Algérie

Tirs croisés, un psychodrame et des questions



Tirs croisés, un psychodrame et des questions
Des scénarios rocambolesques ont été colportés sur les conditions dans lesquelles le président Chadli Bendjedid avait démissionné le 11 janvier 1992, au lendemain de la victoire écrasante des islamistes du FIS aux premières élections législatives pluralistes de l'Algérie indépendante. Il est certain que ça grondait dans l'armée devant l'attentisme d'un Président qui s'était dit prêt à «la cohabitation». La vérité, c'est qu'il n'y eut pas de pronunciamiento et personne ne lui avait mis le couteau sous la gorge, mais la fébrilité anxieuse qui s'était emparée du pays et de ses institutions était à ce point paroxystique que le bon sens paysan avait fini par prendre le dessus chez l'homme. Il avait, seul, tiré les enseignements de l'expérience et des bouleversements dont elle était annonciatrice. Il préféra s'auto-sanctionner en remettant le tablier plutôt que s'essayer à un improbable exercice de replâtrage. Le reste n'était que littérature hollywoodienne. Ni le général Nezzar ni son collègue Lamari ne firent irruption dans son bureau, colt dégainé, pour le forcer à abandonner le pouvoir.Cela dit, il est certain que la hiérarchie militaire, se faisant du reste l'écho de millions d'Algériens tétanisés par la perspective d'un pouvoir islamiste, avait fait passer son message au chef de l'Etat de l'époque. En lisant et relisant soigneusement l'interview du général à la retraite Benhadid, parue hier dans deux quotidiens, l'on est frappé par la similitude qu'on peut déceler entre les petites et grandes «atmosphères politiques» qui prévalaient, à vingt-deux ans d'intervalle, en Algérie. D'abord, l'entrée en matière du général Benhadid, ne laisse planer aucun doute sur sa qualité d'intervenant : «D'abord, je tiens à préciser que mes frères d'armes m'ont demandé de parler parce que l'on ne peut pas laisser durer une telle situation.» La digue a cédé. En termes plus clairs, s'il n'est pas le ou l'un des porte-parole de l'armée algérienne, il parle au moins au nom d'un courant de cette institution, à considérer qu'un «frère d'armes», au sens large, n'est pas seulement celui avec qui on a fait le coup de feu ou la guerre.Il est connu qu'en Algérie, beaucoup de généraux et officiers supérieurs à la retraite ne coupent pas totalement les liens avec la «Maison mère», continuant à entretenir des relations avec leurs collègues encore en activité. Corroboratif de cette interprétation, le conseil donné au président sortant, M. Abdelaziz Bouteflika, en réponse à la question sur «la solution à ces tensions» : «Voilà ce que je demande au président Bouteflika : il est venu avec le slogan ?'îzza et karama'' (la dignité), alors qu'il se retire avec ?'îzza et karama'', dignement, et laisse l'Algérie reprendre son souffle. Je ne lui demande pas de quitter, mais juste de se retirer dignement. Qu'il sorte par la grande porte. Car cinq ans de plus avec lui seraient un danger pour le pays.» Au passage, l'ancien commandant de la 8e division blindée, parti en retraite en 1996 à un âge (52 ans) où on devient jeune général, a des mots très durs contre la salve de l'innommable du FLN contre le général Toufik et le DRS, les assimilant à un «acte de trahison», englobant dans son accusation «la cour de Bouteflika (...) ce clan [qui] joue avec le destin de l'Algérie». Le général Benhadid pense, par ailleurs, que «Bouteflika est otage de son entourage». La digue de la peur et du silence détruite par Mohamed Charfi, ancien garde des Sceaux, ne fait plus seulement délier les langues. Quand des personnalités comme Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdenour, le général à la retraite Benyellès, connues pour leur opposition à un pouvoir des militaires et à un rôle politique des services de renseignement fustigent, elles aussi, le secrétaire général du parti du FLN pour sa philippique inspirée contre le DRS, il faut croire que le couvercle soulevé de la marmite va laisser s'en échapper tous les effluves. Le président Bouteflika lui-même semble en avoir pris conscience avec son rappel à l'ordre de mardi : «Nul n'est en droit, quelles que soient ses responsabilités, de s'en prendre à l'Armée nationale populaire ni aux autres institutions constitutionnelles.» Certains y verront un désaveu de l'homme par qui «le scandale est arrivé». Ce ne serait le cas que si l'actuel secrétaire général du parti du FLN est débarqué de ses fonctions par le président d'honneur, en l'occurrence Bouteflika lui-même, d'une formation politique qui fait le forcing pour un quatrième mandat. Car, il est patent que le «trublion» du FLN n'ouvre le feu que sur instructions qui lui viennent de quelque part. Mais n'est-il pas déjà un peu tard ' Epargnée jusque-là par les luttes au sommet, l'armée n'en est pas moins composée d'hommes et de femmes avec chacun leur sensibilité politique et il n'est pas certain que les attaques lancées à l'emporte-pièce contre l'une de ses composantes essentielles les confinent plus longtemps dans l'indifférence. À deux mois de l'élection présidentielle, le tableau brille par son manque de...clarté. Des services de renseignement et leur patron au centre d'une controverse jamais connue, un Président sortant qui refuse de dévoiler ses intentions (candidat ou non) et dont l'état de santé est l'objet des rumeurs les plus contradictoires, des personnalités qui montent au créneau pour dénoncer une situation de vacance et des velléités de «forçage» pour pérenniser un système et un type de gouvernance...tous les éléments d'un double psychodrame, celui d'un homme, qui doit certainement vivre un réel drame intérieur, et celui d'un pays déboussolé et en proie à l'inquiétude.A. S.




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