stratégique gâté par une géographie d’exception. L’ingénieuse architecture sous forme de citadelle de contrôle des mouvements suspects de l’histoire du site originel d’Agadir (fortin en berbère) s’est certainement conjuguée avec bonheur au retranchement spirituel et mystique du ribat de Tagrart (noyau en berbère), pour forger la foi et l’élan initiaux nécessaires aux différents maîtres de Tlemcen pour modeler et façonner pour toujours une cité dont l’itinéraire légendaire à plus d’un titre a eu à balancer – parfois tangué – entre deux mondes, deux Etats, deux directions possibles….
Tlem-sin ou l’«entre-deux mondes» possible
Cet «entre-deux» géographique et historique n’a pourtant jamais fait perdre à notre cité le sens du vrai nord de sa boussole spirituelle, à savoir une propension irrépressible et inoxydable à produire un islam «tranquille» où la joie de vivre dans ce bas-monde s’est toujours harmonieusement conjuguée avec la douillette quête du salut de l’âme dans l’Autre. Pour Ibn Khaldoun, le premier atout dont s’est historiquement dotée la capitale des Zianides demeure incontestablement son positionnement géostratégique précoce par rapport aux routes vitales du nord et au sud. Son nom actuel qui apparut pour la première fois sous la plume du célèbre chroniqueur Tabari au Xe siècle, signifierait selon notre illustre historien : Tlem : réunit en arabe et sin : deux en berbère. Pour notre distingué historien, les deux parties que rassemblait à cette époque déjà Tlem-sin devenue par corruption sémantique Tlemcen, seraient au nord l’Andalousie et au sud «Bled Essoudan», c’est-à-dire l’Afrique actuelle. Sans commettre le sacrilège de contredire notre éminente personnalité scientifique universelle, nous soutiendrions modestement que Tlemcen a, depuis ces temps de l’accouchement originel, réussi le challenge d’assumer l’enrichissement et surtout le fécond brassage de la palette initiale de ses points cardinaux possibles, en l’élargissant à d’autres vocations dichotomiques a priori inconciliables : Agadir/Tagrart, est/ouest, berbérophones/ arabophones, urbain/rural, mer/terre, islam /judaïsme et surtout terre et... ciel. Aujourd’hui encore, notre capitale impériale continue invariablement de nous étonner en nous proposant des rendez-vous porteurs de promesses futures à géométrie et surtout à géographie variables, mais planétaires cette fois-ci ! La nouvelle rencontre historique que proposent ses murs si hospitaliers aujourd’hui et tout le long de cette année 2011 est d’abord et a priori celle d’une Algérie convalescente, impatiente de raboter les nombreuses aspérités et rudesses qui retardent indéfiniment son insertion dans le seul espace qui sied à sa dimension humaine, politique et culturelle de pays continent : l’universalité.
Tlemcen entre rois-poètes et princes de la poésie
Mais la pieuse prosternation de l’Emir devant le charme incomparable et singulier/pluriel de Tlemcen est aussi et avant tout un hommage culturel du plus bel envol lyrique. En utilisant le style de l’amour courtois si cher aux princes de la capitale du hawzi que furent les Ben M’saïb, Ben Sahla père et fils et autres Ben Triki, l’Emir, immense chevalier de la rime s’il en est, a voulu étaler sa fine connaissance de l’identité culturelle de la capitale des Zianides. La preuve : il dialogue à un siècle de distance avec le poète tlemcénien fétiche le plus connu de cette époque, Ben M’saïb, qui prophétisait dans une qassida que :
Les rois appréciaient et savouraient sa rencontre (Tlemcen) Honni sera celui d’entre eux dont elle dédaignera la main
Telle est la vraie raison de l’empressement de notre Emir national à s’autoproclamer roi pour mieux savourer l’abdication consentante de Tlemcen devant lui, son sauveur d’un jour. L’autre référence littéraire que semble avoir appréciée et convoquée le fin lettré Abdelkader est celle contenue dans ces vers du sultan poète Abou Hamou II, qui, se languissant à la fin du XIVe siècle de l’éloignement de Tlemcen au cours de l’une de ses nombreuses et longues campagnes militaires hors du Mechouar, jura fidélité éternelle à sa capitale symboliquement convertie pour les besoins de ses cogitations littéraires en une espèce de Pénélope maghrébine attendant patiemment son Ulysse :
Nul autre charme que le vôtre ne me distrait Et d’attachement à d’autres, point de seconde
Décidément, Tlemcen, altière, fière et raffinée aime les princes, particulièrement ceux d’entre eux comme l’Emir et Abou Hamou II qui savent cultiver la beauté des choses. C’est la raison qui l’amena à se précipiter, toute pudeur bue, dans les bras de l’Emir. Malheureusement, elle n’eut pas le temps en cette fin de XIXe siècle, si peu favorable aux célébrations et effusions autres que militaires, de convoler en justes et durables noces avec son prince charmant, que l’ennemi était déjà aux portes de Bab El Qarmadine. Pour se consoler, l’Emir dut, comme le font les poètes, les vrais, s’exiler pour son coup de foudre «oudri» d’un jour... pour la personnification symbolique de son premier amou : l’Algérie.
