Dans « Tey », le cinéaste sénégalais Alain Gomis tente, à travers une réflexion sur la vie et la mort, de souligner que le présent existe et que l'homme n'a pas cette puissance de retarder la marche du temps.
Ouagadougou
De notre envoyé spécial
La mort n'est pas une obsession chez le jeune cinéaste sénégalais Alain Gomis. C'est mieux que cela : la fin de la vie est une matière pour réfléchir, se projeter dans le lointain et revenir sur soi, sur l'être humain et ses tourments. « Tey » (Aujourd'hui en wolof), une fiction en compétition officielle au 23 ème Festival panafricain de cinéma et de télévision (Fespaco), est un concentré de tout.
Dès le début du film, le spectateur est poussé dans la marre : « Il arrive encore que la mort prévienne de sa venue ». Ce n'est pas aussi évident pour le commun des mortels. Mais, bon, suivons la caméra de Alain Gomis et essayons de ne pas tomber, flotter autant que possible.
A Dakar, un homme se réveille dans une maison où est réunie sa famille. Ses yeux tentent de percer l'écran. Le regard appelle les présents à suivre son histoire. Et quelle histoire ! Dès que Satché (l'américain Saul Williams) sorte de sa chambre, sa mère, ses frères, s'urs et cousins le saluent, l'embrassent...On ne sait pourquoi, au début. Alain Gomis fait durer, à sa manière, le suspens. Sommes-nous devant un rituel ' De la magie noire ' Satché est-il obsédé par les esprits ' Non, Satché va mourir « aujourd'hui ». Pas séance tenante, mais plus tard.
Pourquoi, il meurt ' Pas d'explication. Chacun peut imaginer ce qu'il veut. Il doit bien y avoir une raison pour la mort. Habillé d'un pull rouge, Satché plonge dans les quartiers dakarois. Les rues sont jonchées de détritus, la circulation automobile est anarchique, les marchés débordent sur les rues et les trottoirs sont confondus avec la chaussée...Un prototype parfait d'une ville africaine. Exprès ' «J'ai essayé de faire un film sur un homme. Il se trouve qu'il est africain. Chacun dans nos contextes se débat, fait des choix...Je l'inscris forcément dans ce monde là. Et je tiens à ce que je représente une partie de l'Afrique d'aujourd'hui qui est plus complexe de ce qu'on veut bien en dire. C'est donc important de donner une image d'une des complexité du continent », nous a déclaré Alain Gomis, après la projection du film, mardi soir à la salle Burkina à Ouagadougou.
Satché continue de marcher. Vers le destin qui, selon le chanteur, nous désarme ' Probablement. Là, aujourd'hui, sous le soleil dakarois et loin de la brise Océane, l'homme rencontre ses amis qui, eux, débordent de vie. « Regardez notre roi », crie la foule. « Pourquoi es-tu revenu ' », questionnent ses copains qui n'ont pas accepté qu'il revienne en Afrique après des études aux Etats Unis. On ne traverse l'Atlantique qu'une fois. Satché assiste à une manifestation de personnes en colère. Un femme crie : « les enfants des rois sont des princes et les enfants des princes sont des voleurs ! ».
Vol et corruption ne sont-ils pas des biens partagés en Afrique où les rois s'offrent les constitutions comme des couronnes en poussières d'or ' Satché rencontre plus loin une artiste qui, paraît-il, était amoureuse de lui. « Tu vas mourir mais tu n'as rien vécu », lui lâche-t-elle. Et plus loin encore, il va discuter dans le jardin de celui qui va laver son cadavre. Intérieur-extérieur. Puis, intérieur. Satché rentre à la maison. Son épouse : « m'as-tu ramené quelque chose ' ». Lui : « rien ».
Que peut-on demander à une future mort ' « Tey » est une fiction philosophique sur un sujet qui intéresse les humains depuis la nuit des temps. Alain Gomis semble inviter, sans le vouloir, les spectateurs de nourrir de la sympathie pour son personnage, de souhaiter qu'il ne quitte pas ce monde. C'est donc un personnage-masque qui pousse plus vers la vie que vers la mort. Même si au tout debut, le plus âgé de la famille disait à propos du jeune homme : « Ce soir, quand il s'endormira, il rejoindra le monde des esprits ». Cela ressemble déjà à un conte comme seule l'Afrique peut en produire.
Avec finesse, Alain Gomis évite de donner des réponses toutes faites, de livrer l'aboutissement...La nuit tombe. Et Satché est encore là. Chez lui, assis sur une chaise longue. Après ' Générique ! La vie, comme le cinéma, est finalement une succession de séquences et de scènes. « Nous ne sommes capables que de vivre au présent. Aujourd'hui ! Nous ne savons pas pourquoi doit-on mourir.
Nous en tant qu'hommes, essayons de vivre avec cela », tente de rassurer Alain Gomis, souriant. En 2012, « Tey » a été primé lors du Festival de Carthage à Tunis et consacré meilleur long métrage de fiction au Festival de cinéma africain à Cordoue en Espagne. Alain Gomis a réalisé deux autres longs métrages, « L'Afrance » en 2001 et « Andalucia » en 2008.
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Posté Le : 01/03/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com