En ce mardi premier jour de ramadhan, la
chaleur étouffante écrase littéralement la ville. De 28 degrés vers dix heures,
le mercure s'affole pour passer la barre «fatidique» des 41 degrés Celsius à
midi. Tout autour de la «place Rouge», c'est le vide partout. Seules quelques
silhouettes avachies, des tempes grises pour la plupart, glissent d'ombre en
ombre en attendant de terminer leurs emplettes et rentrer se réfugier chez eux.
A l'intérieur du marché couvert du centre-ville,
véritable baromètre des prix des fruits et légumes, il y a le feu sur les
étalages : si monsieur poulet nargue la ménagère de haut de ses trois cents
dinars le kilogramme, les viandes rouges sont carrément hors de prix pour les
bourses modestes. «Un bon quartier d'agneau peut vous coûter la peau du crâne, avec
jusqu'à 1.200 dinars selon la qualité», nous prévient un homme de petite taille,
venu du sud de la ville, à la recherche «désespérée» d'un bouquet de coriandre.
Au rayon des fruits et légumes, la
mercuriale s'affole : «Il me faut un panier d'argent pour remplir mon couffin»,
ironise, la langue pâteuse, un retraité qui dit survivre avec une pension de
onze mille dinars par mois. Plantée juste en face de lui, une femme d'un
certain âge, un foulard négligemment jeté sur sa tête, lui décoche droit au
visage : «Estimez-vous heureux avec votre maigre pension. Moi, mon époux est
malade et alité depuis deux ans et figurez-vous que je n'ai même pas eu droit à
un couffin alimentaire, soi-disant offert par l'Etat aux plus pauvres…».
Un légumier, somnolent sur sa chaise en
paille tressée, tente de «fourguer» des carottes fanées à la ménagère à la
langue bien fourchure : «Déjà que j'ai un mal fou à acheter de quoi faire ma
popote, et vous voulez vous débarrasser sur moi de votre camelote qui sont le
roussis !» vocifère-t-elle droit dans l'oreille de l'infortuné commerçant.
A l'extérieur du plus vieux marché de la
ville, une faune de vendeurs à la sauvette s'affaire à qui va le plus vite
liquider sa marchandise. Du pain maison vendu à 20 dinars pièce, aux bouquets
de persil et autre coriandre, rares en cette période de jeûne, en passant par
diverses épices et autres légumes crus, le chaland a l'embarras du choix.
Soudain, un cri strident fuse de sous les
arcades faisant face au marché couvert : une jeune femme venait de se faire
délester de sa chaîne en or. Des policiers en faction sur la place du 17
Octobre courent à perdre haleine derrière le pickpocket. Ce dernier, dévalant à
toute vitesse les escaliers de l'ex-hôtel de Nice, sera rattrapé quelques
mètres plus loin. «Tu en auras pour ton forfait», lui promet, sans élever le
ton, l'homme en tenue bleue.
Nous quittons la place Rouge vers treize
heures, direction Ras Essoug, à quelques centaines de
mètres de là. La rue donnant sur la rue Hamdani Adda
est littéralement squattée par une «armée» de vendeurs ambulants, au grand dam
des commerçants « fixés» dans leurs locaux. L'endroit, quoique parmi les plus
anciens du vieux Tiaret, est réputé mal famé pour les nombreux dealers qui y
sévissent. «Ici, le soir venu, la chira passe de main
en main, malgré la traque menée par la police», témoigne Djilali,
un habitant du quartier. Mais le célèbre quartier de Rass
Essoug n'a pas que de mauvais côtés. On peux trouver
avec un plaisir intense du pain-volcan indispensable
pour la meïda du f'tour ou
encore déguster un succulent café-sefaya le soir venu.
Après la prière du Doh'r,
la chaleur est si suffocante que la ville se vide d'un coup de ses habitants. Ce
n'est que vers seize heures passées que la cité se ranime avec une circulation
automobile qui devient moins fluide. A la cité Volani,
véritable cÅ“ur battant de tout Tiaret et véritable bazar à ciel ouvert, il est
impossible de se mouvoir sans heurter un pied par-ci, des objets déposés à même
le sol par-là, ou même se faire «emboutir» par une voiture si l'on veut
contourner un trottoir encombré de têtes noires.
A l'intérieur des locaux de l'ex-souk El-Fellah, loué à une centaine de commerçants, l'air est
quasi irrespirable et la chaleur étouffante. On peut y trouver de tout : des
effets vestimentaires jusqu'aux articles de ménage, en passant par la literie
et autres confiseries en tous genres. En face du marché des fruits et légumes, où
les moindres conditions d'hygiène sont absentes, une baraque vend du lait frais.
Un jeûneur, aux yeux plus gros que le ventre, demande quinze sachets de lait, oui,
rien que ça !, au jeune vendeur, provoquant un
véritable tollé parmi les autres clients. Il finira par se contenter de deux
sachets de lait sous le regard enragé du reste des chalands.
Dans un coin crasseux du marché de Volani, les premiers esclandres éclatent sous l'Å“il curieux
des badauds. Les nerfs à fleur de peau, «à cause du jeûne» prétendent-ils, nombreux
sont ceux qui se livrent à de véritables bagarres pou un oui ou pour un non. Les
commerçants occasionnels en pâtisserie orientale n'affichent pas bonne mine et
pour cause. La zlabia et autre chamia
n'ont plus la cote face à la rude concurrence de la myriade de gâteaux en tous
genres et autres fruits de saison, préférés par la clientèle en cette période
estivale. Si les visages sont plus «colorés» une fois le ventre plein, l'ambiance
n'en est pas moins lourde de moyens de tuer le temps.
A part les cafés et autres salons de thé à
l'atmosphère enfumée et les indémodables parties de domino, à Tiaret, il n'y a
rien à se mettre sous la dent pour se divertir par ces longues et chaudes
veillées ramadhanesques. Alors, comme il faut bien
trouver le moyen d'échapper à la monotonie ambiante, surtout qu'il est
impossible de rester cloîtré chez soi par des températures «infernales», d'aucuns
se débrouillent comme ils peuvent. Si les cybercafés climatisés connaissent une
fréquentation record après la rupture du jeûne, les places publiques et autres
espaces verts sont eux aussi pris d'assaut par des familles entières en quête
d'un brin de fraîcheur. Flanquées de leurs enfants et réparties en petits
groupes autour qui d'un café, qui d'un thé ou d'une glace, certains y restent
jusqu'à une heure tardive, comme dans cette placette aménagée en espace vert
sur la route d'Alger, près du pôle universitaire de Karman. Ce qui n'est
malheureusement pas le cas de la célèbre place Carno et de l'ex-rue Bugeaud, jadis
véritable vitrine de tout Tiaret avec la non moins légendaire Aïn El-Djenane, aujourd'hui
transformées en de véritables «reliques»… Au fait, qui a dit qu'à autres temps,
autres gens, autres mœurs ?
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Posté Le : 09/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El-Houari Dilmi
Source : www.lequotidien-oran.com