L’émir Abdelkader et Tlemcen : le rayonnement patriotique multiculturel d’un homme et d’une cité aux destins croisés
Le consentement de Tlemcen d’avoir pour dernier roi le chevalier de l’ordre des Hachémites n’est pourtant pas fortuit. De nombreux traits communs unissent effectivement le roi Abdelkader à la reine Tlemcen. Tlemcen avant l’Emir fut tour à tour berbère, sofrite, kharidjite, almoravide, almohade, zianide, grenadine, sévillane, mérinide, hafside, lieu de pèlerinage judaïque, puis plus tard ottomane, espagnole, marocaine, française avant de reconquérir de haute lutte son algérianité déniée et usurpée. L’émir Abdelkader El Djazaïri réussit le pari insensé à son époque marquée par l’effet rouleau compresseur de la tyrannie coloniale, d’être en même temps hachémite, bédouin, soufi, stratège militaire, cavalier émérite, puis successivement homme d’Etat, prisonnier célèbre, chevalier de la plume, fin diplomate et semble-t-il même, selon certains,… franc-maçon ! Le sultan Yaghmoracen Ben Zian, fondateur de la dynastie zianide, fraîchement citadinisé et toujours nostalgique de la khaïma de ses ancêtres zénètes berbères qui nomadisaient sur les hauts-plateaux du Sud-Ouest algérien, n’avait que mépris pour les obséquieuses et serviles recommandations faussement policées de ses courtisans qui l’exhortaient à sculpter pour la postérité son nom sur les minarets des nombreuses mosquées qu’il bâtit au cours de son long règne de plus de 50 ans. En bon croyant bien de chez nous, il répondait invariablement dans la seule langue qu’il connaissait, le berbère : «Issen Rabbi» (Dieu Lui le sait). L’Emir, converti tardivement aux délices de la vie citadine damascène, l’une des plus syncrétiques du monde, fera autant sinon mieux. Il saura garder jusqu’à la fin de ses jours intacte sa nostalgie pour la demeure «en poils», qu’il immortalisa par la plume, dans ce qui est considéré aujourd’hui encore dans la littérature arabe comme le plus beau joyau littéraire d’éloge de la vie bédouine. «Dadda Yaghmoracen», comme l’appelaient affectueusement ses sujets, avait, avant l’Emir, une garde chrétienne qui lui fut d’une fidélité à toute épreuve. L’Emir réussit quant à lui avec sa garde bien algérienne à sauver dans son spartiate exil syrien des chrétiens libanais pourchassés par les coreligionnaires turcs de l’Emir, paradoxalement ses implacables ennemis politiques. Tlemcen avant l’Emir et dès 1393 déjà, avait su ouvrir ses portes aux juifs andalous qui venaient de subir les rigueurs des lois inquisitoriales de leurs cousins chrétiens de Tolède. Ce statut spécial qu’avait réussi à obtenir la très vieille communauté juive de la ville, jusque-là confinée hors des remparts protecteurs de la cité zianide, l’avait été grâce aux compétences médicales avérées et autres dons miraculeux du Rabb Ephraïm Enkaoua, un brillant scientifique et philosophe juif qui réussit à guérir la fille du sultan zianide Abou Tachefine. Son tombeau à Tlemcen fut à l’origine de l’appellation juive séfarade de Tlemcen : «La Jérusalem du Maghreb».
