Algérie

Timezouagh, le paradis perdu


Timezouagh, le paradis perdu
Qualifié d'impénétrable par les forces armées coloniales, le village de Timezouagh, relevant de la commune de Batna, fidèle à sa réputation, semble l'être toujours mais pour bien d'autres raisons.Une soixantaine d'années ont passé, et ce n'est plus l'armée coloniale qui est empêchée d'accéder à cette localité, mais bel et bien les propriétaires des terres, qui ont beaucoup de mal à repeupler le village de leurs aïeuls. En fait, l'armée française n'est jamais arrivée à les déloger mais c'est bien le terrorisme qui est parvenu à entamer leur volonté et qui les a chassés. C'est dans ces jardins d'Eden que la terreur a frappé. La décennie noire, pour Ali, cadre à la direction des moudjahidine, est source d'affolement et de crainte. La blessure est encore vivace. Le village a connu, en effet, à la fin de l'année 1995, un sanglant massacre. Pas moins de 11 personnes ont été sauvagement exécutées. «Ces 11 personnes étaient des femmes, des enfants et des vieux, qui n'ont même pas pu résister à leurs agresseurs. Ils étaient innocents. Ils n'avaient rien fait», se souvient encore Ali, la voix tremblotante.Ces évènements ont été à l'origine de la complète désertion du village. Aujourd'hui, ce sont les sentes qui y mènent qui sont les premières contraintes qui empêchent les propriétaires d'y accéder. C'est par le chemin de wilaya n°161, à la sortie nord-ouest de la ville de Batna, que commence le périple. L'état de dégradation avancé de la route annonce la couleur. A peine quelques kilomètres parcourus qu'une carrière désaffectée, datant de l'ère coloniale, plantée au milieu de deux montagnes, nous fait face. Elle se souvient encore du temps où elle était témoin des allées et venues des habitants. La belle époque, regretteront quelques-uns. L'escalade nous réserve une agréable surprise : le cèdre de l'Atlas. Lui aussi est dans «un état de dégradation avancé». Il dépérit. Les conditions climatiques changeantes, nous a-t-on dit, ne lui sont plus favorables. Encore un symbole des Aurès qui s'éteint lentement dans le silence : un signe d'époque.Des étendues de verdureAu fur et à mesure de notre avancée, une petite bifurcation nous indique la voie. Discrète, sans aucun panneau indicatif et sans revêtement, elle pénètre la montagne. Une quinzaine de kilomètres nous sépare encore du village. Le chemin, sans surprise aucune, est sinueux, retapé mais encore détérioré. «Les travaux engagés par les autorités n'ont servi à rien», diront quelques habitants du village. La progression est certes lente avec un véhicule touristique, mais le cadre naturel est un formidable lot de consolation. Tout en serpentant vers les hauteurs, le chemin offre une vision des plus mémorables. Le cèdre nous accompagne tout au long du parcours, et les plaines verdoyantes, aux faux airs de terrains de golf, pullulent en contrebas.La première montagne franchie, une vallée, aux couleurs presque irréelles, fait soudain son apparition. Une petite ferme se dresse au loin. Elle annonce l'arrivée. Nous y sommes et toujours aucune indication signalétique. Il semblerait que ce village n'existe que dans les mémoires ! Ali Djbara, lui, se souvient de tout. C'est l'un des doyens du village. Le visage radieux, exprimant le bonheur de voir des étrangers passer par là, il nous accueille avec le sourire. On le surprend en pleine besogne. Lui, deux de ses enfants et deux maçons s'acharnaient à rebâtir un hangar qui servira d'abri pour les bêtes, nous explique-t-il. La charpente est en béton, mais le reste en pierre de taille, par souci d'esthétique. Il s'improvise guide et nous fait visiter, à bord de son véhicule utilitaire, les étendues de verdure.Comme surgie de nulle part, au loin, une horde de chevaux sauvages en plein galop attire notre attention. Ils sont deux, puis trois, puis six. Un spectacle presque surréaliste. « Ils étaient plus de 80 chevaux à parcourir nos plaines. Ils ne sont plus que 8 au total. La chasse sauvage et les mines datant de la décennie noire ont pris le soin de les massacrer », raconte, non sans émotion, notre interlocuteur. L'eau manque cruellementAu milieu de l'herbe grasse ce sont des dizaines de vaches qui paissent paisiblement. Elles appartiennent à l'un des habitants du village. «Je les laisse évoluer à l'état sauvage», nous a-t-il précisé. Bien qu'une trentaine de famille tentent de se rétablir à Timezouagh, cela reste très difficile par manque des commodités de première nécessité. L'eau n?y est pas disponible. Malgré plusieurs tentatives de forage individuel, elle manque cruellement aux habitants. Ali, lui, a construit deux bassins, loin l'un de l'autre de plusieurs centaines de mètres. Ils sont alimentés par le même conduit qui puise l'eau dans une source à très faible débit. L'installation lui a coûté une assez forte somme d'argent. «Pour alimenter le village avec une quantité suffisante d'eau, il faudrait que les services des Forêts nous creusent au moins deux forages», a-t-il expliqué.La fourniture en électricité, quant à elle, n'est plus assurée depuis fort longtemps. Les vols de câbles électriques ont totalement dénudé les poteaux de leurs ornements. Il ne reste que des piliers métalliques plantés là, sans aucune utilité hormis celle de servir de nids pour les cigognes. «La commune de Seriana n'est qu'à quelques kilomètres de nous. On pourra facilement nous fournir en électricité. Toute l'installation est là, sauf les câbles», a déploré notre guide. Le problème de sécurité est aussi récurrent. Après l'armée française et les groupuscules de terroristes sanguinaires, ce sont les voyous qui frappent aujourd'hui cette localité. Des vols de portes, de fenêtres enfin de tout ce qui peut être revendu. «L'armée a étendu sa zone de surveillance. Plusieurs postes avancés ont été installés dans la région.Si elle installe un poste avancé près de notre village, les voleurs seront dissuadés», a-t-il espéré, en ajoutant : «Il y a déjà trois postes de surveillance qui nous entourent, mais trop loin pour servir contre ces voyous.» En outre, les terres agricoles sont devenues inexploitables suite à ces années d'abandon. La direction des Forêts a enregistré pas moins de 36 ha à labourer, mais, selon Ali, elle ne s'est chargée que de 14 ha ; le reste est encore en friche. Il y a là un village, dans les montagnes des Aurès, de résistants. L'histoire l'a déjà vérifié. Ils ont résisté au colon, survécu au terrorisme, mais très bientôt la négligence de leurs compatriotes et responsables aura raison d'eux. Ils ont vécu bien des horreurs, mais l'indifférence n'est-elle pas pire '


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