Algérie

Tizi Ouzou Les fontaines publiques s’assèchent



Tizi Ouzou Les fontaines publiques s’assèchent
Publié le 07.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Il n’y a qu’à voir les quantités d’eau utilisée dans nos sanitaires et nos douches pour comprendre que les fontaines ne peuvent pas répondre à ce besoin des temps modernes.
L'eau coule de moins en moins dans les fontaines.
Elles résistent difficilement aux changements climatiques de ces dernières années. Ces fontaines qui embellissent et qui rafraîchissent les lieux où elles se trouvent tarissent les unes après les autres. C'est un spectacle mortifère qui s'offre sur les routes avec des traces de fontaines sans eau. Pourtant, il n'y a pas plus d'une décennie, ces fontaines jaillissant sur les abords des routes offraient un spectacle réjouissant aux automobilistes qui s'arrêtent souvent pour se laver les mains ou le visage, pour se rafraîchir et se soulager de la fatigue du voyage. Aujourd'hui, de ces fontaines, il ne reste que les squelettes en pierre.
Elles représentent un élément important de la vie villageoise dans le temps. Pratiquement, tous les villages possédaient une fontaine, de préférence à l'intérieur de la cité. C'était un lieu exclusivement réservé aux femmes. Les cruches d'eau étaient en effet un élément féminin par excellence. De vieilles femmes s'en souviennent encore. «Le monde a changé mon fils. Aujourd'hui, nous avons l'eau du robinet, mais nous avons perdu les fontaines. À vrai dire, la fontaine de notre village est toujours là-bas. Par contre, on ne voit que rarement une femme avec un bidon de 20 litres. Toute jeune, moi, j'utilisais la cruche», raconte Nna Yamina, une vieille femme dont l'âge dépasse 90 ans mais qui garde, limpides comme l'eau de la fontaine, ses souvenirs.
À Mizrana, le village Mayach a encore sa fontaine. Elle ne semble pas avoir été impactée par le réchauffement climatique. Bien mieux encore, les villageois ont décidé depuis plus de deux décennies, de partager cette eau rafraîchissante avec les passagers de la route qui traverse leur village. Elle relie le littoral au chef-lieu de wilaya. «Nous avons divisé le débit en deux via des canalisations anciennes datant de l'ère coloniale. Une partie sert aux femmes du village et l'autre, nous l'avons sortie aux abords de la route, pour permettre aux automobilistes de s'arrêter et remplir quelques bidons. Mais en tant que sénior, je vous assure que le débit a diminué de moitié par rapport à mes souvenirs d'enfant. L'eau n'est plus aussi abondante que jadis à cause du manque d'eau en hiver», explique un vieux du village.
En effet, ces dernières années, la rareté des pluies en hiver et la sécheresse qui marque la majeure partie de l'année font un carnage dans les fontaines et les sources. Les dégâts apparaissent d'autant plus clairement sur les routes de la wilaya de Tizi Ouzou. La majeure partie des fontaines existant aux abords des routes ont pratiquement toutes tari. «Dommage, il n'y a pas longtemps, je ne manquais jamais de m'arrêter ici quelques instants. Je me lavais les mains, le visage. Je rencontrais beaucoup de gens ici. On discutait un peu de tout et de rien. Comme vous le constatez, l'ossature est restée mais la source a tari. Je m'arrête juste par nostalgie», affirme une personne venant d'Alger vers le littoral. Nous l'avons rencontré près d'une fontaine située sur la route reliant Tizi Ouzou ville à Tigzirt. Presque toutes les fontaines qui embellissaient les routes n'existent plus à présent à quelques rares exceptions. «Cela donnait une beauté exceptionnelle à Tizi Ouzou. Les routes regorgeaient de fontaines. Elles étaient très bien construites et très joliment décorées à la pierre taillée», se souvient une autre personne. Notre interlocuteur, un émigré en retraite, n'hésitait pas à comparer Tizi Ouzou aux plus beaux endroits du continent européen. «On ne voyait cela que dans les campagnes de France ou d'Italie. Les fontaines faisaient d'ailleurs que beaucoup d'étrangers venant en Algérie aiment venir pour une balade à Tizi Ouzou, sur le littoral ou encore sur les montagnes du Djurdjura. Aujourd'hui, je vois que le monde ancien a disparu laissant place à un monde plein de laideur», regrette-t-il.
Pourtant, les pouvoirs publics n'ont pas cessé d'oeuvrer à la préservation de ces fontaines. Des projets de réfection et de réhabilitation ont d'ailleurs été lancés en 2023. Ils concernaient quelque 370 sources situées à travers plusieurs communes. «Dans notre village, la fontaine a été réhabilitée plusieurs fois, mais le débit ne fait que baisser d'année en année à cause de la rareté des pluies. Jadis, il tombait de la neige durant tout l'hiver, voire même depuis l'automne et cela se prolongeait jusqu' à la moitié du printemps. Aujourd'hui, la neige tombe une fois en hiver et pas tous les ans», explique notre interlocuteur, habitant la région de Djemaâ N' Saharidj. La région est connue pour ses fontaines abondantes mais dont un grand nombre ont tari.
Enfin, il faut savoir que les villageois tentent tant bien que mal de préserver ce patrimoine qui reste toujours très utile. «Il est vrai que le mode de vie actuel demande beaucoup d'eau mais les fontaines restent toujours un réel secours lorsque les robinets sont à sec. Il n'y a qu'à voir les quantités d'eau utilisée dans nos sanitaires et nos douches pour comprendre que les fontaines ne peuvent pas répondre à ce besoin des temps modernes. Mais il faut tout de même les préserver parce qu' «il ne faut jamais dire: «Fontaine, je ne boirai pas de ton eau», affirme un brave homme qui a réhabilité toutes les fontaines de son village par ses propres moyens mais qui a préféré garder l'anonymat.

Kamel BOUDJADI



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)