Sidi El Haloui et Sidi Boumediene : aventures et accomplissements mystiques
Tlemcen, ce sont aussi des aventures humaines à rebondissements aussi incroyables que celle de Sidi El Haloui. De son vrai nom Abou Abdallah Ecchoudy, cet ancien cadi de Séville, arrivé à Tlemcen en 1266, décida de distribuer ses biens aux pauvres et d’abandonner subitement ses fonctions, pour devenir marchand de… bonbons et de friandises ! Tout simplement ! Repéré par le prince Abou Ziane Mohammed, il fut promu au rang de précepteur de ses enfants, avant d’être la malheureuse victime d’une cabale au terme de laquelle il fut décapité et sa tête jetée en pâture… aux chiens ! Après sa mort, le sultan le réhabilita et pendant l’occupation mérinide de la ville, un deuxième sultan, Abou Inane, vainqueur du premier, lui fit ériger sur son mausolée l’une des plus ravissantes mosquées de la ville, encore visible à ce jour ! Tlemcen l’almohade de la fin du XIIe siècle avait, comme nous venons de le rappeler, tous les attributs d’une capitale cosmopolite, industrieuse, tolérante. Il luit manquait le statut tant envié à l’époque de capitale mystique. Ce fut la ville jumelle et rivale de l’est, Bejaïa, fraîchement déchue par ces mêmes Almohades de son prestigieux statut de capitale Hammadite, qui lui offrit ce cadeau inespéré. Gracieusement et par un autre curieux hasard du destin ! En effet, c’est cette bonne fortune périodique de Tlemcen qui lui fit débarquer devant ses faubourgs par une nuit sans lune l’illustrissime saint des saints maghrébins, le Ghouth Sidi Boumediene en provenance de Béjaïa où il était enseignant, ville où, selon les historiens, il souhaitait finir ses jours. Mais les intrigues des courtisans du sultan almohade de Marrakech qui souffraient de voir la popularité au Maghreb de ce dernier monter en puissance, en décidèrent autrement et finirent par convaincre le sultan de le convoquer pour qu’il s’explique devant ce dernier sur ses théories mystiques ésotériques d’avant-garde. Ses amis, adeptes et élèves de Béjaïa, fort inquiets pour lui, tentèrent vainement de dissuader le maître de faire ce long et risqué voyage, alors qu’il était déjà fort vieux. Rien n’y fit. Avant son départ de sa ville de résidence, il les rassura : «Je ne verrai pas le sultan !» Il eut raison. Arrivé à hauteur du ribat d’El Eubad, fiévreux, il lâcha : «C’est là où je souhaiterais dormir, pour l’éternité.» Sage résolution du saint qui rencontra son destin aux portes de Tlemcen dont il devint ainsi le très respecté saint tutélaire. Les courtisans du sultan de Marrakech auraient pu lui réserver le triste sort que la cour abdelouadide réserva plus tard à Sidi El Haloui. C’est ce que «rattrapèrent» à titre posthume huit siècles plus tard, au milieu des années 1990, des criminels illuminés d’un autre âge, en mettant le feu à son magnifique mausolée, de l’avis de tous les spécialistes, le plus beau du Maghreb.
Les atours intacts de la Perle du Maghreb et de Grenade africaine
En ce début de deuxième décennie du troisième millénaire qui voit le cœur du monde qui a vu naître l’Islam s’embraser pour les valeurs de libération humaines dont il a été porteur à ses origines avant d’être instrumentalisé à des fins despotiques par les derniers proconsuls et autres pharaons qui ont recolonisé leurs peuples, des villes comme Tlemcen que le destin a placées aux rares carrefours humainement féconds de la vraie géographie et de la saine histoire, peuvent être une chance pour la ville, l’Algérie, l’Islam et pourquoi pas l’Humanité dont l’islam reste plus que jamais une composante essentielle. Avec près de 70% du patrimoine du matériel islamique d’Algérie, Tlemcen n’a pas ou plus de concurrent de taille devant lequel elle culpabiliserait d’exhiber sa couronne de capitale. Béjaïa, l’unique cité qui pouvait soutenir la comparaison au plan de son épaisseur multiculturelle, a vu son patrimoine architectural matériel islamique entièrement dévasté par les soldats marins de Pedro de Navarro en 1510, date de l’occupation de la ville par les Espagnols. Tobna, Tihert, Achir… sont depuis longtemps carrément rayées de la carte. Constantine et Alger sont trop marquées par leurs empreintes ottomanes. Que reste-t- il ? Surtout pas les non-villes sans âme d’aujourd’hui ! Ailleurs, dans le monde musulman, seules Fès et Marrakech peuvent rivaliser d’interculturalité avec Tlemcen. Mais elles ont le regard trop tourné vers le Nord. Marrakech continue d’amuser son monde avec les charmeurs de serpents de Sahat El Fna et fait son cinéma en offrant des riads andalous rénovés aux décadentes célébrités occidentales, qui peuplent de leurs ombres culturellement nocives les nuits passées entre éphèbes et courtisanes de ses rouges palmeraies. Fès El Bali, classée patrimoine de l’humanité, jalouse déjà Marrakech et lui emboîte le pas sur les voies sans gloire durable d’un passé sans avenir. Dans le monde, Baghdad est pour le moment encore sous occupation américaine. Le Caire ploie sous le poids des surcharges démographiques de ses quartiers et rêve de redevenir la capitale de nouveau d’«Oum Eddounia» avec les récents accouchements si féconds de «Maydan Ettahrir». Beyrouth continue, quant à elle, de faire régulièrement le compte de ses seules réalisations prolifiques : les gouvernements faits et défaits et les établissements de nuit pour monarques du Golfe en mal de sommeil.
