L’association Tadukli (L’Union) d’Aokas a frappé fort samedi soir en organisant une soirée festive qui restera dans les annales, au village Aït Aïssa, à 25 km de Béjaïa.
Hasard du calendrier, l’événement a coïncidé avec l’annulation de la 3e édition du Holi Festival Of Colors, prévue sur la plage de Saket, pour cause d’un refus à peine voilé des autorités de sécuriser cette manifestation culturelle, sous prétexte qu’il y a menace !
Le gala tombe à point nommé donc et sonne comme une belle revanche qui vient tout droit du théâtre de Verdure de Bouteghwa, un espace «libéré», niché dans la montagne et faisant face à la grande bleue. «Tant pis pour les ennemis de la culture, ils peuvent annuler autant de festivals qu’ils veulent, on ne se laissera pas faire», se réjouit d’ailleurs un habitant d’Aït Aïssa, qui est venu assister au gala avec sa famille.
Patrimoine
Et un autre d’ajouter : «Ici, il n’y a pas l’ombre d’un policier ou d’un gendarme, et pourtant ça marche à merveille. Ces annulations et interdictions ne sont destinées qu’à verrouiller l’action culturelle et faire plaisir aux islamistes. Ils veulent nous réduire à des tubes digestifs incultes et obéissants.» Tout Aokas, et pas que- on est venus de Béjaïa, des communes voisines, Adekkar…- a déferlé sur la petite structure construite jusqu’à la moindre petite pierre par des mains bénévoles. Des centaines de personnes, majoritairement des familles, se sont emparés des gradins occupés jusqu’au dernier centimètre. Il faut dire que l’affiche est alléchante et fait la part belle au patrimoine populaire kabyle : Tatiche, le groupe de Timezrit Iglan, Uli Rhode, et, clou du spectacle, le trio Tighri Uzar (L’appel des racines) que forment les resplendissantes sœurs Ammour de Yakourène, un beau bouquet qui ne peut laisser indifférent.
Tatiche, jeune et talentueux chanteur originaire de Tizi N’Berber, donne le la en interprétant deux chansons, suivi par le groupe Iglan qui a interprété, outre ses propres compositions, des reprises, dont Anelhu du défunt Brahim Izri. Juste après, Uli Rhode, une Allemande qui a fait sien le combat des peuples amazighs pour vivre pleinement leur culture, fait son entrée dans une robe kabyle chatoyante. Uli Rhode chante couramment en kabyle, et pour la soirée elle est venue avec un cocktail savamment préparé : Ad zzi sa3a, de Slimane Azem, Amdakliw, de Ferhat M’Henni, et Atwaligh, de Matoub Lounès.
Ichewiqen
Avant d’atterrir à Bouteghwa, Uli s’est rendue, entre autres, à la maison de Matoub Lounès, où elle a rencontré Lla Aldjia et s’est recueillie sur la tombe du «rebelle». Elle a aussi participé à l’hommage rendu à l’écrivaine Dihia Lwiz, la jeune écrivaine d’Ouzellaguène disparue récemment. «Je suis très contente d’être ici parmi vous. Voir des petits et des grands, des femmes et des hommes les uns à côté des autres, et quand on sait que c’est seulement avec des moyens simples, c’est simplement magnifique.
C’est aussi la preuve qu’on n’a même pas besoin de l’Etat pour faire de belles choses», a-telle déclaré à El Watan. Les sœurs Ammour, pépite de la soirée, ont explosé la baraque avec un répertoire qui puise sa substance dans le patrimoine kabyle ancien. Les Ichewiken et Ahiha, des femmes paysannes kabyles, portées par les voix harmonieuses et suaves des trois sœurs, ont raisonné deux heures durant devant un public qui a su donner du répondant. Youyous, Afus (applaudissements), danse, sifflements et cris de joie à profusion. Tighri Uzar porte bien son nom, tant il sait récréer l’ambiance d’antan, tout en servant de relais pour sa transmission. Samia, la vocaliste en chef du trio féminin, est elle aussi contente de ce qui se passe à Bouteghwa.
«En tant que militantes engagées, moi et mes sœurs, à la fois pour tamazight, mais aussi pour la justice sociale, les droits des femmes, etc., nous avons suivi les rencontres qui ont lieu ici à Aït Aïssa, par conséquent je peux dire que la construction de ce théâtre est un acte de résistance, c’est une œuvre qui s’inscrit dans la continuité de ce dont nous avons rêvé en 1980 (Printemps berbère ndlr). Il faut qu’il y ait de la culture, de la littérature, de la musique…» nous dit-elle.
Un théâtre solidaire
Œuvre solidaire des villageois d’Aït Aïssa et d’un réseau de militants associatifs et politiques, le théâtre de Verdure de Bouteghwa est en passe de devenir un espace de résistance de la culture populaire. Une culture qui n’arrête pas de subir les coups de boutoir de la censure officielle, et, dernièrement, sociale, avec la résurgence de l’inquisition islamiste. L’engouement que suscite Bouteghwa montre que les citoyens ont soif de culture et tournent de plus en plus le dos aux manifestations folkloriques et contrôlées auxquelles on les a habitués. L’endroit abrite toutes sortes de manifestations culturelles, dont souvent du théâtre, indique Brahim Djabri, secrétaire général de l’association Tadukli. Il arrive, selon lui, que le site accueille jusqu’à 1500 personnes.
L’accès est libre et gratuit. A chaque manifestation, une caisse est installée à l’intention des esprits généreux qui veulent aider l’association. La sécurité est assurée par l’association et les villageois et on n’a, ici, nul besoin de la présence des services de sécurité. Bouteghwa montre l’exemple d’un activisme culturel tout à fait autonome, solidaire, parfaitement mixte et réellement émancipateur. Reste à espérer que cette initiative fasse des émules un peu partout. Et que les autorités ne viendront pas jouer aux trouble-fêtes.
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Posté Le : 18/08/2017
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Mohand Hamed-Khodja
Source : El Watan