Qui à Tiaret a pu résister un jour de sa vie à «s’engouffrer» à l’intérieur du café maure de «Ammi El-Ayeb», en plein coeur du vieux quartier populaire de «Erras Essoug», dans la partie septentrionale de la capitale du Sersou.
En effet, ce que les Tiaretis de souche appellent «kahouet El-Ayeb» fait partie des lieux publics représentant le plus l’âme authentique de l’antique Tihert, depuis les années vingt à nos jours. Endroit chargé d’histoire (s) et espace convivial et chaleureux au passé séculaire, le café maure de «Ammi El-Ayeb» marque par la place qu’il tient dans la sociologie des Tiaretis l’histoire de la médina, au plan de son rôle naturel de lieu d’échanges et de rencontres. En activité depuis des décennies, le café maure de «Ammi El-Ayeb», quoique copieusement «enfumé», est le seul ou presque sur la place de Tiaret à avoir gardé son cachet authentique au point où il suffit de s’y attabler pour se replonger dans l’ambiance «zen» et généreuse des années suivant l’indépendance du pays.
Situé en plein coeur de l’un des quartiers parmi les plus anciens de Tiaret, le café maure, encore et toujours fréquenté par des gens tout ce qu’il y a de plus simple, a servi dans le passé à plusieurs genres de négoce et autres activités commerciales avant de renouer avec sa vocation originelle, celle d’un lieu où la mode «bon chic, bon genre» rechigne à y pénétrer et «c’est tant mieux», nous susurre à l’oreille, sur un ton on ne peut plus péremptoire, un habitué du café où l’on prépare du café et du thé d’un goût si succulent que d’aucuns sont prêts à débourser une fortune rien que pour «éventer» la recette longtemps gardée secrète par le maître de céans.
A un jet de pierre, se situe un autre café maure non moins célèbre, appelé «kahouet Yahia» puisque les plus vieux de tout Tiaret gardent encore un souvenir impérissable de ce lieu fréquenté dans les années quarante par des monstres sacrés de la chanson bédouine, à l’image de l’inénarrable cheikh Bouras, l’irremplaçable cheikh Hamada, cheikh Adda Ettiareti ou encore le rossignol brun du Dahra, le vénérable cheikh Djillali Aïn Tadlès. Ami Saïd, pas loin de célébrer son centenaire, conserve un souvenir intact de ce café prestigieux fréquenté par d’illustres personnalités au début des sextines, «à l’époque où les fameux tourne-disques bardés de haut-parleurs géants et autres TSF, exposés jusque sur la voie publique, crachaient des voix si mélodieuses que tout le monde se mettait à se déhancher dans la rue; l’on se croirait quelque part dans cette capitale que l’on dit être la mère génitrice du monde» (NDLR: Le Caire), soupire Ami Saïd qui jure par tous les dieux que «Tiaret, la vraie, celle du corps à corps, Tiaret, c’est de l’or, il y a longtemps que c’en est fini...!».
Ami Larbi tient par son père, aujourd’hui disparu, ce souvenir inoubliable du père du nationalisme algérien, Messali El-Hadj, le jour mémorable où il prononça un discours à l’intérieur de ce café pour raviver l’ardeur nationaliste chez le nombreux public présent ce jour-là. D’une propreté des lieux jamais prise à défaut (ce serait un sacrilège pour d’aucuns), des habitués viennent parfois de très loin juste pour le plaisir de se retremper dans l’ambiance du café maure où l’on peut déguster un café parmi les plus «remontants» de toute la ville. Son thé est aussi d’un goût «unique dans son genre», comme dirait l’autre, tellement son «proprio» met un point d’honneur à le préparer avec un rituel tel que vous prendrez bien du plaisir rien qu’à le regarder dans «ses oeuvres». Situé lui aussi au beau milieu du quartier populaire de «Erras Soug», «kahouet Yahia» était aussi un lieu de rendez-vous et de contacts pour les moudjahidine du temps de la longue nuit coloniale.
A quelques dizaines de mètres de là, se situe «kahouet Keskoussa», en contrebas de la dépréciée rue «Bugeaud», un lieu lui aussi chargé de souvenirs impérissables pour plusieurs générations de Tiaretis, même si ce café maure a un peu perdu de sa superbe en raison d’un «coup de vernis» que d’aucuns trouvent pour le moins malvenu et attentatoire à l’identité même de cet «estaminet» pas comme les autres.
Tout aussi célèbre dans la vie des Tiaretis, le four banal du non moins réputé boulevard «Emir Aek», un lieu aussi vieux que le temps dans la ville de Djelloul Ould Hammou. Situé au sous-sol d’une vieille bâtisse, le four banal est ouvert sans discontinuer à ses clients depuis 1946. Aujourd’hui, il ne survit que grâce à sa célèbre fougasse, un pain maison cuit à même la terre, d’un goût parfait et inégalé et que les habitants de la ville s’arrachent comme... des petits pains. Sa spécialité, sans pareille dans toute l’Oranie, dit la légende, tient aussi de la manière propre à son «proprio», Djelloul Med, de cuire le méchoui et le goût succulent qui s’en dégage. Première boulangerie arabe dans tout Tiaret, le four banal, dont les dédales souterrains servaient à l’époque de retraite stratégique pour les moudjahiddine et, malgré ses clients fidèles qui continuent à le faire vivre, sombre aujourd’hui dans un «oubli»... presque banal, soupire la mine chagrine, Med, le chef boulanger, qui n’oublia tout de même pas de gratifier nos papilles gustatives avec une fougasse fumante et croustillante assortie d’un saha f’tourkoum tout droit sorti du cœur !...
Posté Le : 22/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : El-Houari Dilmi
Source : www.quotidien-oran.com