Les noces maléfiques ratées de Tlemcen avec un Seif El Islam devenu «Seif el Idjram»
Quand la ministre de la Culture Khalida Toumi procéda le 27 septembre 2009 au lancement des préparatifs de «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011», elle était loin de s’imaginer que l’ombre furtive maléfique d’un visiteur de marque l’avait précédée six mois plus tôt dans la capitale des Zianides. Il s’agit ni plus ni moins que du rejeton du dictateur sanguinaire libyen Mouammar Kadhafi, connu aujourd’hui de toute la planète : Seif El Islam. Accueilli comme un chef d’Etat par Belkhadem en personne représentant personnel du président de la République, la raison de son séjour à Tlemcen fut frappée du secret d’Etat le plus opaque. A la fin du mois de janvier 2010, revoilà Seif El Islam ! Même déploiement fébrile de la nation et de ses représentants au bas du tapis rouge déployé. Cette fois, c’est le deuxième personnage de la nation, Bensalah himself qui attend patiemment pendant plus de dix heures pour voir déboucher le jet privé en provenance de Genève de l’enfant gâté venu «se payer» officiellement une partie de chasse au mouflon dans la réserve cynégétique du Moutas, près de la capitale zianide. Officieusement, par contre, l’inquiétude s’installe. Que vient faire ce personnage froid, hautain dans la chaude et si hospitalière Tlemcen. Des fuites organisées parlent de projets des mille et une nuits en raison de l’attirance de plus en plus forte qu’exerce Tlemcen sur ce personnage ténébreux mais immensément riche. La vox populi rectifie, sarcastique : le seul projet est celui d’un mariage avec une belle Tlemcénienne. Le gardien millénaire des secrets des lieux, proche de Dieu, le Ghout Sidi Boumediene, rentre en transe. Il évente le complot et déjoue le projet diabolique de «Seif el Idjram». Il s’agit tout simplement du crime de lèse-majesté le plus abject à l’endroit des valeurs patriotiques algériennes les plus sacrées jamais envisagé : l’assassinat par «seif» de l’émir Abdelkader El Djazaïri, le dernier roi de Tlemcen, par un faux prince libyen contemporain, introduit par effraction républicaine dans la chambre nuptiale de la cité zianide. Pour conjurer le mauvais sort, le Ghout recourt aux grands moyens en déclamant et répétant à tue-tête la terrible prophétie du poète Ben Msaïb :
Les rois appréciaient et savouraient sa rencontre (Tlemcen) Honni sera celui d’entre eux dont elle dédaignera la main
C’est ainsi que Tlemcen, terre éternelle d’Islam, refusa les avances alléchantes d’un sanguinaire à la virilité douteuse. Moins d’une année plus tard, aujourd’hui, la malédiction reçue de Sidi Boumediene se réalise pleinement : même le Seïf n’opère plus, il a été dénudé devant les caméras de la planète et son impuissance exhibée aux yeux du monde entier.
La malédiction de Sidi Boumediene
Mais la malédiction de Sidi Boumediene n’a pas touché que Seif El Islam Kadhafi. Elle a frappé le cœur même de l’organisation de la manifestation «Temcen 2011, capitale de la culture islamique». C’est ainsi que le jour de l’inauguration officielle de la phase nationale (sic) du programme international de cette dernière, jour de Mawlid Nabaoui pourtant, le ministre des Affaires religieuses a été sommé par Sidi Boumediene de prendre le chemin inverse de celui qu’il eut à emprunter il y a plus de huit siècles en lui faisant programmer les festivités nationales du Mouloud à Béjaïa. Bouabdellah Ghoulamallah secrètement «briefé» par le maître soufi a consenti, lui qui ne cesse de dénoncer le prosélytisme chrétien en Kabylie, à aller y écouter religieusement le cœur des Khouans de la confrérie Alaouia perchée sur les hautes terres de la Soummam, plutôt que d’avoir à supporter l’irruption sur la scène du Palais de la culture Abdelkader-Alloula de sa collègue au gouvernement Khalida Toumi chanter avec cœur «Zad Ennabi oua frahna bih» du regretté Abderahmane Aziz. Le wali de Tlemcen, fan invétéré jusqu’à la manière de croiser le burnous, d’un autre Boumediene nommé Houari, fut déclaré aux abonnés absents à une cérémonie devenue ridiculement nationale faute d’être internationale en raison des retards de livraison des infrastructures de la manifestation, dont il est censé être, selon la loi, le scrupuleux et attitré comptable devant la nation, l’Etat et… les Tlemcéniens. Des installations dont le coût réel a refusé d’être livré par la ministre, qui s’est contentée devant la presse d’une litote statistique en trompe-l’œil sur les coûts réels : moins de 0,76 du budget général du gouvernement ! Quel budget ? Nous n’en saurons rien. Pour la transparence, celui du fonctionnement de 2011 aligne des zéros et des chiffres à étourdir ceux d’entre vous qui seraient tentés de prendre leur calculette : 343 430 663 400 000 centimes ! Face à ce spectacle d’un autre âge, la demi-douzaine de ministres originaires de Tlemcen n’en finissent pas de déguster les croustillantes anecdotes sur les déboires de leur collègue de la culture un jour de naissance du Prophète de l’Islam en terre tlemcénienne. Dans la presse chiffonnière arabophone, la première activité scientifique sérieuse programmée en cette fin février, un colloque sur l’histoire millénaire de Tlemcen, est déjà pointée du doigt accusateur comme un hommage aux seuls juifs de la ville. De toutes les autres conférences programmées, on ne soufflera pas mot !
Une histoire de bronze et de boîte de vitesses
Pitié Ben Msaïb, tu demeures encore et pour longtemps notre unique repère et recours sur ces hautes terres tlemcéniennes si vertigineuses, aujourd’hui ! Tu avais bien raison ! A la fin du XVIIIe siècle déjà, tu dépeignais ainsi ta chère ville livrée au diktat des prédateurs ottomans de tous bords :
Aujourd’hui Tlemcen est livrée à elle-même
Ni main franche, ni pied valide, ni wali
Reniée, elle l’est par ses hommes de haute vertu
Même l’inauguration prochaine de la phase internationale de la manifestation «Tlemcen 2011, capitale de la culture islamique» ne pourra nullement atténuer les rigueurs de la malédiction de Sidi Boumediene sur tous les visiteurs de la ville en cette année de printemps des peuples. Elle se déroulera encore une fois selon les usages protocolaires bien de chez nous, si magistralement décrits et déclinés dans le roman posthume qui vient de paraître aux éditions Arak par le regretté Mohamed Dorban, ce brillant journaliste, caricaturiste et chroniqueur au Soir d’Algérie qui a péri dans l’attentat à la voiture piégée contre la Maison de la presse en 1996 : «Ils se rabattirent sur de la vulgaire huile de moteur usagée si bien que quand sonna l’heure des cérémonies, l’antique héros, sous les oriflammes aux couleurs du pays, brillait de tous ses reliefs et exhalait une épouvantable odeur d’huile de vidange devant laquelle le thym et le romarin battaient en retraite et c’est ainsi que la délégation partit sans savoir si elle avait inauguré une statue de bronze ou une boîte de vitesses.»
M. K.
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Posté Le : 27/02/2011
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Par M’hand Kasmi
Source : www.lesoirdalgerie.com